samedi 1 octobre 2011

De la cuistrerie illustrée

Encourageant les gens à se montrer «décomplexés» en n’importe quel domaine, notre époque favorise chaque fois plus l’exhibition de ridicules qui, il n’y pas si longtemps, respectaient une invisibilité de bon aloi. Parmi les ridicules en question, figure en bonne place la vulgarisation de la philosophie. Mais qui le voit ? L’idée de populariser une discipline d’accès difficile semble des plus louables. Quant aux professeurs de philosophie auteurs d’encyclopédies parascolaires illustrées de bandes dessinées, les gazetiers les saluent comme de généreux pédagogues  — ayant, comme ils disent, un grand « sens du partage ». Grâce à ses nouveaux « passeurs », la philosophie s’évade enfin des sanctuaires du lycée, de l’université, des grandes écoles, et perd sa désastreuse image de matière compliquée auprès du grand public. Ludique, rigolote et colorée, la voilà à la portée des nuls, des déshérités de la culture, des mal lotis de la dialectique.
Un énième produit de ce genre vient de paraître : La planète des sages, commis par un duo de comiques du concept — Charles Pépin pour les notices didactiques et Jul pour les dessins. Cela se présente comme un dictionnaire des grands noms des philosophies occidentale et orientale. Pour juger du niveau de l’entreprise, écoutons Pépin : « Dans le cas de Hegel, le dessin de Jul met en scène un ado qui s’en va taper sur Hegel au lieu d’aller taper sur Google… En fait, tous les philosophes qui sont venus après Hegel (l’existentialisme de Sartre, la déconstruction jusqu’à la phénoménologie) sont des gens qui n’avaient qu’une seule idée en tête, c’était de taper sur Hegel. Je trouve que le dessin met très bien en relief cet aspect et au delà de l’humour, partir du dessin m’a permis de vivre une expérience nouvelle très riche. » Gageons que dans la prochaine édition « audio » on entendra des rires enregistrés.
À propos de déconstruction, je m’en permettrais une petite au passage. La saison est au «décalage». Un spécialiste de philosophie qui fait appel à un dessinateur afin de faciliter la compréhension de Hegel est, dit-on, un « philosophe décalé ». Je dirais quant à moi un démagogue et un pédant. Démagogue car tout spécialiste de philosophie sait bien que son enseignement n’est pas impopulaire parce que difficile, mais qu’il est difficile parce qu’impopulaire tant il demande des efforts de lecture et de relecture. Pédant, car que ce soit sous forme d’albums illustrés ou autre « supports» graphiques, vulgariser des pensées complexes en prenant des mines de potache attardé, n’est encore qu’une manière de ramener sa science et une occasion d’étaler ses diplômes — comme Pépin ne manque jamais de le faire à chaque émission de promotion.    

11 commentaires:

  1. Monsieur Schiffter,
    Notez bien que la couleur est annoncée… « La planète des sages » sonne comme la planète des singes ! On sait d’avance qu’il sera question de mimer la pensée plutôt que de la rendre accessible… On entend dans le mauvais jeu de mot toute l’arrogance des marchands, toute la drôlerie de nos fins humoristes qui n’en finit plus de déteindre, ainsi que la démagogie flatte-couillon qui fait tenir un « monde », une « planète des sages » close et définitive, en une poignée de pages illustrées à la façon des ouvrages de la bibliothèque rose…
    Quelle duplicité… Il fut un autre Pépin, infiniment plus franc, qu’on appelait Le Bref…

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  2. Ce serait un peu le "Guide du zizi sexuel" de la philosophie?

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  3. Je comprends votre point de vue.
    Et que reste t-il à faire de soi-même quand on a envisager d'acheter le bouquin et, pire !, de l'offrir au petit frère qui passe son épreuve de philo cette année ?

    << L’idée de populariser une discipline d’accès difficile >>... oui.
    J'essaie par tout les moyens "d'ouvrir" mon fréro à autre chose que les jeux vidéos... c'est une tâche difficile, les sentiers sont embués. Je me disais que si ça "paraissait facile" il y trouverait un intérêt et peut-être souhaiterait-il si plonger plus profondément ? Peut-être qu'aussi ce livre lui donnerait des phrases toutes faites à mettre dans sa copie, que ma mère s'rait contente parce qu'il aurait son bac et BlaBla...

    Autour de moi, beaucoup s'en fiche d'être traité de << nuls >>, de << déshérités de la culture >> ou de << mal lotis de la dialectique >>, car ce que ces personnes recherchent c'est le succès au sens contemporain du terme : l'argent, la beauté, l'I Phone 5, le café Starbucks et j'en passe.

    Aujourd'hui on veut tout mettre "au goût du jour". Le vieux, le classique c'est dérisoire, c'est poubelle. Tout doit aller vite, être accessible à un bon prix : l'Egalité vous comprenez...
    L'égalité, car personne ne supporte les zones d'ombres et le sentiment d'être stupide. La Philosophie est une grande zone sombre. C'est donc une zone à exploiter, le marketing si attaque. Je jurerais que ce n'est que le début : il y a de l'argent à faire par-là.

    Peut-être faudrait t-il écrire à ce M. Pépin pour "mettre" la philo dans les jeux vidéos...

    Salutations.

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  4. Quelle excellente idée de montrer le lien, souvent étroit, entre vulgarisation et pédantisme. Pédantisme qui est d'ailleurs manifeste dans des expressions comme "sens du partage", et "passeurs". Et tout le vocabulaire de ce qu'on pourrait appeler la vision administrative de la littérature - et, généralisons, de la "culture".
    Les gens aiment bien qu'on les "instruise" de la sorte. Ils prennent des tics de langage, dont ils se serviront pour épater ceux qui, encore moins malins qu'eux, éprouvent les mêmes désirs de minuscule puissance.
    Ainsi nous aurons droit à la rentrée littéraire, et autre actualité philosophique.

    Votre article est évidemment la suite, le prolongement de votre "relire Lucien".

    Tristan

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  5. Si je puis me permettre, je trouve extrêmement sensé le commentaire de Justine. Elle est dans la réalité de ce temps et le décrit parfaitement. On se moque d'être considéré comme nul ! Comme le citait très récemment Monsieur Du Lorgnon en rappelant Jaime Semprun : "Quand le citoyen-écologiste prétend poser la question la plus dérangeante en demandant : 'Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ?', il évite de poser cette autre question, réellement inquiétante 'A quels enfants allons-nous laisser le monde ?'"

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  6. "Hélas ! hélas, c'est pire tous les jours...Plus personne ne croit que le ciel est le ciel, personne n'observe le jeûne, personne ne fait le cas de Jupiter plus que d'un poil, tout le monde se met des oeillères et compte ses sous..."
    Petrone, 1er siècle avant JC

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  7. Inutile d'écrire à M. Pépin pour mettre de la philosophie dans les jeux vidéo, Justine, quelqu'un d'autre y a déjà pensé :
    http://www.editions-zones.fr/spip.php?id_article=135&page=lyberplayer

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  8. Monsieur ! J'ai une question...
    Est-il indispensable d'être cultivé ?

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  9. Lucien 1 - Pépin 0

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  10. Le Marquis de Sade03 octobre, 2011

    Justine, revenez ici tout se suite!

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  11. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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