dimanche 22 avril 2018

Otium cum litteris —XI



Mon éditeur m’apprend que mes Journées perdues sont épuisées. Dans un pays où les citoyens ont voté pour un parti portant le nom vulgaire de En marche !, je me félicite du succès de mon éloge de l’immobilité. Après les concepts de chichi, de blabla, de gnangnan, je projetais l’idée d’en peaufiner un autre, en vue de fonder une éthique, à savoir le concept de planplan. Eh bien, ma Philosophie du planplan, je considère qu’elle se trouve pour l’essentiel dans mes Journées perdues. Il n'y aura pas un retirage du bouquin. Tant pis pour ceux qui ne se sont pas empressés de se le procurer.
L’été se faufile en plein mois d’avril. Il est des resquilleurs plus indésirables. J’en profite pour reprendre mes habitudes oblomoviennes sur la terrasse. Allongé sur mon canapé d’extérieur, je lis L’Endroit du paradis, le dernier opus de Clément Rosset (Encre marine). «Dès lors que règne la joie de vivre, il n’est aucun fait, aucune circonstance qui puissent la perturber ou la contrarier». Pardon, Clément, mais ta mort, pour tes amis, ce n’est pas la joie, comme on dit.
Sur les conseils de Guy Karl (clic), je lis aussi L’Anxiété de Lucrèce, un livre que le Dr Benjamin-Joseph Logre écrivit pendant l’Occupation alors qu’il se cachait des nazis. Pour le psychiatre, il convient de lire le De Natura rerum comme les confessions d’un mélancolique, comme «le récit d’un drame intérieur» et, aussi, comme l’effort spirituel du poète pour se délivrer de la «tyrannie de l’angoisse». Une ascèse vouée à l’échec. Car Logre donne raison à saint Jérôme: Lucrèce se suicida. Pour le fervent disciple d’Épicure, la seule ataraxie fut la mort. Sans être psychiatre ni philosophe, je me demande si elle n’est pas la seule ataraxie pour tous.