jeudi 25 mars 2021

Mes combats


Deux fois par semaine, Nathalie vient me donner un cours de boxe. Je dois m’appliquer pour mes uppercuts. Je frappe en remontant l’avant-bras, mais je n’engage pas assez le buste. En revanche, j’ai de bons directs droit et gauche. Bien sûr, j’exécute-là des mouvements «mimés». J’attaque les paws que Nathalie tient devant elle et j’obéis à ses consignes. Ces séances n’ont pas pour but de me préparer à des combats réels, mais de me maintenir en bonne forme et de rester svelte — ma garde-robe l’exige. Je ne suis qu’un boxeur de salon. En cela, j’observe une totale cohérence avec l’éthique que je me suis fixée depuis ma prime jeunesse: éviter toute activité susceptible de déranger mon confort. Idem pour l’écriture. Je griffonne dans mon lit une ou deux pages de temps en temps pour ne pas me rouiller l’entendement, mais sans forcer. Or là, je me définirais plutôt comme un philosophe en chambre, renouant ainsi, paraît-il, avec une ancienne manière de cogiter. À en croire Cioran, «les antiques, paresseux, restaient longtemps allongés, car ils savaient que l'inspiration vient à l'horizontale: ils attendaient ainsi les pensées, que les modernes forcent et provoquent par la lecture, donnant l'impression de n'avoir jamais connu le plaisir de l'irresponsabilité méditative, mais d'avoir organisé leurs idées avec une application d'entrepreneurs J’ai du mal à imaginer Platon, Aristote, Épicure, étendus sur leur couche espérant qu’un concept se fasse jour dans leur esprit — encore moins le pénible Diogène trop occupé à arpenter les rues de la cité pour sermonner ses semblables —, mais je veux bien croire que d’autres philosophes, leurs contemporains, aient goûté à ce plaisir. Il n’est pas extravagant de songer qu’il y eut à Athènes des maîtres de la vie casanière, de la nonchalance, de la méridienne, qui, faute de disciples, furent perdus pour la postérité. S’ils ont existé, ils méritent l’oubli. Le risque est faible, heureusement, mais rien ne serait plus funeste pour la philosophie en chambre que de tomber dans les mains de thésards.