mardi 21 janvier 2014

Causerie


«[…]Je suis né en 1956 — l'année où Cioran publie La Tentation d’exister. Une croyance africaine prétend que naître c’est remplacer un mort. De qui, alors, sommes-nous le successeur ou le succédané? Impossible de le savoir. Tout au long de notre vie, les mânes d’un être inconnu collent à notre carcasse. Elles ne se détachent de nous que lorsque nous mourons et sans doute ne s’anéantissent-elles qu’à ce moment-là. Je ne saurais dire si je portais un fantôme en moi en venant au monde. En revanche, celui de mon père me hante depuis plus de quarante ans. Il a disparu de ma vie quand j’avais neuf ans — corps et âme. J’ai derrière moi un demi siècle de tristesse, ce qui représente une honnête carrière de philosophe sentimental […]».
In Le Charme des penseurs tristes  


samedi 11 janvier 2014

Niccolo per sempre


«Quand j’étais en grâce auprès du prince et qu’il me prêtait le crédit dû aux conseillers désintéressés, je l’avais dissuadé de céder à son premier mouvement de faire arrêter ce buffone insolent qui amusait les rues de Florence en jouant des fables satiriques et irrévérencieuses de son invention. Je lui montrai que le peuple semblait apprécier l’insolence du larron et, qu’au lieu de le courroucer en le privant de ces petits spectacles malpropres, il était plus sage de lui laisser penser que sa majesté, soucieuse du bien être de ses sujets, était satisfaite de le voir y prendre plaisir. Ayant admis que le remède serait pire que le mal et qu’il y avait plus grande sûreté à ce que la plèbe se divertît au détriment de sa personne plutôt qu’elle s’en prît à son gouvernement, mon maître laissa donc le pendard s’adonner à ses farces jusqu’à ce que son public finît par s’en lasser.»

Nicolas Machiavel
(Lettres à Giacomo Martini)