mercredi 5 février 2025

Rousseau et moi


En traînant à la Chambre d'amour, hier, je pensais à Jean-Jacques Rousseau. Comment l'auteur des Rêveries du promeneur solitaire a-t-il pu rédiger Le Contrat social et deux projets de constitution, l'un pour la Corse, l'autre pour la Pologne? Que lui importait le destin politique de ces contrées et de leurs peuplades? Moi qui pourrais intituler la somme de mes billets Les Songeries du traîneur balnéaire, je suis incapable de réfléchir à l'établissement d'une constitution du Pays basque ou, même, de la France — laquelle, dit-on, en dispose déjà d'une. Quant à élaborer une théorie du contrat social, la chose me paraît plus éloignée de moi encore tant je tiens les humains pour un ramassis de canailles ingouvernables. Rousseau, me suis-je dit, était donc un faux contemplatif. Eût-il été absorbé par des idées flottantes, il n'aurait pas suscité l'admiration du jeune Bonaparte — ni les railleries de Voltaire. «En tout cas, ce n'est pas à moi qu'on fera le sale coup de transporter mes cendres au Panthéon», me suis-je dit en recevant les tendres baisers des embruns. 


 

dimanche 2 février 2025

De la xéno-anxiété


«Il est des idées d'une telle absurdité que seuls les intellectuels peuvent y croire», écrivait George Orwell. C'est le cas de son idée de common decency (décence commune), vertu à laquelle il croyait et qu'il prêtait aux gens modestes — au «peuple», comme on dit chez les politiciens et les militants de tout poil. Le «sentiment d’une submersion migratoire» partagé par près de 70% de Français apporte la preuve irréfutable de leur décence, celle de l'honnête commerçant que Jean Carmet incarnait à l'écran dans le film d'Yves Boisset Dupond Lajoie (1975).


 

jeudi 30 janvier 2025

Conte d'hiver


En traînant à la Chambre d'amour, j'ai vu des écriteaux fixés sur des barrières mettant en garde les promeneurs contre les submersions que pourraient causer les puissantes vagues océanes. Décidément, me suis-je dit, le mot «submersion» revient souvent en ce moment. Peut-on avoir le sentiment d'être submergé par une forte marée, sentiment semblable à celui que, paraît-il, éprouveraient mes concitoyens relativement aux vagues migratoires? Le problème avec les métaphores, me suis-je dit, est qu'elles frappent les entendements limités, raison même de leur efficacité idéologique, psychologique, surtout. Ainsi, quand je vis un quidam désireux de passer outre aux interdictions de franchir les barrières de la promenade submersible, je lui demandai s'il ne craignait pas de se faire engloutir. Il me répondit que le danger réel venait des flux de migrants arrivés de la Méditerranée. «Ne soyez pas dans le déni!», ajouta-t-il avant de pousser le garde-fou. À peine avait-il fait quelques pas dans la zone prohibée, qu'une vague se jeta sur lui. Il disparut dans l'écume. Submergé par la tristesse, je retournai chez moi en méditant sur les effets pervers de la rhétorique.


 

mardi 28 janvier 2025

Reste celui que tu es


Après avoir relu mes ouvrages, je me suis dit que leur indéniable qualité est que nul autre que moi eût pu les écrire — qualité qui ne semble pas compter pour nombre d’auteurs concernant les leurs.



 


 

dimanche 26 janvier 2025

Enfin !


Merci à la prestigieuse amicale occitane Riem branlar al païs pour m'avoir décerné son prix tant recherché!

 

mardi 21 janvier 2025

Signalement


En traînant à Biarritz, je me suis arrêté au Plaza. J'avais emporté avec moi Dégénérescence, le livre de Max Nordau (1849-1923), doctrinaire, avec Théodore Herzl, du sionisme. C'est à ce médecin psychiatre, élève de Jean-Martin Charcot et admirateur de Cesare Lombroso, que les nazis doivent la conception d'art dégénéré — Entartete kunst. Je me retrouve dans chaque page de l'ouvrage. Sur le plan philosophique: «Les dégénérés […] sont le public prédestiné de Schopenhauer». Sur le plan psychologique: «À l’abattement caractéristique du dégénéré s’allie, en règle générale, une aversion pour toute action, […] un éloignement du monde et un mépris des hommes». Sur le plan intellectuel: «À l’incapacité d’agir se rattache l’amour de la rêverie creuse.» Sur le plan de la sensibilité: «Il se réjouit de son imagination, qu’il oppose au prosaïsme du philistin, et se voue avec prédilection à toutes sortes d’occupations libres qui permettent à son esprit le vagabondage illimité». Sur le plan politique: «Il sera difficile aussi de nier que la dégénérescence fait […] le fond des écrits […] de beaucoup […] d’anarchistes.» Sur ce dernier point, je préciserais, en ce qui concerne mon cas: anarchiste de salon de thé. Sur le plan physique, je ne souffre pas du nystagmus qui affectait les pointillistes et les impressionnistes, je n'arbore pas des oreilles longues et pointues, «caractères simiesques» qui prouvaient le retard mental de Mallarmé, ni la « psychopathie sexuelle» de Zola. Mais ne parlons pas trop vite. Ma dégénérescence continue. 


 

vendredi 17 janvier 2025

D'une notion de flic


Le ministre Bruno Retailleau désigne certains citoyens comme des "Français de papiers", voulant dire par là que ces derniers, des "migrants" venus d'anciennes colonies françaises, ayant bénéficié d'une naturalisation plus ou moins récente, ne sont pas d'authentiques français. L'État colonialiste disait la même chose à propos de leurs aïeux Indochinois, Algériens, Tunisiens, Sénégalais, Maliens, Ivoiriens, Voltaïques, etc., avant l'indépendance de leurs pays. Le Cochinchinois, le Maghrébin et le Noir africain étaient, pour les gouverneurs et les petits Blancs, des Français mineurs. Pour Retailleau, une carte d'identité délivrée par la république ne constitue pas un certificat de "francité". "Être français, dit-il, c'est partager des valeurs". Quelles sont ces valeurs pour Retailleau? Est-ce lui qui donnera des certificats d'authenticité française? Moi qui suis français, comme l'attestent mes papiers, je pourrais me sentir plus français que lui s'il fallait que je m'en tienne au critère de la culture générale. Je pourrais me sentir plus français encore que la multitude de mes concitoyens qui se vantent de leurs racines et qui ignorent tout de leur histoire, qui se recommandent d'un héritage judéo-chrétien sans rien connaître des textes religieux et des œuvres des pères de l'Église, qui parlent des Lumières par ouï-dire. Au reste, quand il m'arrive de discuter avec eux, j'ai le sentiment d'avoir affaire à des étrangers tant ils saccagent leur langue en usant de baragouins en vigueur dans les écoles de commerce, les entreprises, les médias. Pourtant, ce sont des Français. L'état civil le confirme. Lui seul dit qui est français ou non. Tout autre critère d'identité relève d'une philosophie de flic.