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vendredi 2 octobre 2020

Le monde comme bordel et comme tragi-comédie


Même si Schopenhauer n’a que sarcasmes pour les optimistes, on aura beau fouiller dans ses pages, jamais on ne trouvera qu’il définit sa pensée comme un pessimisme. Pareille qualification revient à ses lecteurs superficiels — c’est-à-dire les nietzchéens. Nietzsche, écrasé par la figure de Schopenhauer — comme par celle de Wagner —, a cherché à s’en émanciper en opposant les termes de «pensée tragique» et de «pensée pessimiste», la première étant la sienne, la seconde celle de son maître. Or, si on devait évoquer une belle analyse du pessimisme comme pensée tragique, on se reporterait à la Logique du pire de Clément Rosset dont le titre même est des plus évocateurs, puisque le «pire», en latin, se dit pessimus. Dans cet ouvrage, Rosset rappelle que le hasard étant la pire des causalités, logique productrice indifférente de désordres et d’ordres — donc de «bordel» comme il le dit ailleurs — aucune pensée du hasard ne peut donner lieu à une téléologie, comme, par exemple, l’avènement du surhumain, ou à une éthique, comme, par exemple, l’impératif catégorique suspendu au dogme de l’éternel retour du même. Le tragique nietzschéen n’est qu’un blabla, souvent grandiloquent, alors que le tragique schopenhauerien, souvent humoristique, fondant très justement dans une même acception la notion de fatalité et de hasard, excelle à exprimer la condition humaine. «La vie de chacun de nous, à l’embrasser dans son ensemble d’un coup d’œil, à n’en considérer que les traits marquants est une véritable tragédie. Et quand il faut, pas à pas, l’épuiser en détail, elle prend la tournure d’une comédie. Chaque jour apporte son travail, son souci; chaque instant sa duperie nouvelle; chaque semaine, son désir, sa crainte; chaque heure ses désappointements. Comme le hasard est là, toujours aux aguets, pour faire quelques malices, pures scènes comiques que tout cela. Mais les souhaits jamais exaucés, la peine toujours dépensée en vain, les espérances brisées par un destin pitoyable, les mécomptes cruels, qui composent la vie entière, la souffrance, qui va grandissant, et, à l’extrémité de tout, la mort, en voilà assez pour faire une tragédie. On dirait que la fatalité veut, dans notre existence, compléter la torture par la dérision; elle y met toutes les douleurs de la tragédie; mais pour ne pas nous laisser au moins la dignité du personnage tragique, elle nous réduit dans les détails de la vie au rôle du bouffon.» Il faudrait que j’examinasse la raison pourquoi d’aucuns, contre l’évidence, nient le tragique de Schopenhauer, alors qu’ils passent vite sur l’optimisme moral et historique de Nietzsche. La première idée qui me vient à l’esprit est qu’ils n’ont lu aucun de ces deux penseurs. Mais je m’interdis d’en être convaincu.