mercredi 1 octobre 2014

Berthet et Sade, mes amis d'insomnies


Jérôme Leroy
auteur de 

L'Ange gardien
(Série Noire)


Depuis trois semaines, je suis la proie d’insomnies. Réveillé chaque nuit vers quatre heures, je passe le reste de la journée dans un état qui oscille entre l’anxiété et l’écœurement. Dès la fin des vacances, je me suis retrouvé dans un cauchemar courtelinesque. Au lecteur de passage, je ne ferai pas l'injure de rappeler que Georges Courteline excellait à railler les turpitudes administratives qui empoisonnent la vie d’un paisible citoyen. On m’objectera que Courteline n’est pas Kafka; que s’il n’y a rien d’agréable à se retrouver dans Messieurs les ronds-de-cuir, cela reste préférable à une immersion dans Le Procès. Sans doute. Mais rien n’est plus redoutable que la capacité de nuisance d’une bureaucratie. Il y a dans Courteline un fonctionnaire dénommé Ratcuit qui applique jusqu’à l’absurde le règlement. Dans mon cas, ce sont des Ratcuit  qui me forcent à leur rappeler la règle qui les oblige envers moi. Me voilà donc courtelinisé au point d’en perdre le sommeil. Le bon côté de la nuit blanche, est que l’on trouve toujours un ou deux amis pour échanger. Non pas de vive voix, mais dans une conversation silencieuse en harmonie avec l’heure: la lecture. Cette nuit, j’ai passé un bon moment avec Berthet, le héros de L’Ange gardien de Jérôme Leroy (Série Noire). Un tueur au service de la raison d’Etat, nostalgique du monde d’avant et lecteur des poètes. Au début de chaque chapitre, on veut tuer Berthet ce qui est une mauvaise idée, mais surtout une faute de goût. Berthet est un homme cultivé doté d’une âme mélancolique. Je lui donnerais volontiers toutes mes économies pour qu’il liquide les Ratcuit qui s’acharnent à miner mes nerfs. Une fois le contrat honoré, je l’inviterais à une bonne table afin qu’il me parlât de Michaux ou de Toulet. Après, qui sait, d'une balle de Sig-Sauer P220 tirée dans la tête, il me ferait basculer in the big sleep. Je goûte aussi à une autre compagnie nocturne, le marquis de Sade, avec qui, grâce à Gilbert Lely, je fais plus ample connaissance. Sade, un charmant méchant homme, le seul écrivain qui eut affaire à deux polices, l’une des mœurs, l’autre de la pensée — la plus bête et la plus violente des deux n’étant pas celle à laquelle on pense. Finalement, ma santé dût-elle souffrir de carences de repos, je me réjouis de ces rendez-vous discrets, avant l’aube, avec un tueur et un pervers.