mardi 29 juin 2021

L' éditorialisme, pathologie sénile des intellectuels




 





Un éditorialiste médiatique, omniprésent à la télévision et sur les ondes, est le larbin d’un pouvoir, d’un parti, d’un groupe d’intérêts économiques ou financiers, et sa tâche est d’en faire la propagande. S’il n’apparaît pas avec un badge d’identification du think tank ou du lobby qui le paie, sa rhétorique le trahit. Mais comme très peu de gens ont l’oreille fine, nombre de gogos s’imaginent que l’éditorialiste médiatique est un esprit libre, mu par le pur mobile de faire valoir ses propres opinions, informées et avisées, et ils l’écoutent comme s’il s’agissait d’un intellectuel. Sans doute est-ce pourquoi les patrons des médias audio-visuels salarient depuis quelques temps des intellectuels — appelés aussi "philosophes" au mépris de toute précision sémantique — comme des éditorialistes permanents ou occasionnels. Jadis, Pierre Bourdieu brocardait le dévoiement de l’intellectuel qui désertait son bureau le temps d’une mode pour aller faire l’histrion dans le cirque de l’opinion journalistique. «Qui parle (dans les médias)?, demandait-il. Ce sont des sous-philosophes qui ont pour toute compétence de vagues lectures de vagues textes.[…]Ce sont des demi-savants pas très cultivés qui se font les défenseurs d’une culture qu’ils n’ont pas, pour marquer la différence d’avec ceux qui l’ont encore moins qu’eux». Bourdieu est mort trop tôt pour voir que, désormais, les intellectuels engagés le sont au sens où l’entend un patron quand il engage un employé. Tant et si bien que, comme cela devait se produire, les consommateurs de médias pensent aujourd’hui que l’activité consistant à pérorer sur l'actualité à la télévision et depuis les studios de radios en compagnie de vedettes attitrées de la jacasserie en continu, est, pour Michel Onfray, Luc Ferry, Alain Finkielkraut — avant que LCI ne le renvoie —, d’autres encore, la manière la plus démocratique d’exercer la pensée. Si téléspectateurs et auditeurs ne distinguent plus les éditorialistes des intellectuels, ce n’est pas tant parce que ces derniers exécutent avec zèle le rôle que leurs employeurs leur assignent, mais parce que l’éditorialisme représente à leurs yeux le pompon de leur carrière. D’aucuns, parmi eux, s’abaissent davantage en visant plus haut. Michel Onfray, par exemple, ayant rameuté autour de lui, par le biais de sa revue, Front populaire, une bande de plumitifs condamnés à le flatter, nourrit l’ambition de se présenter aux élections présidentielles — sauf si un autre nouveau philosophe, Éric Zemmour, s'y porte candidat. L’ex-hédoniste solaire passé au proudhonisme franchouillard, ne fera pas la sourde oreille si le pays, en quête de redressement, vient, dixit, le «plébisciter» sous ses fenêtres (clic). Dans mon dernier opus (clic), je désigne les intellectuels, quelle que soit la soupe idéologique qu’ils servent, sous le nom de philodoxes: les amis de l’opinion. Je cherche un autre terme qui, pour les caractériser, contiendrait l’idée d’une pauvre intelligence, pitoyable et ridicule. Éditorialistes fera l’affaire.   

samedi 12 juin 2021

Du pasotisme au Pays basque

Je vis au Pays basque depuis plusieurs décennies et pour rien au monde je n’irais couler mes jours sous d’autres cieux. Pourtant, je n’y suis pas né. Je ne parle pas l’euskara et il ne m’est jamais venu à l’esprit de l’apprendre. Le «peuple basque» m’apparait comme une chimère. Seuls les individus existent et, à mes yeux, il n’y a que leur personnalité qui compte et non leur prétendue identité nationale. 

Je me suis peu baladé dans les montagnes surplombant la côte. Mes déplacements se font suivant un axe immuable: Anglet, Biarritz, Guéthary, Saint-Jean-de-Luz, Hendaye, Saint-Sébastien. Ainsi, je ne perds pas de vue l’océan que j’observe depuis quelques terrasses de cafés et de restaurants — toujours les mêmes. Comme je m’ennuie dans une foule, je ne vais jamais aux fêtes de Bayonne. Je hais les uniformes, or la tenue en blanc et rouge en est un. 

Peu caméléonesque, je n’ai jamais pris la couleur locale. Pourquoi, alors, me suis-je attaché à cette terre? Pourquoi j’en chante en toute occasion les louanges, moi qui suis étranger à l’esprit chauvin? Précisément parce qu’on peut s’y enraciner sans être obligé de se plier à un folklore. Parce qu’elle accueille les contemplatifs, les flâneurs, les nonchalants, trois types de sujets sans qualité qu’on peut regrouper sous le terme générique espagnol de pasotas — terme traduisible en français par: je-m’en-foutistes, ou, mieux, peut-être, par: dilettantes. Je crois que son climat y est pour beaucoup. On sait qu’Aristote et Montesquieu avaient observé une influence du froid, de la chaleur, de la douceur, des conditions atmosphériques, sur la psychologie des diverses populations du monde. J’ignore les effets que le gulf stream, les tempêtes, le voisinage des vagues, les embruns, le soleil des quatre saisons, le vent du sud, exercent sur l’«âme collective» des habitants du Pays basque. Sur la mienne, cette météorologie a jeté un charme et, depuis mon enfance biarrote, m’a converti au pasotisme. Je doute que, séjournant sous d’autres latitudes, j’eusse pu atteindre à une telle sagesse.  


Paru dans:

 Béret sur tous les fronts 

au Pays basque (clic), mai 2021