L’autre jour, mon attestation de déplacement dérogatoire en poche, je flânais sur la promenade des plages, allant de la Chambre d’amour à la Madrague. Il faisait frais, mais le soleil me chauffait le dos à travers la toile de ma veste d’officier. Tout en jetant des regards aux vagues de grosse taille auxquelles peu de surfeurs osaient s’attaquer, je réfléchissais à la réception de mon livre, Contre le Peuple. On ne comprendra pas mon propos selon lequel le peuple n’existe pas, me disais-je, tout comme on ne me comprend pas quand j’avance que le monde n’existe pas. De même qu’on refuse de voir que ce qui existe réellement, à savoir le hasard, le temps, la mort, entrave l’avènement d’un monde qui suppose finalité et pérennité, de même refusera-t-on de voir que ce qui existe aussi réellement, à savoir des individus et des groupes sociaux en guerre les uns contre les autres, ne permet pas la formation d’un peuple qui suppose une volonté générale tendue vers des fins communes. Les deux mirages ontologiques du monde et du peuple partagent la même invulnérabilité face à la critique non d’un point de vue intellectuel mais affectif. On peut admettre que l’idée de monde repose sur une téléologie et l’idée de peuple sur une cristallisation, mais à peine aura-t-on donné son assentiment aux arguments qu’on s’empressera de les censurer en raison d’une sensation de danger de perte imminente. Il est rare qu’un raisonnement produise la fin d’une illusion. Au contraire, il la renforce. Concernant la notion de peuple, les esprits qui prétendent défendre les intérêts de cette chimère, je pense notamment à bon nombre d’intellectuels «engagés», auraient trop à perdre s’ils cessaient d’y croire. Car, bien sûr, ce n’est pas la cause dudit peuple qu’ils défendent, mais la leur. Le militantisme distrait de l’ennui et console les déboires. En se portant solidaire du malaise social des classes inférieures — nommées avec démagogie le «peuple» — on s’imagine donner un peu d’allure à ses petites misères personnelles. L’idéal de la cause du peuple appartient aux illusions vitales dont parlait Nietzsche grâce auxquelles on pare son ressentiment propre et son activisme gesticulatoire d’un sens social, politique, historique. Le peuple n’existe pas mais son idée est pathologiquement indestructible me disais-je en apercevant deux jolies qui s’étaient dénudées pour plonger dans la vague du bord. Instantanément, je ne pensai plus à mon factum et enviai l’océan.
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lundi 23 novembre 2020
De l'indestructibilité des mirages ontologiques et politiques
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