Je viens de terminer la lecture du livre de Jérôme Leroy : Le Bloc.
La France a pris feu. Le pouvoir en place en appelle à un parti d’ordre qui attend son heure depuis des années: Le Bloc patriotique. Dorgelles, son vieux leader, en a laissé la direction à sa fille Agnès. Tandis que les images des émeutes passent en direct à la télévision et qu’un petit compteur sur un coin de l’écran affiche le nombre des morts, cette dernière négocie avec le chef du gouvernement l’obtention d’une dizaine de postes ministériels. Ce sera un putsch en douceur, sans armée, mené par une belle femme brune, à la fois martiale et sensuelle.
Pendant ce temps-là, quelque part dans Paris, deux hommes monologuent. L’un dans son appartement, l’autre dans un boui-boui.
Le premier, c’est Antoine Maynard. Intellectuel fasciste, polémiste redouté, lecteur de Baudelaire, de Cravan, de Vailland, de Brasillach, de Drieu et amateur de castagne. Il a épousé Agnès. Il est fou d’elle et c’est réciproque. Le second, c’est Stankowiak, dit Stanko. Chef des nervis du Bloc, fétichiste des armes, spécialiste des arts martiaux et anti-métèques primaire. Maynard et Stanko sont frères de combat. De sang. En juxtaposant les deux récits, Jérôme Leroy retrace les trente ans de guerre politique d’un groupuscule qui, in fine, deviendra un parti gouvernemental.
Depuis Nada, de Jean-Patrick Manchette, je n’avais pas lu de « polar » aussi costaud. Costaud : dans le sens où le roman tient ses promesses de violence, mais aussi dans le sens où ce qu’il montre, le milieu de l’extrême-droite française, s’appuie sur une connaissance historique solide. Comme Jérôme Leroy écrit avec brio et précision, il piège le lecteur qui éprouve vite de l’empathie pour ces affreux qui ne sont pas tant des militants politiques que des aventuriers de l’apocalypse partageant la haine des tièdes, le goût de l’amitié virile, la passion de la tension. Une même bête enragée les a mordus.
À ce roman noir, des bonnes consciences imputent à crime sa neutralité morale. Qu’elles se rabattent, en ce cas, sur des contes bleus. Au reste, de quoi faudrait-il s’indigner ? Jérôme Leroy décrit des hommes qui veulent s’emparer de l’Etat, passent des alliances, se trahissent et s’entretuent, comme cela se passe chez leurs ennemis démocrates. N’est-ce pas rassurant ?
Depuis plus de quinze jours que je lis les très nombreuses critiques consacrées à « Le Bloc » de Jérôme Leroy, voici celle que j’aurais rêvé d’écrire si je savais écrire. Et cela en serait presque rassurant.
RépondreSupprimerJe dis: Le Bloc est un roman sur le monde d'avant. Ou plutôt un grand roman sur l'instant précis où l'on change de monde.
RépondreSupprimerJe dis: on peut écouter la bande son du Bloc sur le blog de mon écrivain principal Feu sur le quartier général.
Je dis: Le Bloc et Le Blog.
Je dis: Je meurs au bas de la page 293 mais pour ceux que ça intéresse: ça va.
J'ai eu des amis qui ressemblaient aux personnages de ce roman, que vous me donnez envie de lire, cher Schiffter. Je trouve qu'il y a beaucoup d'illusions chez ces intellectuels fascistes et même monarchistes, et souvent le défaut d'être antisémites, ce qui est pour moi rédhibitoire. Ils posent la question avec trop d'assurance (certains sont très croyants), alors que moi, plutôt pyrrhonien, je me suis senti attiré finalement beaucoup plus par une gauche libertaire, et (cela ne va pas vous faire plaisir, cher Schiffter, mais je le dis parce que c'est comme ça) la synthèse opérée par Guy Debord plus que tout autre penseur, dans la très courte oeuvre duquel je retrouvais au fond "le grand style de l'époque". Je n'en dirai pas plus, mais reconnaissez que vous posez la question, et intelligemment à mon sens. Peut-être qu'un jour vous vous rendrez à l'évidence que Debord n'était pas seulement un "atrabilaire". Mais un grand nihiliste nécessairement clairvoyant.
RépondreSupprimerCordialement dans le désaccord et l'accord !
Et voilà,
RépondreSupprimerVoilà typiquement le genre d'article qui va semer la pagaille dans l'ordre de mes lectures. (C'est que par chance, dans une foire aux livres, j'ai trouvé pour pas cher des Lesou, des Bastiani et un Manchette "Morgue pleine" que je n'avais pas lu... J'avais prévu de m'enquiller tout ça à la queue leu leu.)
Mais ce livre de Leroy me revient régulièrement! Une chronique par-ci, un article par-là... Cet ouvrage devient irrésistible. On craint et l'on désire, avant même de les rencontrer, d'être en empathie avec ces personnages. Petit lecteur aimant les pièges et le soufre je me sens disposé à devenir proie, otage. Quant à la "neutralité morale", non mais dites, elle fait partie du dispositif. Je compte beaucoup sur elle!...
Sur ce je file chez mon libraire! Avec cet engouement il serait bien fichu de me faire mariner quelques jours...
31 octobre 2011 11:45
Cher Delarge,
RépondreSupprimerJe ne comprends pas où vous voyez un rapport philosophique entre la pensée nihiliste et Debord — qui, en bon hégeliano-marxiste, assignait un sens à l'Histoire.
Il y eut autant d'illusions chez lui que chez tout autre intellectuel engagé à droite ou ailleurs.
Je vous accorde que le Debord des années quatre-vingt passait mieux que celui des années soixante parce qu'il n'était pas tant révolutionnaire que conservateur. En creusant une veine nostalgique — cualquier tiempo pasado fue mejor — il trouva une meilleure inspiration pour "détourner" les auteurs. Avec le temps et la maladie, son goût littéraire devint plus sûr. Mais, comme bien des autodidactes, il ne put éviter un pédantisme et une grandiloquence un rien précieuse — où d'aucuns crurent voir la marque d'un grand style. Il ne vient jamais à l'esprit de ses admirateurs de se dire que si Debord écrivait comme le cardinal de Retz c'est tout simplement parce qu'il le recopiait.
Au reste, des points de vue humain, stylistique et philosophique, je préfère La Rochefoucauld à Retz. Le premier fut nihiliste, l'autre non.
Félicitations pour ce compte rendu qui est à la hauteur du livre, et pour ce titre que j'aurais aimé trouver tout seul, qui établit le lien naturel avec Manchette (plutôt L'affaire N'Gustro que Nada, dans ce cas précis).
RépondreSupprimerLe commentateur qui signe "Stanko" a parfaitement saisi l'une des trouvailles stylistiques du roman. J'aurais tendance à penser qu'il s'agit de Jérôme himself...
Cher Schiffter, j'aurais beaucoup à dire sur cette analyse, que je considère presque de mauvaise foi, veuillez m'en excuser. Debord était-il un "bon hégéliano-marxiste", comme vous le dites péjorativement. Cet autodidacte avait lu ces auteurs, mieux et davantage que certains diplômés (un autodidacte a le TEMPS de lire, en effet, puisqu'il a la chance de ne pas travailler). Dans "La Société du Spectacle" il évoque l'Histoire au moment même de sa décomposition moderne. Une seule petite citation : "C'est parce que l'histoire elle-même hante la société moderne comme un spectre, que l'on trouve de la pseudo-histoire construite à tous les niveaux de la consommation de la vie, pour préserver l'équilibre menacé de l'actuel temps gelé." (Thèse n° 200) Vous voyez donc par cet exemple qu'il n'était pas dupe; et d'ailleurs ses ennemis le traitaient volontiers de nihiliste à cause de cela, sauf vous pour qui cet adjectif (comme pour moi) est une qualité.
RépondreSupprimerJe parlais de "grand style de l'époque", car Debord écrit dans ce même ouvrage qu'il est dirigé vers la révolution - et à l'époque des sociologues conformistes, qui ne savent pas écrire, comment lui donner tort en effet ?
J'ai beaucoup lu Retz et aime La Rochefoucauld, et ne croit pas qu'on puisse dire que Debord recopiait le premier. Par contre, c'était aussi indiscutablement un moraliste.
Debord a peu écrit ( mais beaucoup lu, et beaucoup bu) et son style s'est acclimaté aux âges qu'il a traversés.
N'oubliez pas, cher Schiffter, qu'il s'est suicidé. Quel meilleur preuve de nihilisme aurait-il pu donner, sinon dans ses rares livres qu'il faut lire avec attention, même si ce n'est pas toujours facile.
C'est vraiment un auteur qui devrait figurer dans votre panthéon, et pour je ne sais quelle raison vous n'en démordez pas !
Lisons Debord, cher Schiffter ! Merci de m'avoir répondu, non sans ce talent qui est le vôtre, mais sans me convaincre pour autant ! Je m'arrête là car "l'éloquence continue ennuie", comme disait un autre grand moraliste.
Bonne soirée à vous.
A partir du 2 novembre le vieux m'envoie au "104" pour sonder les gars de Vendôme.
RépondreSupprimerJ'y serai.
J'y serai avec George WF Weaver, Joël H. et mon petit Alfonso.
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