Dimanche dernier, les critiques de l’émission Le Masque et la Plume ont défendu mon
livre à l’exception de l’un d’entre eux qui a cherché à dire combien il ne
fallait pas l’aimer parce que, selon lui, j’étais de droite et nietzschéen.
L’amusant, est qu’il n’est pas le premier à considérer que je suis de droite, moi
qui conserve pour Marx, le philosophe et le pamphlétaire, une admiration
intacte. La guerre des classes continue plus que jamais et je reste nostalgique de la
violence poétique de Ravachol et de Bonnot. Quant à mon nietzschéisme, ceux qui
me lisent savent en quelle estime je tiens le maboul de Sils-Maria. En réalité, comme souvent avec les types qui
m’attaquent, le critique a montré que c’était moins mon bouquin que ma personne
même qui lui flanquait de l’urticaire, notamment qu’il n’a pas dû supporter le
fait qu’on me trouvait un physique d’acteur de la Nouvelle Vague — compliment
qu’avec la meilleure volonté ou la plus mauvaise vue du monde on ne peut lui
adresser.
Dans la même émission, j’ai entendu aussi Michel
Crépu qui ne comprenait pas pourquoi je me coiffais du qualificatif de
«nihiliste» alors que tout semblait démontrer le contraire dans mon
livre. Pourtant ce récit exprime mon nihilisme mieux que mes essais. Par ce
terme je n’entends pas une mystique de la mort et de la destruction,
ni ce que Nietzsche définissait comme une fatigue de la vie, ni ce que
Heidegger assimilait au triomphe de l’arraisonnement technique et marchand du
monde, mais, très simplement, comme la
vive sensation que tout ce qui existe n’a pas d’être. Je ne dis pas que
rien n’existe mais que rien (nihil) n’a d’être, c’est-à-dire de permanence ou
de solidité ontologique parce que tout ce qui existe est voué au hasard, au
temps et à la mort. Naturellement, de pareille vérité tout le monde
est convaincu mais personne n’en veut rien savoir, passant ainsi à côté de ce
qui est beau, précieux, rare et prompt à disparaître sans ordre de passage. Compris en cette acception, le nihilisme est une philosophie sentimentale sans illusion et
sans espoir, oscillant entre le rire de Démocrite et les larmes d’Héraclite.
Un soleil froid et sec est revenu. Enfin. Les
tempêtes ont beau être balnéaires, comme mon nihilisme, je trouve que, quand
même, l’hiver, elles manquent de discrétion.
Vous avez raison de faire cette mise au point et cette mise au point me plaît. Cordialement. Francine
RépondreSupprimerJe viens d'écouter la partie de l'émission concernant On ne meurt pas de chagrin. Accablant. Même ceux qui le défendent semblent ne pas l'avoir lu... C'est dire le sérieux de ces gens-là. Quant au petit marquis Viviant, ça sent la mauvaise foi, la bassesse, la jalousie, une rivalité imaginaire, AV se considérant certainement comme un séducteur... Ne revenons pas sur l'idéologie qu'il vous prête, vous êtes on ne peut plus clair. Contredit et à bout d'idées, il se rabat sur le titre "à la Marc Lévy". Comment oser avancer ce type d'argument quand on a soi-même publié des choses répondant aux titres suivants : Encore mort déjà vivant, Le Génie du communisme, La Vie critique ?
RépondreSupprimerCher Frédéric,
RépondreSupprimervotre billet, comme à l'accoutumée, est on ne peut plus clair et élégant. J'aime vous savoir oscillant entre Démocrite et Héraclite, ce qui, je pense , est la vérité de la vie, même si je n'aime pas ce mot de vérité. Il me fait peur. Je vous parlais, dans un message précédant, de Comte-Sponville, et vous me laissiez entendre votre peu de considération pour cet auteur. Ne vous déplaise, je crois vraiment que ce dernier rejoint, dans son dernier opus, les thèmes qui vous sont chers. N'en prenez pas ombrage, bien au contraire. Réjouissez-vous qu'un philosophe "académique" finisse par rejoindre vos vues. Avec les années, et les coups de la vie, sa philosophie finit par ressembler à la votre. Tragique, inconsolée, aporétique, sceptique et humble. Autant dire, toute sensibilité mise à part, que vos différences se réduisent comme peau de chagrin. Mais de cela, cher Frédéric, vous ne mourrez pas...
Bien à vous. Eric (ne me dites pas que je m'ennuie, cela ferait redite)
Cher Éric,
SupprimerMonsieur Dédé Sponville ne m'aime pas du tout. Il l'a fait savoir à un type qui fut notre éditeur commun. Il l'a même écrit dans un long article de dernière page d'un numéro de L'Imbécile. Il s'était senti visé, à juste titre, en lisant mon Blabla . Vous dites qu'il est injuste avec Cioran. C'est cette faute de goût intellectuelle qui, avant toute autre considération, condamne le bonhomme à mes yeux. De plus quand on le lit, on entend sa voix nasillarde de sorbonneux. Enfin, je vous rappelle qu'il a écrit La plus belle histoire du bonheur. Je m'étonne que ce Monsieur Homais du matérialisme vous séduise…
Bien à vous,
FS
Cher Frédéric,
Supprimerje reconnais en vous le lecteur total lorsque vous parlez de la voix nasillarde de Comte-Spoville. En effet, son "habitus" sorbonnard résonne à chacun de ses textes. Je voulais juste souligner, simple quidam, que son dernier texte balançait plutôt de votre côté. Mais je suis d'accord avec vous, son incapacité à comprendre Cioran manifeste à mes yeux une forme de dogmatisme philosophique dont je vous sais exempt.
Vous êtes un littéraire lucide, ce que j'apprécie grandement. Je n'ai rien à voir avec les coteries parisiennes. Je me contente juste de vous dire ce que je ressens.
Merci encore pour vos livres qui m'aident à vivre. Comme ce cher Cioran, vous pratiquez un nihilisme thérapeutique qui vaut mieux que des leçons de sagesse.
Portez vous bien. Eric
Cher Éric,
SupprimerVous avez l'air de penser qu'il y aurait entre Dédé et moi des bisbilles de parisiens. Comme vous, je n'ai rien à voir avec les coteries parisiennes. J'habite au bord d'une plage du Pays basque où Dédé ne fout jamais les pieds. Son hostilité à mon égard n'est pas mondaine, elle est éminemment "philosophique" dans le sens qu'il donne à ce mot. Autrement dit, je ne suis pas pour lui un philosophe — ce en quoi je lui donne entièrement raison, et ce pourquoi je l'emmerde.
Bien à vous,
FS
Beaucoup se disent écrivains ou philosophes alors qu'il ne s'agit que de commerciaux qui essaient de vendre leur prose. Ces personnes se dispersent dans les médias. Elles n'ont plus le temps de penser et de se consacrer à la page blanche....
SupprimerVotre livre sentimental n'a, selon moi, besoin ni de défenseurs, ni d'admirateurs béats. Il est là. Point.
RépondreSupprimer(écrire un commentaire ...)
Pour ce que vous dites du climat (il parait que les vieux retraités ne parlent plus que de ça), moi, grand admirateur de l'Hiver, et haïsseur farouche de l'été et de sa prétention, je vous donne raison. Etant, hélas, plus qu'à mon tour détestable et haïssable, surtout à mes propres yeux, je déteste tout ce qui l'est. Et qui ne montre pas la circonspection pacifique d'un printemps (ou d'un automne) enfin mesuré et parfait.
Ceci dit, j'ai bien aimé lire votre livre puisque je l'ai fini et que je ne vous en tient pas rigueur.
AL.
Arnaud Viviant est le fils caché de l immense Sollers !!! S'il n'y avait qu'une chose à retenir avec Schiffter, c'est qu enfin avec lui je découvre des mots qui me caractérisent. Nihilisme, flemme, etc... Je suis moins paumé avec lui et ça suffit !
RépondreSupprimerCher Frédéric,
RépondreSupprimerIl a parlé d'ANARCHISME de droite. Dans sa bouche, c'est une forme de dédain absolue.
Ayant lu dans ma jeunesse Les Inrocks - c'est à dire les années 90-, j'ai parcouru les articles de Viviant chaque semaine. Il est, avec d'autres, celui qui m'a écœuré de cette revue.
Mais vous oubliez quelque chose d'important : il est en adoration devant Guy Debord...
Il ne pouvait pas vous rater.
Viviant est punk depuis sa naissance ! Un peu de respect pour sa mollesse !!!
SupprimerJ'ai lu hier votre remarque amusante sur le physique peu avantageux de monsieur Viviant, et ensuite, par hasard, Montaigne dans le livre troisième des Essais , je cite « Il n'est rien plus vraisemblable que la conformité et relation du corps à l'esprit ». Montaigne précise ensuite que la laideur peut aussi revêtir une âme très belle « La Boétie était de ce prédicament ». Viviant est-il de ce prédicament ? Porte-il sa bedaine avec grâce ? Il devrait faire un peu de footing.
RépondreSupprimerOui. Ou du surf. Abdos. Pectoraux. Dorsaux. Triceps. Deltoïdes. Joli teint. Il pourrait ainsi escamoter sa vilaine petite âme ventrue.
SupprimerConcernant Viviant, ses oeuvres et les critiques ci-dessus émises, je dirais :
RépondreSupprimerad hominem, oui et toujours mais, per corporem, je botte en touche.
Cher Ami,
RépondreSupprimerJe viens d'écouter le Masque. L'ensemble est clairement élogieux, juste et de bon ton selon moi.
Viviant, que je viens de découvrir est déjà recouvert tant il n'y a pas dans son propos, l'ombre d'une analyse ou d'une critique littéraire. Un tel degré de nullité dans l'argumentaire de ce type ne fait pas l'honneur du service public ! Je l'ai déjà effacé.
A propos du nihilisme :
J'entends bien la façon dont vous le définissez. En fait, vous l’avez vidé de sa substance, ce qui n’est pas pour me déplaire. Car ce n’est plus une définition mais un constat que vous opérez, un énoncé de fait : tout passe. Héraclite, l'atomisme, Bouddha, le taoïsme, Montaigne, Nietzsche ne disent pas autre chose et ne sont pas nihilistes pour autant. Ils ne procèdent pas du langage ou d'un postulat selon lequel l'idée de substance devrait précéder la découverte de la nullité ontologique. Ils se placent du point de vue du réel, de ce qui se passe, des processus et non d'une représentation d'emblée falsifiée. Leur référent n’est donc pas l’Être mais le « il y a ». De ce point de vue, le mot "nihilisme" ne signifie plus rien puisqu' "il y a" des phénomènes passagers, de l'interdépendance et de la vacuité, de la mobilité, de la complémentarité, du hasard, de la destruction et de la création. "Il y a" comme dit Conche (je ne veux pas reprendre le mot d'Heidegger) et cela suffit.
Pourquoi faudrait-il se déclarer opposé à toute idée de substance ou d'Être dès lors qu’on sait qu'il n'y en a pas ? Ce terme - nihilisme, est ici, inopérant sauf à entretenir une subtile et secrète connivence avec le référent visé : l’être (par exemple, je m'en vais casser la baraque ou la gueule des prédicateurs et autres bonimenteurs idéalistes, les emposteurs de ce monde et de jadis, ce qui, au passage, permet de réifier l'ennemi donc de le garantir dans son "essence", dans son langage, dans son être, et réciproquement, dramatique logique binaire).
C'est dans cette dernière veine que le nihilisme philosophique peut signifier quelque chose parce qu'il ne s'arrête pas au seul constat , ne serait-ce que par l'investissement et la mobilisation qu’il entretient pour la question de l'anéantissement et de la destruction des représentations et de certaines valeurs, ce qui n'est pas, selon moi, étranger à la jouissance donc à la pulsion de mort .
En somme, il me semble que cette philosophie sentimentale, sans illusion, tragique et sans espoir que vous pratiquez, à laquelle je souscris volontiers, oscillant entre l'hilarité de Démocrite et les larmes d'Héraclite manifeste une tonalité plus légère et plus grave qu’auparavant, d'autant plus juste à mes yeux qu'elle accueille avec le même degré de vérité, le chagrin, la joie, la tristesse et le rire, autrement dit, la vie sous ses multiples modalités. C’est qu’en effet, on ne meurt pas toujours de chagrin…et que d’un lourd chagrin peut naître une œuvre ce qui, du point de vue de la vérité relative, n’est pas rien.
A bientôt cher Frédéric.
Non, cher Démocrite. "Nihilisme", le mot est bon. Ce qu'on appelle l'Être ce n'est rien. C'est comme ça. Rien.
SupprimerAmitié,
F.
Oui. Pas d'être. Et encore moins de Moi. Pas de monde non plus. En ce moment je lis Silvia de Berl. L'auteur se prenant lui même comme témoin, dénonce ces impostures par son propre exemple. Rien de nouveau dit l'Ecclesiaste. Rien de durable non plus. Une gifle à tous ceux en qûete frenetique de leur Môa. Le mot 'Nihilisme' les desespère. Ce qui rend l'industrie des psychotropes euphorique. Pierre L.
SupprimerA dire vrai, j'ai hésité à poster ce commentaire. Je me doutais un peu de la réponse. J'aurai au moins essayé de prolonger un peu la réflexion...
RépondreSupprimerA très vite Amigo
D
D
Cher Pierre,
RépondreSupprimerPas de moi..ah non!!un moi fluctuant,changeant,etc...et pourquoi pas nihiliste .Sans tomber dans de la psychologie primaire ,comment expliquez vous alors ce goût biographique de notre ami Frédéric Schiffter ? par pitié pas un retour existentialiste et idéaliste à la Sartre et au blabla qui lui aussi,pas à une contradiction près , nous avait offert ce splendide récit,les mots.
Bien à vous.Michel
Cher Michel,
RépondreSupprimerJe répondrai par Montaigne :
"Me peignant pour autrui, je me suis peint en moi de couleurs plus nettes que n'étaient les miennes premières. Je n'ai pas plus fait mon livre que mon livre m'a fait, livre consubstantiel à son auteur, d'une occupation propre, membre de ma vie ; non d'une occupation et fin tierce et étrangère comme tous autres livres. "
Bien à vous,
FS
Merci pour cette si belle et si éclairante citation.
SupprimerBien à vous.Michel
Ou "Je ne peins pas l'être, je peins le passage". Une autre parmi beaucoup formules , bien plus violentes parfois, que Montaigne utilise. Pierre L.
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