samedi 21 décembre 2024

Merci à l'Académie du Sabotage


Après avoir reçu le prix Jules Bonnot 2024, mon Précis est une fois de plus honoré. 


Très estimable Frédéric Schiffter,


Chaque année, les membres de notre discrète académie se réunissent dans un lieu tenu secret afin de récompenser un ouvrage qui conforte chez ses lecteurs une allergie à cette activité sans aucune valeur appelée «travail» et, partant, les encourage à s’y soustraire par tous les moyens, même légaux. Trop rares sont les incitations à ces formes de sabotage telles que, entre autres, l’absentéisme, la démission silencieuse, le chômage volontaire, le cheficide, le je-m’en-foutisme actif, pour que nous ne les saluions pas, d’autant que vous les donnez à lire dans une écriture claire et distincte. Le style ne doit pas sentir la sueur. Votre précis sent le frais. Puisse-t-il oxygéner le cœur des forçats du salariat.

 

 

Anne de L’Estagnas

Secrétaire éphémère 

   de l’Académie du Sabotage   

 


 

samedi 14 décembre 2024

Note sur les réactionnaires du dimanche


Pourquoi une tête plate, semi instruite, voire diplômée, bêtement de droite, cherche-t-elle à apparaître comme «réactionnaire»? Parce que c’est plus chic. En se prétendant réactionnaire, la tête plate pense qu’elle confère à ses opinions d’épicière partisane de l’ordre une allure plus noble. Si elle vote Sarkozy, Macron, Le Pen, Zemmour, en déclarant qu’elle se coiffe de tel ou tel auteur qu’elle n’a pas la capacité de lire comme Péguy ou Bernanos, le plus souvent elle cite par ouï-dire Muray, Camus (Renaud), Millet — qui serait davantage à son niveau. Vraiment réactionnaire, la tête plate connaîtrait bien les «prophètes du passé», comme les appelait Barbey d’Aurevilly, à savoir de Maistre, Bonald, Chateaubriand, auxquels j’ajouterais Schopenhauer, Nietzsche et Baudelaire, et, pour aujourd’hui, les visionnaires Cioran, Albert Caraco, Nicolás Gómez Davilá. Ce que ne comprend pas la tête plate, toute à sa culture littéraire de seconde main, c’est que fréquenter les œuvres de pareils écrivains n’a pas pour but de se démarquer du progressisme, de la bien-pensance, du «politiquement correct», de la doxa bêtement de gauche, mais de s’adonner au plaisir de chouanner en solitaire dans sa chambre contre l’époque présente sachant qu’elle a hérité, sans exception, des ridicules des époques passées, et ce, depuis la préhistoire.

 


 

samedi 7 décembre 2024

Entretien donné à Actualitté

 


Comment décide-t-on de s'attaquer à cette grande idole de l'époque, le travail?

 

J’ai eu un geste de légitime défense. Le travail qui tue, qui aliène, qui vole du temps, est sacralisé par les capitalistes et les économistes. Leur pouvoir est une agression. On lira mon livre comme un manuel qui rappelle ce que signifie l’aliénation, en quoi consiste l’exploitation, pourquoi le travail est un esclavage. 

 

 

Pourquoi un abécédaire? 

 

L’abécédaire est la forme adéquate d’une exposition raisonnée des termes utilisés par les esclavagistes modernes qui, dans un français appauvri, farci d’anglais, expriment des modes de domination et d’humiliation des salariés. 

 

 

L’influence marxiste est assumée. En quoi cette approche est pertinente pour parler du travail en 2024?

 

Marx est un philosophe et un écrivain que les ignares déclarent dépassé alors que son analyse du monde moderne est plus que jamais d’actualité. Encore faut-il le lire. Au lieu d’influence marxiste, je dirais: influence de Marx, car l’auteur du Capital lui-même récusait l’adjectif «marxiste». De plus, les mêmes ignares font de Marx le père du modèle soviétique russe ou chinois. Or la critique de l’aliénation par le travail, telle qu’elle occupe son œuvre, s’applique aussi à ces États qu’on peut désigner comme des formes de capitalisme bureaucratique. Marx dirait que l’esclavage salarié est planétaire. J’ajoute que mon Précis cite aussi les belles plumes de l’individualisme — Georges Darien, Émile Pouget, Herman Melville, Paul Lafargue (le gendre de Marx) —, et des auteurs latins allergiques au labeur — Cicéron, Pline le Jeune, Sénèque.  

 

Finalement, c’est au salariat que vous en voulez, que vous opposez à l’artisan. Quel est le problème avec l’entreprise hiérarchique, cette «grande famille»?

 

L’artisan est l’homme d’un savoir-faire. Dans le monde de la marchandise et du salariat généralisé, son métier est rabaissé au rang d’emploi. Le terme d’employé est éloquent. On emploie les gens, autrement dit on les utilise. Les métiers se perdent dans la classification impersonnelle des fonctions et des «jobs». Il n’y a plus d’instituteurs ni de professeurs mais des enseignants. Il n’y a plus de médecins ni d’infirmiers, mais du personnel soignant. Etc. Quel est le problème de l’entreprise? C’est un bagne où les salariés passent leur vie à effectuer des tâches sans intérêt et où ils endurent l’autoritarisme du management. 

 

Vous aimez également à déconstruire les mots du travail, comme «valeur». Que la sémantique nous dit-elle du travail moderne?

 

Je ne prise pas le verbe «déconstruire». J’utilise le terme de démystification. De la pointe de l’ironie, je dégonfle les baudruches verbales de la religion économique. Le travail est vécu comme une corvée, une défaite de la vie. Peut-on parler décemment d’une «valeur corvée» ?  

 

La «valeur travail» a-t-elle toujours occupé une place centrale historiquement ? Ou est-ce l'apanage de la société bourgeoise ?

 

Jusqu’à la révolution industrielle, le travail était perçu comme une activité ignoble, c’est-à-dire, au sens strict, sans noblesse. Il était dévolu aux dominés, et, bien sûr, aux esclaves. Le capitalisme naissant puis, aujourd’hui, mondialisé, en a fait une vertu. L’individu qui ne travaille pas, celui qui rechigne à entrer dans la vie dite active — le chômeur endurci, l’éternel étudiant, le marginal, l’absentéiste, etc. —, à présent le retraité, passent pour des parasites sociaux. Paul Lafargue rappelle dans son Droit à la paresse que la Révolution française a supprimé des centaines de jours fériés. «La bourgeoisie a fermé les églises pour instaurer le culte du travail», écrit-il. Et puis, de quelle «valeur travail» parlent les patrons actuels et leurs perroquets des plateaux de télévision ? Dans leurs discours, il est plutôt question du coût du travail, toujours trop élevé. La « valeur travail » est un vent de bouche voulant dire en réalité : «Vive le boulot quand il est sous-payé !»

 

C’est tout un système que vous remettez en cause, du salariat aux loisirs, en passant par le RH et la PNL. Selon vous, quelle alternative à ce système serait bénéfique pour l'individu et la société dans son ensemble ? 

 

Je rappelle que ce qu’on nomme les loisirs, au pluriel, n’ont nul rapport avec le loisir, au singulier — l’otium des latins. Les premiers sont le prolongement du travail en ce qu’ils impliquent un emploi du temps pour divers amusements — c’est-à-dire, comme l’indique l’étymologie, des agitations sans les muses. Le second est l’oisiveté où on prend le temps de se décrasser l’esprit et de s’adonner aux plaisirs de l’égoïsme, et cela, sans regarder l’horloge. Ce n'est pas innocent si les entreprises proposent à leurs salariés des loisirs stupides. N’étant pas un idéologue ni un militant, je ne vends aucune révolution. En revanche, je suggère des formes de révolte in situ contre le harcèlement, le chantage, la tyrannie des responsables, telles que l’absentéisme, la démission silencieuse (en faire le moins possible), la démission pure et simple, le sabotage, le règlement de compte avec un chef ou un DRH, ou encore le chômage volontaire. 

 

Pouvez-vous présenter Reinhardt Höhn et son apport à l'organisation moderne du travail?

 

Dans son ouvrage essentiel, Libre d’obéir (Gallimard), l’historien Johann Chapoutot évoque la figure de Reinhard Höhn, le général SS chargé par Hitler de réformer le mode de commandement dans l’armée et du contrôle dans le monde du travail. Il invente pour les casernes et les usines l’«esprit de groupe», la «culture d’entreprise», l’«initiative personnelle», l’«esprit de responsabilité», etc. À la fin de la guerre, il échappe à la dénazification — comme le lieutenant SS Hanns-Martin Schleyer qui deviendra président du patronat ouest-allemand — et fondera, en 1956, la première académie de management d’où, pendant plus de vingt ans, sortiront des milliers de cadres d’entreprises européennes et américaines. Son ouvrage, Le pain quotidien du management (1978), sera la bible du patronat mondial. Toutes les techniques actuelles de mise au pas des salariés procèdent de cette doctrine totalitaire recyclée. Le nom du nazi n’est plus cité, mais les managers, les directors, les dirigeants actuels, des secteurs privé et public, en sont, consciemment ou non, les disciples. Une raison de plus pour détester cette engeance.