mardi 3 octobre 2017

La critique n'est pas une passion de la tête mais la tête de la passion


Stefan Konarske et Auguste Diehl

En allant voir Le Jeune Karl Marx, de Raoul Peck, je supputais que ce ne serait pas un grand film. Je m’attendais à un «biopic», comme on dit, planplan mais honnête. Un peu comme le Hannah Arendt de Margaret Von Trotta. On peut faire la comparaison, en effet. Par-delà les considérations cinéphiliques, ce film m’a plu. D’abord, j’ai trouvé que les acteurs incarnant Marx (Auguste Diehl) et le jeune Engels en dandy (Stefan Konarske), étaient bien choisis. Les actrices aussi, Vicky Krieps et Hannah Steel qui jouent respectivement les épouses de Marx et de Engels — l’aristocrate Jenny Von Westphalen et l’ouvrière Mary Burns. Ensuite, il m’a semblé que Peck connaissait bien l’œuvre de Marx, ou, du moins, qu’il avait pris la peine de se documenter sérieusement sur cette période (1840-1848) durant laquelle le jeune hégélien de gauche (Marx a 23 ans en 1840) mûrit sa réflexion et sa critique du capitalisme en s’attelant à la lecture de Ricardo et de Smith. Enfin, le film est louable en ce qu’il permet de comprendre comment, bien qu’il ait toutes les polices aux trousses et suscite l’antipathie dans les milieux révolutionnaires, Marx s’impose comme le théoricien de référence du mouvement ouvrier englué jusque-là dans les marais humanistes et philistins du proudhonisme. Malgré ses imperfections, ce film m'a permis de retrouver le philosophe de mes jeunes années durant lesquelles j'avais fait mienne sa devise: Mockery and contempt. Je conserve une grande estime pour le penseur du réel, le redoutable polémiste, le cruel pamphlétaire. Marx était un écrivain. Je me flatte d’être un des rares à l’avoir lu — contrairement à nombre de têtes plates qui n’en parlent que par ouï-dire ou en évoquant la révolution russe — parce qu’on leur a dit qu’il y avait un lien entre Marx et Lénine. Pour finir, je ferai une critique majeure à Raoul Peck qui a eu le mauvais goût de terminer son film avec une chanson de ce couineur de Bob Dylan. Il eût été mieux inspiré s'il avait choisi comme ultime plan l’impression de cet extrait de lettre de Engels adressée au poète Ferdinand Freiligrath (en 1852): «Comment des gens comme nous [Marx et, lui, Engels] qui fuient comme la peste les positions officielles, peuvent-ils avoir leur place dans un “parti”? Que nous importe un “parti ” à nous qui crachons sur la popularité, à nous qui commençons à ne plus savoir où nous en sommes dès que nous nous mettons à devenir populaires? Que nous importe un “parti” c’est-à-dire une bande d’ânes qui ne jurent que par nous parce qu’ils nous considèrent comme leurs égaux?»