samedi 16 mars 2013

Du Pape (suite)


Fellini Roma (1972)

« […] Vous me demandez aussi, Monseigneur, si le Pape pourrait se recommander des conseils de gouvernement que je crois bon de prodiguer en général aux autres princes et je ne puis que vous répondre par l’affirmative. L’histoire qui est la maîtresse d’où je retire mes observations, enseigne que le Pape, autant que les autres princes désireux de conserver leur autorité suprême, doit observer la prudence consistant à utiliser le mensonge, la cruauté et la corruption. Concernant le mensonge, la tâche lui est plus aisée que dans les autres formes de gouvernement puisque ses sujets, je veux dire le peuple des chrétiens, étant d’une grande faiblesse d’esprit et fort crédules à l’égard des fables bibliques, il pourra mettre en circulation toute forme de contrevérité, de la nouvelle déformée à la calomnie en passant par les intrigues cachées. Sa cruauté quant à elle devra rester secrète quand elle a pour but d’anéantir et d’effrayer les ennemis internes de l’Église mais se parer des dehors les plus nobles et proclamer les plus saintes cautions quand elle a pour but d’anéantir et d’effrayer ses ennemis extérieurs. Comme il passe auprès de son peuple pour le représentant de l’équité divine, il n’omettra pas de faire aussi le bien par des œuvres de charité car ainsi sa cruauté en sera comme édulcorée et même ornée de grandeur. Enfin, connaissant la nature pécheresse des hommes, le Pape ne négligera pas de monnayer habilement leur servitude, ainsi que la bienveillance d’autres princes, quand pareil moyen sera plus efficient que la cruauté. À cette dernière fin, c’est avec discernement qu’il lui faut choisir des trésoriers à la fois serviables et d'une grande cupidité avisée, non seulement des hommes capables d’administrer l’immense fortune de l’Église, mais de trouver de nouvelles richesses soit par davantage d’impôt prélevé sur des terres conquises soit par la confiscation de l’or entreposé dans des terres à conquérir.  Ainsi voyez-vous, Monseigneur, que rien ne distingue le gouvernement du Pape de celui d’un autre prince. J’ajouterai cependant que si la gloire de celui-ci ne souffre pas qu’il apparaisse comme un acteur sachant dominer les hommes au gré de la Fortune, il n’en serait guère de même pour le Pape qui doit s’efforcer de paraître le lieutenant de Dieu lui-même […]»

Nicolas Machiavel
Lettre XII à Giacomo Martini


8 commentaires:

  1. Ce Machiavel est candide, direct, franc. Tout le contraire du concon.
    Ça m'étonnerait pas que son nom devienne un jour prochain un adjectif.

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  2. Quel choix délicieux que vos textes, Maître Schiffter ! Comme on le voit si bien dans ces fusées évangéliques de Joseph de Maistre et du diabolique florentin, la religion catholique est vraiment la religion par excellence des gens d'esprit. Elle doit cela, je pense, à son hypocrisie des plus transparentes, propre par là-même à aiguiser l'art de conférer. L'honnêteté morale et la suite dans les idées en matière de religion endorment l'intelligence et la lucidité. Elles ne permettent pas de reconnaître le saltimbanque derrière l'abbé ni le charlatan derrière le cardinal. Elles siéent donc aux travailleurs et aux commerçants, c'est-à-dire aux optimistes, aux protestants. Seul le catholicisme laisse sa noble place à l'art et au jeu hypocrite des apparences. Dieu veuille bien conserver pour des siècles, cette si noble institution.

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  3. Pourtant, les moyens de s'informer ne manquent pas.
    Il n'est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir :

    http://www.astrosurf.com/nitschelm/Page_noire_christianisme.htm

    Cette cécité volontaire ahurissante restera toujours un mystère pour moi...

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    1. Ce genre de réquisitoire anticlérical ne peut pas mettre fin au phénomène de la religion dans la mesure où il confond la foi et la religion. Foi et religion ont une parenté évidente mais il s'agit pourtant de choses très différentes. La foi est personnelle et privée et il est très difficile de mesurer la part réelle qu'elle prend dans les agissements de ceux qui disent avoir de la religion. La religion elle, est publique, doctrinale, légiférante, liturgique. Elle procède par messes et démonstrations bruyantes, par monuments, jours fériés, carnavals, modes vestimentaires, voiles, capuchons, que sais-je encore. Elle marque une civilisation dans son espace même et elle englobe aussi bien ceux qui disent en être par foi authentique que ceux qui en en sont par opportunisme. Les gens qui s'étonnent de voir une religion travailler à contrôler l'espace public ainsi que les consciences, fût-ce par le crime, montrent assez qu'ils ne savent pas exactement en quoi elle consiste. C'est pour cela qu'il ne sert à rien d'en dresser des bilans morbides. Le vrai croyant, l'homme de foi, se laissera toujours assez peu impressionner par les mauvais agissements de sa religion parce qu'il aura toujours l'excuse de les attribuer aux mauvais croyants et aux faux prophètes. Que ce soit à tort ou à raison d'ailleurs. Voyez les débats au sein de l'Islam aujourd'hui. Chacun y va de sa lecture. Chacun s'en dit le vrai dépositaire, celui qui a mieux compris que le voisin. Entre temps on compte les morts ... Et puis d'ailleurs pourquoi en vouloir particulièrement aux religions ? L'homme a tué et massacré au moins autant sinon plus au nom de querelles territoriales, d'affaires d'état ou d'idéologies souvent athées : qu'on pense au communisme ou au nazisme. Et pourtant on n'a jamais entendu qui que ce soit remettre en cause la légitimité de l'institution étatique ou de la pensée politique. Vous pourrez toujours rappeler le nazisme à un Allemand, il n'en restera pas moins fier de son Allemagne, tout en ayant certainement par ailleurs, des vues particulièrement inamicales à l'égard du catholicisme coupable, à ses yeux, d'ô combien de crimes ! Il n'y a donc en la matière ni cécité volontaire ni mystère. Juste l'Homme qui est, à la fois, prêt à tout pour espérer malgré une existence clairement absurde, et prêt à tout pour tuer son semblable quitte à trouver par après une pseudo justification : l’État, la race, la patrie, les travailleurs, la démocratie que sais-je ? Pourquoi pas la religion ? Dans le texte que vous nous avez soumis, le cas des religieuses rwandaises est à ce titre très éclairant me semble-t-il. Tout porte à croire que si ces personnes ont commis des crimes, c'était suivant une logique raciste (le conflit rwandais était ethnique et non religieux). Et pourtant, votre croisé anticlérical a voulu voir là-dedans un agissement religieux, pratiquement dicté par le Pape en personne. C'est vous dire ! Il existe un voltairianisme exagéré qui nuit tout autant à l'esprit que le fanatisme religieux exacerbé.
      Je pense pour ma part qu'il n'y a de solution que dans un athéisme moqueur, lucide et bienveillant.

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  4. Je n'ai peut-être pas été assez claire, dans mon message précédent...

    Je reformule donc mes propos.

    Au fil des siècles, l'Eglise, dont l'enseignement principal est : "aime ton prochain comme toi-même", a utilisés des procédés qui entrent en contradiction flagrante avec ce précepte (agressions, exécutions, tortures, massacres...)

    Il s'agit non seulement de faits isolés, imputables à tel ou tel personnage
    ecclésiastique, mais de procédés systématiques, ordonnés et mis en place par la plus haute hiérarchie.

    On peut alors se poser cette question : comment s'explique-t-il que les croyants, ceux qui en sont au courant, continuent à faire confiance, non pas à ce précepte, mais à cette institution ?

    Il serait sans doute intéressant d'entendre l'opinion d'un croyant, un athée, dans ce cas, ne pouvant faire que des suppositions...

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  5. Chère Ella,

    Je pense que vous sous-estimez la forte dénégation qui anime les croyants concernant les crimes de l'Église — dénégation en tout point semblable à celle des militants staliniens d'une époque récente. Ils connaissent très bien la nature criminelle de l'institution à laquelle ils sont affiliés, mais ils en censurent l'impact affectif ou psychique en eux. À accepter la réalité, ils perdraient trop. Ils se rassurent et justifient leur fidélité — ou leur servilité — en invoquant la distinction de l'essentiel et de l'accidentel. Par essence l'Église est porteuse d'amour; elle n'est barbare que par accident . L'essentiel est du côté de Dieu et de son message, l'accidentel du côté des hommes qui les servent.

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    1. Maître, la concision, la pureté et l'élégance de votre pensée et de votre langue ne cesseront jamais de me remplir d'admiration. Vous avez résumé en quelques mots ce que j'ai maladroitement essayé de faire passer dans ce qui est sans doute le commentaire le plus long de ce blogue ! Du grand style, vraiment. Je ne peut que m'incliner.

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  6. Merci, Frédéric Schiffter, pour votre éclairage.
    Il s'agit probablement de servilité, car, lorsqu'on a trouvé l'essentiel on ne s'encombre pas de l'accidentel !

    :-)

    Bien à vous,

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