mercredi 31 octobre 2012

Le plaisir de rabaisser


Jacques Truchet note que "le mérite des Maximes est qu'elles empêchent de dire un certain nombre de sottises". Or, dans le dernier Philosophie magazine consacré à La Rochefoucauld, Louis Van Delft se permet d'avancer que le moraliste "est un résistant, un ”indigné”, un militant", menant croisade contre les "apparences" et autres "impostures". Ce monsieur s'égare. Nous lui rappellerons que le dessein du vieux samouraï libertin et stylé n'est pas d'édifier les hommes, encore moins de les éclairer, mais, en passant, de les démoraliser tant leur vice le plus funeste est de croire en eux-mêmes.

P.S.: Nous conseillons aux abonnés de notre blogue désireux de visionner la petite vidéo ci-dessus, de couper le son afin de n'être pas importunés par une musique grandiloquente.

14 commentaires:

  1. Cher Schiffter,

    Votre texte sur notre cher La Rochefoucauld peut se comprendre de deux façons : soit vous avez voulu comparer La Rochefoucauld à « un vieux samouraï libertin et stylé » — ce que je crois en fait —, et, dans ce cas, c’est une image inhabituelle, mais ce que vous dites de son art et de son propos est évidemment plus juste que ce qu’en dit l’auteur de l’article, un peu débile, que vous citez et que vous mouchez justement ; soit, vous envisagez une sorte de figure — que l’on pourrait retrouver dans différentes cultures et à différentes époques — du vieux samouraï libertin et stylé, et là on pourrait discuter votre propos.

    Pour ma part, je dirais, en paraphrasant Nietzsche, que son art principal ne devrait pas tant consister à désespérer et à rabaisser son époque — il l’ignore et la dédaigne — qu’à lui résister, à l'arrêter à sa porte et à lui faire rendre compte (qu'il le veuille, peu importe, qu'il le puisse voilà le point…).

    Aux arts traditionnellement pratiqués par le samouraï — le sabre (la pensée tranchante), la poésie (la non-pensée caressante), et la calligraphie (la peinture) —, j’ajouterais ce que j’appelle les beaux-arts amoureux, le libertinage idyllique… et cette simple énumération permet déjà de comprendre pourquoi il faut toujours arrêter son époque — quelle qu’elle soit — à sa porte.

    Résister à toute son époque, l'arrêter à sa porte et lui faire rendre compte, cela exerce forcément de l'influence !

    Que cette influence s’exerce sur les rares survivants futurs des désastres en cours — si l’on voit les choses avec les yeux du cauchemar, et de Caraco —, ou — si l’on voit les choses sous l’angle du rêve — que cette influence, en passant, soit telle qu’elle inspire les humains d’aujourd’hui afin qu’ils fassent en sorte d’éviter ces désastres — est un autre point.

    Un esprit du genre du vôtre, cher Schiffter, dirait sans doute que la réponse à la question est dans sa formulation…

    Pour moi, vous savez ce que j’en pense puisque je l’ai écrit en quatrième de couverture du Manifeste sensualiste :

    « Il faut tout craindre et tout attendre des hommes, du temps. »

    À vous,

    R .C. Vaudey

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  2. Merci de nous faire redécouvrir la misanthropie salutaire du vieux guerrier.. Ma préférée demeure "Les vieillards aiment à donner de bons préceptes pour se consoler de n’être plus en état de donner de mauvais exemples. "

    Amitiés
    Luc

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  3. Bonjour, Frédéric Schiffter

    J'ai suivi une formation en littérature française, il y a un bon bout de temps, à l'étranger (pays de l'Est), pour découvrir ensuite que mon véritable intérêt portait sur la philo.
    Trop tard pour moi pour des études spécifiques, j'ai donc lu en autodidacte, ce qui comporte des inconvénients mais confère en même temps un grand avantage, celui de pouvoir penser librement, en dehors des influences de l'institution.

    Il y a quelques jours, j'ai feuilleté, dans une librairie de la FNAC, un livre intitulé "La beauté : une éducation esthétique".
    Agréable surprise ! Pour la première fois depuis longtemps un livre vivant, un livre qui me parlait, par son franc-parler, ses prises de position iconoclastes...
    Je me suis promis de le parcourir.
    Je découvrais aussi, avec enchantement, une présentation de vos autres publications.

    Et je découvre aujourd'hui votre blog...Même agréable surprise.
    L'image que vous mettez en exergue fait penser à Mallarmé : La chair est triste, hélas !
    et j'ai lu tous les livres"... Est-ce une peinture connue ?


    A propos du billet du jour : tout à fait d'accord avec vous : dire de La Rochefoucauld que c'est un indigné, un militant c'est le réduire, peut-être pour s'en servir comme argument, c'est rabaisser l'universalisme de sa vision.
    On peut, en effet, affirmer de lui que c'est un samouraï, par son idéal de la maîtrise de l'émotion par l'esprit, et un libertin par son indépendance de pensée. (La liberté, c'est l'indépendance de la pensée, Epictète)...

    D'accord, enfin, que son entreprise consiste à démolir les déguisements vertueux de l'orgueil humain.

    Je continuerai à lire avec plaisir et me permettrai peut-être des commentaires à vos billets.

    Cordialement, Sylvia

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  4. PS : Je viens de découvrir qu'il s'agit d'une peinture d'Edward Hopper...

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    1. Chère anonyme,

      On parle de ce tableau, dans les commentaires, 2 articles plus bas.

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  5. Merci, je suis allée regarder...
    Si le commentaire est de vous, je dirai que,
    normalement, le goût des filles et des livres est une chose qui ne va pas ensemble avec ennui et mélancolie, non ?...
    en revanche, le premier peut être l'effet du dernier, et alors, tant mieux,
    ou inversement, et dans ce cas,
    il ne reste plus grand chose à faire,
    à part le bouddhisme...
    encore faut-il un monastère...

    Quant à la signification du tableau,
    je viens de lire à propos de Hopper qu'un de ses thèmes constants
    est l'esseulement et l'introspection...
    Il peint le tableau à ses 77 ans.
    Sa femme Josephine note quelque part que le livre ouvert est de Platon.
    Le personnage est-il donc en train de se dire que la lumière qu'il contemple n'est que l'ombre trompeuse d'une réalité qui lui restera à jamais inconnue ?
    Hopper est une personnalité complexe.
    Il avait reçu une éducation baptiste, a passé dix ans en Europe, récitait du Verlaine, s'intéressait aux théories de Jung et de Freud...
    Il parait avoir toujours porté en lui une angoisse que le passage du temps n'a pas estompée.
    Son mariage avec Josephine, son unique modèle, peintre elle aussi, n'a pas arrangé les choses, elle était nerveuse et jalouse...
    Avec une humeur plus joyeuse et une femme plus agréable, son talent aurait donné des oeuvres différentes.
    Faut-il pour autant ne voir en ses oeuvres que l'exercice d'exorcisation d'une expérience strictement personnelle ?
    Je ne pense pas.
    Par son talent, il arrive à s'élever à un niveau de généralité qui les fait placer
    dans le domaine de l'art.
    Elles expriment les sentiments de solitude et d'inquiétude que tout un chacun peut éprouver devant la vie...




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  6. Ne voir qu’égoïsme et souci d'amour propre dans nos conduites, mêmes les plus apparemment vertueuses et désintéressées (amitié, altruisme, humilité...)? Le père de l'individu calculateur et maximisateur n'est pas un économiste, l'homo oecnomicus avait été débusqué en 1666 par La Rochefoucauld. Et s'il avait aussi tort que les économistes?

    L'auteur de ce blogue passe parfois par Genève? S'il veut participer à la déconstruction de la volonté de puissance des jeunes aspirants au métier de banquier, il sera accueilli comme il se doit pour une conférence sur le sujet de son choix à l'Institut Florimont (www.florimont.ch). Un commentaire qui vaut donc invitation.
    S Montessuit (http://florimontses.wordpress.com/)

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  7. Bonjour Monsieur Shiffter,
    pardonnez-moi, je suis un peu paresseuse, je me contente de recopier un passage de "la double pensée" de J.C. Michéa, que je trouve très éclairant.
    Le voici : "derrière l'adhésion intellectuelle au libéralisme et à la modernité, il y a toujours l'acceptation préalable, consciente ou inconsciente, de cette anthropologie pessimiste et désespérée. En d'autres termes, il y a toujours le désir, plus ou moins avoué, de considérer à priori le voisin (ou l'ami, ou le proche) comme un pécheur corrompu et un être égoïste et calculateur, dont un esprit lucide a dès lors, toutes les raisons de se méfier (...) Quand à moi, si je m'en tiens à ma seule expérience, j'aurais plutôt tendance à penser qu'une telle vision de l'âme humaine est profondément infantile et réductrice. Je me demande même parfois si elle ne relève pas tout simplement, chez beaucoup d'esprit modernes, d'un très banal phénomène de projection au sens psychanalytique du terme. Mais sans doute est-ce moi qui ai été beaucoup trop naïf en ne me méfiant pas suffisamment de mes voisins et de tous ceux que j'aime."

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    1. Bonjour Miette,
      Michéa est un rousseauiste. L'histoire nous a montré quelle était la vocation de l'optimisme anthropologique: remplir les charniers.

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  8. Good time Charlie06 novembre, 2012

    " Parmi les hommes voués à l’examen de la nature humaine, les moralistes surtout se sont pressés de tirer des conclusions de belle apparence ; ils s’en sont tenus là, et, par conséquent, ils se perdent dans les phrases. On ne se rend pas très-bien compte de ce que vaut un moraliste, à quoi il sert depuis le temps que cette secte parasite s’est présentée dans le monde ; et les innombrables censures qu’elle mérite par l’inconsistance de son point de départ, l’incohérence de ses remarques, la légèreté de ses déductions, auraient bien dû faire classer, depuis des siècles, ses adeptes au nombre des bavards prétentieux qui parlent pour parler et alignent des mots pour se les entendre dire. "

    Toute ressemblance avec certain phylosophe serait purement fortuite, il va sans dire.

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    1. Goudetailleme,

      Elle n'est pas un peu bavarde la remarque de votre censeur anonyme?

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  9. @ GT Charlie

    Vous citez Gobineau :

    http://fr.wikisource.org/wiki/Nouvelles_asiatiques/Becque/Introduction

    Il s'en prend aux européens de son temps qui mesurent les asiatiques à leur toise.
    En cela, il a raison.
    Là où il a tort c'est d'étendre cette critique, par des affirmations péremptoires,
    à tous les écrivains qui critiquent les défauts des êtres humains.

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    1. La Rochefoucauld ne critique pas les "défauts" des êtres humains. Il ne les juge pas. Pas la moindre trace de moraline dans ses Maximes . Il dissèque avec sagacité et humour les rouages de notre psychisme. C'est Freud version Grand Siècle. Mais pour comprendre son œuvre, même si cela moleste la pulsion de simplisme des têtes plates, il convient de la lire et de la replacer dans le contexte intellectuel qui était la sienne, où libertins et augustiniens dialoguaient avec amitié.

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  10. JC Michéa, voilà un texte qui fait sourire...

    Il ne s'en aperçoit donc pas qu'argumenter contre le pessimisme en ne se tenant qu'à sa seule expérience est une vision "infantile et réductrice"...

    Sylvia

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