samedi 12 mai 2012

No se puede vivir sin amar — 12


Éric Fischl


«Elle a dû me dire une fois de plus: “C’est tout de même curieux que tu puisses ainsi me soupçonner de coucher avec des hommes.” Je lui dis : “Voyons ! Si un homme t’offrait cinq mille francs par mois, même seulement pour lui faire certaines choses, avoue que tu accepterais peut-être. Cinq mille francs par mois, c’est une somme.” Tout de suite alors, son visage défait, et une crise de larmes. Je n’ai pu que lui demander pardon, lui dire qu’une fois de plus je plaisantais. — “Oui, oui, tu dis souvent que tu plaisantes, au fond, je sens bien à ton ton que tu parles sérieusement. Comment peux-tu me dire de ces choses? J’en suis arrivée à appréhender de nous trouver ensemble. Je sais bien que tu penses cela vraiment de moi.” J’ai alors ce mot qui n’était pas fait pour arranger : “Je le pense de toutes les femmes.”»

Paul Léautaud
Journal particulier (1935)


14 commentaires:

  1. Ah ! personne ne fait de commentaires... La superbe prose, le génial bon goût ne M. Léautaud ne vous inspirent pas ? Un seul mot de ma part : merci, Frédéric Schiffter pour cette trop courte citation. Et surtout félicitons-nous qu'on édite et réédite Léautaud toujours et encore, comme c'est le cas en ce moment. Ne perdons pas une occasion de dire sa grandeur d'homme de lettres !

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  2. Réponse du Nord au Sud,

    « Un vieillard imbécile obsédé du nichon » ? Gaston Gallimard. (1)

    Calcul des plaisirs et des peines...

    A en croire ce court extrait, Léautaud considèrerait toute forme de relation aux femmes comme calcul, intérêt, mensonge, mesquinerie.

    Certes, la mondiocrité regorge de ces appétits féodaux… Il n’empêche : de là à faire une arithmétique de l’amour dont la variable s’ajuste à l’aune de sa propre misogynie relève d’une pathologie bien connue : celle de l’homo- misérabilis.

    Mais après tout – on a les femmes qu’on mérite.

    Grandeur d'homme de lettres ? … C’est à voir.
    Petitesse de l’homme d’esprit… C’est tout vu !

    Bien à vous. Virginie.


    A lire, l’article de Pierre Assouline :
    « les parties les plus intimes de son Journal en témoignent : de ce côté-là non plus, il n’était pas animé par la haine de soi. Elle se campe volontiers en grand fouteur devant l’éternel, cette pipelette priapique qui ne décharge jamais complètement si sa plume d’oie n’en a pas rédigé le méticuleux compte-rendu à la lumière d’une paire de bougies. ». (1)

    http://passouline.blog.lemonde.fr/2012/05/07/autoportrait-de-paul-leautaud-en-pipelette-priapique/

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    1. Chère Virginie,

      Pardonnez-moi, mais qu'est-ce que c'est Assouline ?

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    2. Holà, terrain miné… cher Frédéric, je ne m’y aventurerai pas.

      Petite nostalgie néanmoins pour ces temps où les matinales de France culture n’étaient pas - pour l’essentiel - pré-formatées et copiées sur leurs concurrentes commerciales.
      Je me souviens, entre autre, d’un très bel entretien à voix feutrée avec António Lobo Antunes.

      Salutations vespérales,
      très amicalement,
      Virginie.

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  3. On trouve des propos assez semblables dans la bouche du narrateur à la fin de La noia. Cela déplaira certainement aux usagers de ce blogue, mais je préfère Moravia.

    Trop occupé à frimer à la française Léautaud, pour ce que je connais de lui, n'est pas capable d'écrire à mi-voix et au fond "comprend moins bien les femmes".

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    1. Léautaud, frimeur ? Vous parlez bien de Léautaud ?

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  4. @Sud

    Votre commentaire sonnant un peu comme un reproche adressé aux autres lecteurs de Frédéric Schiffter, je fais à mon tour cette précision — bien qu'au départ le texte dont nous parlons ne m'ait pas paru en appeler : j'avais lu ce billet comme un billet d'humeur, devant être lu comme tel.
    Il est difficile de sonder les âmes à distance ; il est encore plus difficile de savoir ce qui leur donne, à tel moment, leur couleur particulière ; mais il est juste de respecter leur état— quel qu'il soit — surtout lorsque l'on respecte ceux dont elles émanent.

    Et sauf à vouloir renchérir dans la même veine, parce que l'on se trouve être dans la même humeur, on peut lire le dernier billet d'un philosophe sans qualités, nihiliste balnéaire, sans vouloir absolument — parce que l'on aurait des objections à faire — pisser sur son arbre... ou sur sa plage...

    Cela ne concerne bien entendu pas votre commentaire qui, lui, allant dans le sens de l'auteur, est pleinement justifié.

    Si j'avais dû faire un commentaire au dernier billet de Frédéric Schiffter, j'aurais dit que, mis à part l'intérêt que peut représenter en elle-même la prose de Léautaud, et le fait de la signaler ainsi à ses lecteurs, le contenu en est très daté : 80 ans, presque un siècle, autant dire, pour le XXe siècle, une éternité.

    Personnellement, je l'entends avec la voix de Sacha Guitry, dans l'un de ses films d'avant-guerre.

    Quel cadre, même appartenant au milieu littéraire ou artistique, prendrait aujourd'hui le risque de parler ainsi à une femme ?
    Et quelle femme, aujourd'hui, surchougnerait ainsi la vertu et la sincérité effarouchées ?

    À l'époque où les femmes ne votaient pas et ne pouvaient — pour les petites-bourgeoises et les bourgeoises — ni travailler, ni posséder de compte bancaire (sauf autorisation de leur mari), bref dans une époque d'un patriarcat révolu, on voit que c'était possible, et même l'usage.

    C'était aussi l'époque d'un genre qui a disparu : celui des demi-mondaines qui ont laissé la place, on le sait, aux vraies putes de haut vol pour néo-rastaquouères enrichis de la veille ou de l'avant-veille : on n'imagine pas Madame Zahia pleuroter ainsi : elle prendrait directement un jet privé pour les Émirats, et des clients plus riches et pas du tout sentimentaux.

    La cadresse, elle, planterait là son cadre, après avoir pris, sur Internet, un billet pour un quelconque paradis du tourisme sexuel pour trentenaires, quadragénaires, quinquagénaires etc., seules.
    Ou se déciderait pour la même chose mais dans le style croisière ; ou irait faire de l'échangisme sans lui.
    Bref, aucun cadre aujourd'hui ne pourrait projeter ainsi sur sa partenaire sexuelle ses misères d'enfant.
    Je ne parle pas des plus pauvres parce qu'eux ne disent rien : ils ne peuvent pas, ils serrent les dents.

    Pour les plus riches, la cocaïne et l'abondance de la chair fraîche (7 milliards d'êtres humains ((et combien de sous-sous-misérables...)), voilà encore un chiffre qui a changé depuis Léautaud...) ne favorisent pas la sentimentalité…

    à suivre.

    Vaudey

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  5. (Suite)

    La cadresse, elle, planterait là son cadre, après avoir pris, sur Internet, un billet pour un quelconque paradis du tourisme sexuel pour trentenaires, quadragénaires, quinquagénaires etc., seules.
    Ou se déciderait pour la même chose mais dans le style croisière ; ou irait faire de l'échangisme sans lui.
    Bref, aucun cadre aujourd'hui ne pourrait projeter ainsi sur sa partenaire sexuelle ses misères d'enfant.
    Je ne parle pas des plus pauvres parce qu'eux ne disent rien : ils ne peuvent pas, ils serrent les dents.

    Pour les plus riches, la cocaïne et l'abondance de la chair fraîche (7 milliards d'êtres humains ((et combien de sous-sous-misérables...)), voilà encore un chiffre qui a changé depuis Léautaud...) ne favorisent pas la sentimentalité…

    À l'époque où Madame Liliane s'offre des sortes d'escort-boys à un milliard d'euros, et du petit personnel politique pour beaucoup moins, où d'autres, en marionnettistes — mais dont on voit quand même beaucoup les mains —, animent le petit corps qui de son humoriste de mari qui, avec plus ou moins de réussite, de son super-banquier-promis-aux-plus-hautes-charges, le texte de Léautaud me paraît, encore une fois, très daté.
    Au mieux — la prostitution s'étant généralisée à tous les étages, et la réussite dans la foire d'empoigne (appelée très justement rat-race par les Anglo-Saxons…) étant désormais, pour tous, la mesure de toute chose — il me semble que l'intrépide cadre que nous essayons d'imaginer à la place de Léautaud pourrait s'entendre répondre : « Bien sûr, et tu ferais de même si une femme (ou un homme) te faisait la même proposition... Et tu aurais raison ! »

    Ne prenant pas Frédéric Schiffter pour un imbécile, sachant qu'il sait lui-même tout cela parfaitement, j'avais donc pris, sans commentaire, son billet pour un billet d'humeur, telle qu'en ont parfois les hommes sentimentaux…




    Post scriptum.

    Sinon, je m'étais fait la réflexion, à propos de Léautaud, que le public, en Occident, aime bien les gens de lettres âgés lorsque ce sont des vieux compissés, plus sales que des chaussettes pas propres, misanthropes, pauvres... et morts… (Céline, Bukowski en sont d'autres exemples.) Ça l'amuse, le public.
    Et ça dévoile sa mauvaise âme.

    Chez les Hindous, au contraire, les vieux sont beaux, les vieux sont sages ; ils contrôlent parfaitement toutes leurs fonctions vitales, quand ils ne soulèvent par des poids de 50 kilos avec leur pénis.
    Idem en Chine, avec les Taoïstes (j'en ai vu un dernièrement qui réalisait ce dernier prodige, très efficace, paraît-il, pour stimuler le yang — la testostérone, dans ce cas… — qui nécessite que l'on se fasse masser le corps après et, j'imagine, que l'on commence léger… )

    Enfin, pour ma part, quitte à choisir — et si on me fait grâce de l'exercice des poids —, je préférerais aller faire le vieux sage pour les Chinois ou les Hindous... que le vieux singe pour les Occidentaux… fumer le bambou avec des sâdhous que de me saouler pour amuser de jeunes salauds…
    Ou mieux encore, prendre des vagues avec ma belle… ce qui est en fait le plus doux.

    Vaudey



    Vaudey.

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    1. Mon cher Vaudey,

      Je vous laisse vos sages chinetoques bouffeurs de nems. Je reste avec mes vieux dégueulasses buveurs de gnole, vomisseurs du genre humain, fadas du cul des belles.

      La sieste ou la mort !

      FS

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  6. Cher Schiffter,
    J’ai vu (dans votre tout dernier billet) que vous vous entraîniez à leur ressembler, aux vieux dégueulasses buveurs de gnole ! — qui, au moins pour Céline, sont aussi les miens…
    Pour moi, je vous vois plutôt nous élaborer un savant cocktail de Paul-Jean Toulet (pour le dandysme et le reste…) et de John Severson (http://www.csuchico.edu/pub/cs/fall_08/feature_03.html) pour le surf à 80 ans, et les Birdwell Beach britches

    Il vous revient sans doute de nous faire découvrir un nouveau style de vomisseur du genre humain, plus proche de l’idéal grec, et moins marqué par la haine du corps et des sens, dont Nietzsche notait qu’elle avait imprégné les deux derniers millénaires, en Occident.
    Pour ma part, je me charge de faire, dans le même style et le même esprit, un nouveau genre de fada du cul des belles, tout à fait dans l’esprit d’Ovide : en Antésade, et contre tous ses sectateurs…
    Mais sur ce genre de folie, il est bien possible que nous nous rejoignons — au moins en partie (je vous sais sadien…) …
    Finissons donc sur la sieste, sur laquelle nous sommes parfaitement accordés…

    À vous,

    R.C. Vaudey

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  7. En lisant ce texte de Léautaud, je ne peux m'empêcher de penser que les hommes ont toujours des doutes sur l'amour ou l'attention que les femmes leur portent. En réalité, ce n'est pas sur elles qu'ils ont des doutes mais sur eux-mêmes : "qu'est-ce qui justifie l'intérêt qu'elle a pour moi? Et si je n'ai pas d'intérêt, en veut-elle à mon argent, à ma notoriété?". Dire des femmes qu'elles sont vénales c'est surtout douter que l'on puisse les intéresser.
    Pour finir, une petite phrase de Diderot : "Elles nous accoutument encore à mettre de l’agrément et de la clarté dans les matières les plus sèches et les plus épineuses. On leur adresse sans cesse la parole ; on veut en être écouté ; on craint de les fatiguer ou de les ennuyer ; et l’on prend une facilité particulière de s’exprimer, qui passe de la conversation dans le style. Quand elles ont du génie, je leur en crois l’empreinte plus originale qu’en nous".

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    1. Chère V.,

      "En lisant ce texte de Léautaud, je ne peux m'empêcher de penser que les hommes ont toujours des doutes sur l'amour ou l'attention que les femmes leur portent", dites-vous. Eh bien, vous ne croyez pas si bien dire, justement, à propos de Léautaud que sa mère a abandonné lorsqu'il était enfant, le confiant à un père souffleur de théâtre, amateur de grisettes et de prostituées — avec qui le petit Paul passait le plus clair de son temps, les entendant parler de "petits cadeaux", de clients généreux, de bonnes poires, etc.

      C'est au milieu de toutes ces femmes vénales, et néanmoins très sensuelles et plutôt affectueuses, que Léautaud a fait son éducation sentimentale. Il en parle fort bien dans "Le petit ami" (Gallimard, coll. L'imaginaire). Un livre que vous aimerez, je l'espère.

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  8. Chère Virginie,

    L'animal que vous avez choisi n'est pas du tout celui auquel on pense lorsque l'on vous lit. La tortue est un animal pour lequel j'ai une tendresse tout à fait particulière qui remonte à ma plus tendre enfance et que je connais bien, et ce n'est pas elle que j'ai vu venir défendre fièrement le beau sexe contre ce texte de Léautaud que vous jugiez marqué par la misogynie.

    Mes compliments n'en étaient pas : ce n'étaient que des constats — certes très admiratifs.
    Quel que soit le bel animal qui s'est dressé fièrement à ce moment-là, on ne peut que vous conseiller de lui laisser le plus souvent possible la parole et la plume et, s'il est sous une cuirasse, de lui donner dorénavant la clé des chants : il a déjà au moins deux lecteurs-auditeurs attentifs et séduits par la clarté et la puissance de son style.

    Je dis deux car je suis sûr que Frédéric Schiffter a lui aussi apprécié, comme il se doit, la concision et la force de vos apophtegmes, même s'ils n'abondaient pas dans son sens.

    Cela dit, vous avez eu tout à fait raison de considérer le terrain miné et de ne pas insister. J'ai moi-même eu le fin mot de ce billet — que, depuis le début, je sentais ne pas devoir nécessiter de commentaires — dans la réponse que Frédéric Schiffter a faite à M.s. V. — venue, elle aussi, défendre avec beaucoup de caractère, un peu après, les dames — et qui tient dans la biographie de Léautaud (que je connais à vrai dire très peu) et dans le rôle misérable qu'y a tenu sa mère.

    Les dames, qui considèrent, justement, qu'elles vivent, injustement, dans un monde d'hommes, négligent généralement le fait que les hommes ont souffert et souffrent, eux aussi, plus ou moins terriblement, de leur mère. Et que, si la guerre des sexes change de forme selon les époques et les milieux sociaux — comme j'ai tenté, un peu légèrement, de le montrer dans mon commentaire —, elle fait toujours des victimes collatérales, pour reprendre cette expression, affreusement froide, de l'époque : les enfants des deux sexes.

    On ne peut pas vivre sans amour, ainsi que le notait Frédéric Schiffter dans le titre de son billet, et, si l'on dit cela, on ne peut pas être, totalement, misogyne, ainsi que vous le faisiez remarquer ; les femmes et les hommes s'améliorent grandement les uns les autres à s'accorder, ainsi que le soulignait, en citant Diderot, M.s. V., et on peut même penser, comme c'est notre cas ici, qu'à s'accorder harmoniquement ils peuvent trouver ce que Breton appelait l'or du Temps : reconnaissons tout de même que les femmes et les hommes partent dans cette quête du Graal — pour les quelques rares qui s'en soucient encore — avec de lourds handicaps.

    Il y a un moment difficile dans la vie du bernard l'ermite, c'est celui où il doit impérativement sortir de sa cuirasse dans laquelle il finirait par étouffer et pourrir : il connaît, quelque temps, une grande terreur ou une grande joie et une grande liberté, c'est selon, pour finir généralement par s'encuirasser ailleurs — s'il n'est pas mort ou s'il ne s'est pas fait manger entre-temps.

    Si, par miracle, le public en aperçoit deux qui dansent tout heureux et sans cuirasse, il attend qu'ils se dévorent — ou qu'ils se fassent dévorer.

    C'est pour cela, comme le notait Chamfort, qu'il ne faut pas se montrer au public, qui attend toujours qu'on lui montre des (vieux) singes qui l'amusent ; ou même des bernard l'ermite décuirassés — ce qui est plus rare.

    Il s’amuse comme il peut, le public ; comme le dit Bukowski dans le dernier billet de F. S..

    Vous parliez de la tortue, mais je crois que, d'une certaine façon, notre nom latin à tous est Pagurus Bernhardus.

    Continuez à nous (et à vous) éblouir avec vos aphorismes bien trempés — comme votre heureux caractère.

    Bien à vous.

    R.C. Vaudey

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  9. Cher Schiffter,

    Merci pour — et de la part de — Buk, pour votre dernier billet : belle gueule, belle voix, great poem.

    Il faut savoir être déceptif — pour reprend ce mot ridicule du tout aussi ridicule art contemporain — vis-à-vis des attentes convenues pour le Bukowski, un peu caricatural, malheureusement immortalisé dans une émission littéraire.

    À vous.

    Vaudey

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