mardi 3 avril 2012

Prier dans le bain


Dessin de Unlucky

«La lecture matinale du journal est une sorte de  prière réaliste», disait Hegel. Je ne lis pas les journaux, mais j’écoute la radio pendant que je prends mon bain. La prière dure une bonne demi-heure. 

Dans les discours relatifs à la crise et aux dettes contractées par les Etats européens, j’ai beau tendre l’oreille, mais je n’entends jamais évoquer l’A.G.C.S. 

Décidé par les instances supranationales de l’O.M.C. en 1995, cet Accord Général pour le Commerce de Services — le G. A. T. S. en anglais — prévoyait pour la fin de la première décennie des années 2000 la privatisation des services publics : la santé, l’éducation, les transports, le courrier, l’énergie, le crédit — ce qu’il en reste. L’idée était que tout Etat européen devait s’obliger à des économies budgétaires sévères afin que ces secteurs, de plus en plus asphyxiés et, par là, affligés de dysfonctionnements, n’aient plus d’autre destinée que d’être vendus à l’encan, dans les bourses, aux groupes multinationaux les plus offrants. Concomitamment, la construction de l’union européenne, en accélérant la dérèglementation des législations nationales, répondrait à cette orientation. Comme les structures étatiques résistent de par leur ancrage historique, le programme de l’A.G.C.S. a pris du retard. Or, sans être grand clerc en matière d’économie, je me dis que la crise, qui fait entonner plus que jamais aux dirigeants le refrain de la rigueur, représente une aubaine pour accélérer ce processus de démolition des Etats-nations, démolition confiée aux responsables de ces Etats eux-mêmes, comme on le voit avec la Grèce, ce laboratoire où les puissances du marché expérimentent un type d’Etat sans souveraineté et dont la plupart des infrastructures sont achetées par des fonds étrangers — aujourd’hui chinois, demain qataris, après-demain indiens ou brésiliens. 

Comme le tour de l’Espagne, de l’Italie, du Portugal ne saurait tarder, pour les expérimentateurs du marché, l’aspect le plus intéressant de l’épreuve est de voir quelle résistance les Grecs, humiliés à la face du monde et soumis à la saignée, vont opposer. Tels des entomologistes avec des bestioles placées sous verre, ils observent la capacité des fonctionnaires, des petits employés, des retraités, des étudiants, etc., à se mobiliser et à organiser leurs faibles forces pour contrecarrer l’agression mortelle. Pour l’heure, ils assistent, comme prévu, à une agonie des plus prometteuses. Les journées et les nuits d’émeutes qui se succèdent ajoutent à l’épuisement de devoir vivre dans le dénuement. Elles deviennent plus rares. Le découragement gagne les gens. Les Grecs se rendent compte qu’ils ne forment pas un peuple mais des catégories hétérogènes que le parti communiste disloqué et l’église orthodoxe essoufflée ont cessé d’unifier. Les télévisions étrangères présentes sont là pour en témoigner et, aussi, transmettre au reste des populations européennes l’idée que si l’indignation est légitime, la résignation l’emporte en sagesse tant et si bien qu’il convient d’opter immédiatement pour celle-ci sans céder à celle-là.  



6 commentaires:

  1. Bonsoir Frédéric,

    « …je me dis que la crise, qui fait entonner plus que jamais aux dirigeants le refrain de la rigueur, représente une aubaine pour accélérer ce processus de démolition des Etats-nations ».

    Oui, vous avez tout à fait raison. Et c’est ce qu’avait écrit à sa manière (elle n’est pas la seule) Naomi Klein dans la ‘Stratégie du choc’. Car il s’agit bien là de la mise en œuvre d’une stratégie… (profiter d’un événement fortuit, voire même de provoquer les conditions propices à l’accomplissement d’un dessein).
    Je m’étais intéressé à son livre suite à une émission de FC qui m’avait quelque peu agacé (l’agacement a du bon parfois). J’en ai gardé trace dans un vieux billet. J’y notais entre autres :

    Lorsque encore Milton Friedman, à peine trois moi après Katrina se fend d’un article dans le Wall street journal ou il dit : « La plupart des écoles de la Nouvelle-Orléans sont en ruine, au même titre que les maisons des élèves qui les fréquentaient. Ces enfants sont aujourd’hui éparpillés aux quatre coins du pays. C’est une tragédie (on est humain quand même). C’est aussi une occasion de transformer de façon radicale le système d’éducation ». Et Naomi Klein d’expliquer que l’idée radicale de Friedman est qu’au lieu « d’affecter à la remise en état et au renforcement du réseau des écoles publiques de la Nouvelle-Orléans une partie des milliards de dollars prévus pour la reconstruction de la ville, le gouvernement devrait accorder aux familles des bons d’étude donnant accès à des écoles privées subventionnées par l’état ». Sinistre farce qui sera mise en œuvre et « 19 mois après les inondations, alors que la plupart des pauvres de la ville étaient encore en exil, presque toutes les écoles publiques de la Nouvelle-Orléans avaient été remplacées par des écoles à charte exploitées par le secteur privé. Avant Katrina, le conseil scolaire comptait 123 écoles ; il n’en restait plus que 4. Il y avait alors 7 écoles à chartes ; elles étaient désormais 31 (…) et les quelques 4700 membres du syndicat des instituteurs étaient licenciés. » D’ailleurs, du côté de l’American Enterprise Insitute, officine inféodée aux doctrines de Friedman, on y mit moins les formes « Katrina à accomplit en un jour (…) ce que les réformateurs du système d’éducation ont été impuissants à faire malgré des années de travail ».

    Vous souhaitant une très bonne soirée.
    Amicalement

    Axel

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  2. Bernard Grandchamp06 avril, 2012

    Monsieur,

    Je vous ai fréquenté un temps, par attrait pour une pensée différente - réjouissante jusqu'au décapant... Mais lorsque je lis la sorte d'abjection à laquelle vous conduit votre dandysme intellectuel, je préfère vous laisser à votre petit monde si coquet: je supprime votre lien de mes favoris. J'ai ainsi pleinement conscience de vous débarrasser d'un importun. Nonobstant, je ne saurais vous quitter définitivement sans vous laisser face à ces mots du grand Georges Bernanos, dans "Les dialogues des carmélites": "On ne meurt pas chacun pour soi, mais les uns pour les autres".

    Bernard Grandchamp

    PS: que vous supprimiez ou empêchiez la publication de mon commentaire, décision qui vous appartient souverainement, ne pourra faire que vous ne l'ayez auparavant lu (sauf à avoir délégué cette fonction à un robot)

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  3. Bernard N.06 avril, 2012

    @ M. Grandchamp.

    Monsieur,

    M'étant vu reproché — rarement, il est vrai — la pompe de certaines de mes déclarations — et certes, je ne dédaigne pas, à l'occasion, les effets de manche lorsque je les crois adaptés à mon propos —, je ne jugerai pas du tour pindarique de votre mot d'adieu à l'hôte de ces lieux.
    Simplement, en tant que lecteur, j'aimerais comprendre ce à quoi vous faites allusion.
    Plus précisément.
    Bien sûr, je peux comprendre que, dans une époque comme la nôtre, le dandysme intellectuel paraisse abominable ; quant à la coquetterie, chez un homme, et pis encore chez un philosophe, n'en parlons même pas…
    J'aime beaucoup votre citation, quoiqu'elle me paraisse assez déplacée sur le site d'un nihiliste — fût-il balnéaire et sentimental —, mais j'avoue ne pas bien saisir ce qui dans le billet sur l'A.G.C.S. (plus que dans tout ce que vous avez pu lire, depuis des mois, sur ce site que vous semblez bien connaître – contrairement à moi) vous a paru abject au point de vous amener à cette déclaration déclamatoire.
    Peut-être jugerez-vous que, si je n'ai pas senti ce qui, dans le billet dont nous parlons, justifie
    et votre indignation et votre auto-exclusion du groupe des abonnés de ce blog, je ne mérite pas que vous me l'expliquiez.
    Il est possible que notre hôte, connaissant les raisons réelles de cette rupture publique, ne juge pas bon de publier ce message.
    Tout de même, votre sortie doit, j'en suis sûr, en laisser quelques-uns, comme nous, sinon stupéfiés du moins étonnés.

    Si l'occasion vous est donnée de nous lire, et si on vous en laisse l'opportunité, pourriez-vous avoir l'amabilité de préciser et de développer.

    Bernard N.

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  4. Cher Bernard Grandchamp,

    En quittant mon blogue vous ne me débarrassez pas d'un importun, comme vous dites. Votre nom ne me dit rien. Mais peut-être est-ce là l'abjection que vous me reprochez.

    Bien à vous,

    FS

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  5. Toujours le réel par sa complexité dépasse les impressions premières…

    Monsieur Grandchamp,

    Pourquoi chercher à tout prix à fusionner avec la pensée d’autrui ?
    Qu’une façon d’être nous heurte ? … Tant mieux.
    Qu’une idée emporte notre humeur ? … Mieux encore.
    Qu’une opinion suscite nos passions ? … Superbe !

    Se plonger dans les courbes mouvantes des savoirs contradictoires… C’est quelque chose.

    Quelle morosité qu’un monde fait de caractères semblables.
    Quel ennui que des clones de la pensée.

    Tout est argumentable – discutable.

    « Si tu ne saisis pas la racine, le petit point de démence de quelqu’un, tu ne peux pas l’aimer.
    J’ai peur que… Le Petit Point de Démence de quelqu’un, ce soit la source de son charme. »

    On est tous un peu dément.
    Deleuze.

    http://www.youtube.com/watch?v=OVmbPEfDYw8

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