"On sait que, selon Sartre, les différents modes d'existence se définissent essentiellement par le regard d'autrui, toujours aliénateur, qui les fige, les glace, et les “choséifie“. […]Ainsi, il n'y a pas, en soi, de Jaunes ou de Noirs de par le monde, mais certains Hominiens auxquels l'Hominien occidental a répété inlassablement : “Tu es le Jaune-pour-autrui-dans-le-monde“, ou “Tu es le Noir-pour-autrui-dans-le-monde“, jusqu'à ce que ces malheureux hommes aient fini par se persuader qu'ils étaient bien réellement, qui le Jaune, qui le Noir.
Ainsi en a-t-il été des Chimpanzés. À force de s'entendre répéter à travers les grilles : “Toi, tu es un Chimpanzé“, le primate en est arrivé à se constituer véritablement comme Chimpanzé. […] C'est nous qui, par notre regard, avons posé les Chimpanzés en tant que Chimpanzés-pour-autrui-dans-le-monde. […] C'est parce que l'Hominien [occidental] bourgeois a toujours voulu regarder le Chimpanzé comme Chimpanzé, que le Chimpanzé s'est trouvé, en un mot, chimpanzéifié. […]Telle est notre œuvre. […] De Primates libres, nous avons fait des esclaves. Comment ne pas craindre, ne pas prévoir, ne pas comprendre, leur imminente révolte ?"
Clément Rosset
Lettre sur les chimpanzés