Esterno notte, la série réalisée par Marco Bellocchio, diffusée sur Arte, m’a rappelé la polémique qui a opposé Guy Debord à Gianfranco Sanguinetti — polémique relative à l’affaire Aldo Moro (mars-mai 1978).
Debord soutenait que les brigades rouges étaient un groupuscule gauchiste incapable d’avoir monté seul l’enlèvement du chef de la démocratie chrétienne italienne. D’après lui, le coup venait des services secrets, du moins d’une partie d’entre eux, missionnés par la frange la plus hostile du parti de Moro au «compromis historique».
Sanguinetti pensait quant à lui que les gauchistes en Italie s’étaient aguerris et qu’ils étaient sans doute les véritables et seuls auteurs de l’enlèvement. Durant les années 60, la police et sa fraction fasciste, était sans conteste la réelle actrice de la violence imputée à l’extrême gauche, provocation qui avait pour but de jeter le discrédit sur un mouvement social radical, mais elle n’était pas l’instigatrice de ce coup-là. En revanche, toujours pour Sanguinetti, tout portait à croire que l’État, aux mains de la DC, avait saisi là l’aubaine de se débarrasser de Moro, du compromis historique, et de mettre un terme à une situation révolutionnaire fallacieusement attribuée à l’extrême-gauche en général et aux BR en particulier. Ce qui semble donner raison à Sanguinetti c’est que, effectivement, après l’assassinat de Moro, il n’y eut pas besoin du compromis historique pour que le Parti Communiste italien tienne les syndicats et ses troupes, devenant ainsi, sans participer au gouvernement, le parti de l’ordre social.
Debord a reproché à son ami italien de ne pas avoir partagé sa thèse de la machination barbouzarde.
Dans un texte datant de 1980, Sanguinetti a finalement donné raison à Debord.
Bellocchio a-t-il tenu compte de cette polémique entre les deux situationnistes ? Un protagoniste de l’affaire, dans la série, semble indiquer une piste qui corrobore la thèse de Debord. On est intrigué, en effet, de voir Francesco Cossiga, le ministre de l’intérieur, écouter avec attention et bienveillance un «conseiller» américain du nom de Steve Pieczenik. Une petite recherche sur l’individu nous apprend que cet agent travaillait pour le Département d’État des États-Unis, et devait s’assurer qu’en Italie les secrets de l’Otan seraient bien gardés dans le cas, inimaginable pour Jimmy Carter, où les communistes entreraient au gouvernement.
(1) Correspondance Vol.2 — Champ Libre 1981