Ben Ali s’est carapaté ce ouiquinde en loucedé à Jeddah. À l’évidence, les Tunisiens ne s’attendaient pas à une victoire de la rue si rapide. Les voilà comme désemparés. J’ignore quel sera le prochain homme fort du pays, mais il doit se montrer prudent. Il serait périlleux pour lui qu’il s’avançât franchement comme candidat au pouvoir. Les gens n’ont pas encore dessoûlé. Ils sont toujours dans l’ivresse du soulèvement qui leur donne l’illusion euphorique de la puissance. Voilà pourquoi, celui qui deviendra leur maître doit d’abord se faire accepter comme leur chef, un chef qui saura traduire et flatter leur désir de souveraineté démocratique, nationale, etc. On commande à la multitude non tant en la confortant dans le sentiment qu’elle a une âme, des aspirations, un idéal, bref, qu’elle forme un peuple, car cela elle est prompte à s’en persuader spontanément, mais, surtout, qu’elle va être un exemple d’émancipation pour le reste du monde. Il y aura en France des intellectuels pour propager ce conte rose.
Dans le même temps où les Tunisiens se réjouissent de la fuite de leur tyran, les Haïtiens, certains d’accueillir un sauveur, célèbrent avec des vivats le retour de celui qu’ils chassèrent il y a vingt-cinq ans, Bébé Doc — à côté de qui Ben Ali fait figure d’humaniste bêlant. Le retour du même, n’est-ce pas ce qu’on appelle une révolution ?