Clément Rosset, Néo-Mexique, juillet 2013
Cher Pierre L.,
Sur votre suggestion,
je viens de regarder La Grande Librairie,
l’émission de François Busnel. Vous avez raison: Robert Misrahi n’est qu’un
triste sire, aussi est-il bien naturel que son petit pensum soit préfacé par
Michel Onfray, un type encore plus sinistre que lui. Vous vous demandez quel
public le pataquès conceptuel de cet olibrius peut séduire et convaincre. Soyez
persuadé que, quand elles liront le titre du produit — La joie d’amour, pour une érotique du bonheur —, nombre de bonnes femmes sous-cultivées et en déficit de séduction se précipiteront
dessus. L’ayant feuilleté, elles le rangeront sur une étagère de leur
bibliothèque consacrée au thème de l’épanouissement personnel, entre un
bréviaire de spiritualité œcuménique de Frédéric Lenoir et un traité de
méditation de Matthieu Ricard, et, sans doute, à côté d’un manuel de
philosophie appliquée à la vie quotidienne de Roger-Pol Droit — surnommé par ses
confrères du journal Le Monde: Roger
Poule-Mouillée. Comme vous l’avez remarqué, Clément Rosset semblait perdu sur
ce plateau au milieu de ces cuistres bien-pensants et verbeux, l’un prenant la pose du
héros attendant la mort, l’autre nous expliquant comment il s’est débarrassé de
la peur et nous invitant à suivre son exemple, un autre encore, la face barrée d'un rictus haineux, osant ramener son imbitable science de l’amour. Vous déplorez
qu’il ait eu moins de temps de parole que les autres. C’est vrai. Mais Rosset
n’en pensait pas moins. Ce n’est donc pas grave. Vous, moi, d’autres happy few qui lisent Rosset depuis
longtemps, nous savons que rien n’égale l’humour de ses ouvrages pour aérer une atmosphère
intellectuelle chargée de moraline. Nous formons une secte de je-m’en-foutistes
de qualité et, comme disait Oscar Wilde, «dans un siècle où l’on ne prend au
sérieux que les imbéciles, nous vivons dans la terreur de n’être pas
incompris».
À vous, F.S.