vendredi 27 avril 2012
samedi 7 avril 2012
mardi 3 avril 2012
Prier dans le bain
Dessin de Unlucky
«La lecture matinale du journal est une sorte de prière réaliste», disait Hegel. Je ne lis pas les journaux, mais j’écoute la radio pendant que je prends mon bain. La prière dure une bonne demi-heure.
Dans les discours relatifs à la crise et aux dettes contractées par les Etats européens, j’ai beau tendre l’oreille, mais je n’entends jamais évoquer l’A.G.C.S.
Décidé par les instances supranationales de l’O.M.C. en 1995, cet Accord Général pour le Commerce de Services — le G. A. T. S. en anglais — prévoyait pour la fin de la première décennie des années 2000 la privatisation des services publics : la santé, l’éducation, les transports, le courrier, l’énergie, le crédit — ce qu’il en reste. L’idée était que tout Etat européen devait s’obliger à des économies budgétaires sévères afin que ces secteurs, de plus en plus asphyxiés et, par là, affligés de dysfonctionnements, n’aient plus d’autre destinée que d’être vendus à l’encan, dans les bourses, aux groupes multinationaux les plus offrants. Concomitamment, la construction de l’union européenne, en accélérant la dérèglementation des législations nationales, répondrait à cette orientation. Comme les structures étatiques résistent de par leur ancrage historique, le programme de l’A.G.C.S. a pris du retard. Or, sans être grand clerc en matière d’économie, je me dis que la crise, qui fait entonner plus que jamais aux dirigeants le refrain de la rigueur, représente une aubaine pour accélérer ce processus de démolition des Etats-nations, démolition confiée aux responsables de ces Etats eux-mêmes, comme on le voit avec la Grèce, ce laboratoire où les puissances du marché expérimentent un type d’Etat sans souveraineté et dont la plupart des infrastructures sont achetées par des fonds étrangers — aujourd’hui chinois, demain qataris, après-demain indiens ou brésiliens.
Comme le tour de l’Espagne, de l’Italie, du Portugal ne saurait tarder, pour les expérimentateurs du marché, l’aspect le plus intéressant de l’épreuve est de voir quelle résistance les Grecs, humiliés à la face du monde et soumis à la saignée, vont opposer. Tels des entomologistes avec des bestioles placées sous verre, ils observent la capacité des fonctionnaires, des petits employés, des retraités, des étudiants, etc., à se mobiliser et à organiser leurs faibles forces pour contrecarrer l’agression mortelle. Pour l’heure, ils assistent, comme prévu, à une agonie des plus prometteuses. Les journées et les nuits d’émeutes qui se succèdent ajoutent à l’épuisement de devoir vivre dans le dénuement. Elles deviennent plus rares. Le découragement gagne les gens. Les Grecs se rendent compte qu’ils ne forment pas un peuple mais des catégories hétérogènes que le parti communiste disloqué et l’église orthodoxe essoufflée ont cessé d’unifier. Les télévisions étrangères présentes sont là pour en témoigner et, aussi, transmettre au reste des populations européennes l’idée que si l’indignation est légitime, la résignation l’emporte en sagesse tant et si bien qu’il convient d’opter immédiatement pour celle-ci sans céder à celle-là.
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