Gabriela Manzoni
Avec, l’an passé, l’élection de
Macron, et, cette année, avec la victoire des bleus à la coupe du monde de
football, j’ai la sensation d’avoir été condamné à une double peine de connerie
nationale. En pareils moments, je m’exilerais bien en un séjour abrité de la
stupidité et de la vulgarité plébéiennes, mais, bien sûr, nul endroit en cette
terre n’en est épargné. Je n’ai jamais vécu en régime totalitaire où la
coercition est telle qu’elle obtient une homogénéité des pensées et des
sentiments; cependant, dans ces moments d’effervescence politique et sportive
où la liesse de la foule idolâtre s’impose comme un impératif affectif, je
crois qu’on en approche. En Macronie, «Unanimité» est désormais la devise
gravée aux frontons de la république comme sur le front de mes concitoyens.
Je ne suis pas très satisfait de ma
conférence sur Clément Rosset. J’aurais dû coller davantage à sa conception du
double et ne pas tenter d’éclaircir sa notion de joie comme force majeure —
notion qui m’a toujours laissé perplexe. N’étant capable, contrairement à
d’autres, de n’expliquer avec clarté que ce que je comprends bien, j’ai le
sentiment d’avoir cafouillé sur ce point. Maintenant, je relativise mon regret
en songeant que ceux qui prétendent comprendre cette notion de joie — qu’elle
soit nietzschéenne ou rossétienne — ne sont jamais guère plus intelligibles.
Dans cette touffeur estivale qui ajoute à mon
ennui, je ne trouve rien de neuf à lire. Je me rabats donc sur les deux auteurs
que je vénère depuis l’enfance et l’adolescence, Hergé et Molière. L’univers de
Tintin fut le refuge de mes crises de cafard quand je perdis mon père, le
théâtre de Molière la consolation humoristique de la misanthropie que je
contractai dès mes douze ans sans jamais en guérir. Vu l’art avec lequel Hergé
dépeint ses personnages de comédie, je serais prêt à parier qu’il connaissait
son Molière. Quant à moi, c’est toujours avec grande jubilation que je relis Le Misanthrope ou l’Atrabilaire amoureux.
Du point de vue de l’intellect je suis Philinte, du point de vue du caractère
Alceste. En moi-même comme sur la scène, l’ombrageux ne retient rien des conseils
avisés et amicaux que lui prodigue l’homme prudent — tel que l’entendait
Baltasar Gracián. Mais comme aimait à le répéter Clément Rosset chaque fois
qu’il ruinait l’illusion d’une réforme de soi-même, «on ne se refait pas».