Quand j’entendis pour la première
fois le nom de Dorian Astor, je le confondis avec celui d’un joueur
d’accordéon. J’appris que Dorian Astor était en réalité l’auteur d’un Dictionnaire Nietzsche d’un bon millier
de pages — réunissant pas moins de trente contributeurs. Encore un pensum dont
le but est d’ajouter de la confusion à une pensée embrouillée, ai-je songé d’emblée.
En feuilletant l’ouvrage, j’en fus convaincu. Nietzsche est, de loin, l’auteur
qui attire le plus les thésards, les obsédés de la glose et autres maniaques de
l’exégèse. Avec ce dictionnaire,
Dorian Astor s’est rendu coupable d’offrir une tribune aux plus illisibles
d’entre eux. Mais là ne s’arrête pas sa lourde nietzschéophilie. Dorian
Astor a commis un essai intitulé Deviens
ce que tu es. Un sommet de philosophe.
Je n’entends pas par là un comble de pensée philosophique, mais la cime d’une pénible
façon de s’exprimer. Dorian Astor n’écrit pas en français courant, mais en philosophe, la langue des professeurs de philosophie, un mélange de tics
rhétoriques propres à leur métier et de prétention littéraire obligeant le
lecteur, même s’il est de la partie, à un effort d’intuition divinatoire. Un exemple:
«Ce n’est pas de soi que l’on a
conscience, c’est le soi qui se donne la conscience, par l’intermédiaire du
moi, pour saisir autre chose que soi-même.» (p.78) Un autre: «Qu’est-ce qui fait que nous devenons?
Qu’est-ce qui rend compte de ce qui se passe, de ce qui passe entre les manières d’être, entre les points
subjectifs ? […] Nous sommes
pris dans des devenirs a-subjectifs et impersonnels qui sont peut-être
précisément ce qui nous individue (sic)» (p.80) Un dernier: «La pensée est un cas particulier et
problématique parmi les réponses de l’homme au problème du réel — mais
aussi la perception du problème par
lui-même comme tendance à sa propre résolution.» (p.135)Quand il m’arrive
de lire du philosophe je bâille, raison
pourquoi je ne pus me concentrer sur le livre de Dorian Astor censé, si j’en
crois le sous-titre, m’apprendre à vivre une vie philosophique. Que m’a dit alors ma conscience face à cet
imbitable traité de sagesse? « — Comme le temps n’arrange personne et comme
on ne se refait pas, efforce-toi de
demeurer svelte et coquet quitte à passer pour un surhomme frivole.»
mercredi 28 février 2018
dimanche 25 février 2018
samedi 17 février 2018
Le bluff de la vie philosophique — 1
En furetant dans les librairies, je
tombe sur des ouvrages d’universitaires, ou de para-universitaires, en
particulier des néo-nietzschéens, cherchant à promouvoir une nouvelle formule
de sagesse: la vie philosophique.
Après la vie heureuse, ou bonne, ou réussie, voici la vie philosophique. Ils puisent leur argument de promotion chez
Pierre Hadot qui traçait une ligne de démarcation entre, d'une part, les philosophes qui,
dans l’Histoire, se seraient contentés d’enseigner leurs idées, et, d'autre part, les
philosophes qui auraient vécu en conformité avec les principes qu’ils
enseignèrent. Forts de ce critère, ils suggèrent que Diogène et Épicure, au
contraire de Platon et d’Aristote, eurent une vie philosophique. Or, Platon et
Aristote qui considéraient l’instruction et l’étude comme
l’activité même de l’âme au service d’une conduite honnête, ouvrirent, chacun
en accord avec ses conceptions, une école. Si, au lieu de donner des
conférences aux Athéniens, Diogène préférait les morigéner en les poursuivant
dans la rue de ses admonestations et de ses sarcasmes; si Épicure ne
concevait pas d’édifier ses disciples hors d’une secte qui ne lui fût toute
dévouée, leur vie respective n’en demeura pas moins tournée, comme les vies de
Platon et d’Aristote, vers l’enseignement. Pour ma part, eussé-je été le
contemporain de l’un des ces maîtres, allergique aux sermons et à la
promiscuité, j’aurais changé de trottoir en apercevant le pénible Diogène et
évité de franchir le seuil de l'étouffant Jardin. Avec leur règlement interne moins
tatillon, l’Académie ou le Lycée m’eussent semblé plus fréquentables. On
pouvait impunément en sécher les
cours.
La figure du sage cadrait avec la
mentalité antique parce que l’époque prisait l’héroïsme fût-il réduit aux
querelles d’idées. Si Socrate, Diogène et Épicure ne passaient pas pour de réels
sages aux yeux des Grecs, ils incarnaient néanmoins des personnages qui ne déméritaient pas de
leur civilisation et forçaient la sympathie d’une élite sensible aux excentricités
de l’ascétisme. Quand, aujourd’hui, les vendeurs de la vie philosophique
prennent pour exemples de leur idéal les épisodes d’érémitisme de Thoreau ou de
Wittgenstein, sans oublier les pérégrinations touristiques de Nietzsche,
comment ne pas voir là un romantisme à la Jean-Jacques destiné à plaire au
consommateur de philo friand de
spiritualité et de nature? On comprend que l’évocation du décor ait son
importance dans la littérature des «pro-vie philosophique». Logeant
dans l’amphore de Diogène, le Jardin d’Épicure, le taudis d’Épictète, la pensée
reniflait les miasmes de la cité. Dans une cabane en rondins au bord de l’étang
de Walden, dans une maisonnette isolée aux environs de Skjolden, dans une
auberge de Sils-Maria, on l’imagine respirer l’oxygène du grand Tout traversée par l’énergie cosmique. Cogiter, écrire, enseigner, même à
temps plein, ne suffirait donc pas à marquer l’existence d’un philosophe du
sceau de l’authenticité. Pour toucher
à l’essentiel, l’ami de la sagesse devrait séjourner quelques mois en solitaire au cœur de l’Ouvert de la physis — pour parler comme Heidegger qui
lui aussi se retirait dans sa hütte pour
penser l’être de l’étant — et s’adonner à des travaux de jardinage, des balades
dans les bois et des randonnées en montagne. En somme, la vie philosophique
serait l’exercice de la pensée au grand air durant des grandes vacances ou un
congé sabbatique. Je gage que, d’ores et déjà, des agences de voyages ont
ajouté ce concept à leur catalogue.
jeudi 1 février 2018
Horreur de la surgé
Sans
grand risque de me tromper, je puis affirmer que la directrice des ressources
humaines — DRH — est, avant même le prêtre et le policier, l’être le plus
méprisable. La raison pour laquelle elle suscite pareille répugnance tient au
fait qu’elle incarne LA bonne femme par excellence, soit une femme rongée par
la frustration, ayant borné sa vie amoureuse à la procréation, sa vie
sentimentale à la famille et qui se revanche de son déficit érotique dans le
travail. Rien n’est plus terrifiant que la bonne femme au travail. Car la bonne
femme ne travaille pas: elle s’investit
dans son travail persuadée que le devenir
de l’humanité en dépend. Comme elle représente une forme parfaite de soumission désirée, l’objectif du
capitalisme moderne est de faire en sorte que tous les salariés soient mentalement des bonnes femmes. On ne
peut donc s’étonner que le patronat, ou tout autre instance de domination,
recrute en majorité ses responsables des ressources humaines dans cette
catégorie de larbines zélées. La
Directrice des Ressources Humaines — DRH — n’inspire pas seulement le dégoût à
cause de son rôle d’exécutante des basses œuvres du management, et ce, au nom de la rationalité gestionnaire, mais
aussi pour ses opinions et ses goûts. Ses opinions: Il faut l’entendre répéter
avec veulerie le discours de ses maîtres selon quoi le code du travail relève
d’un archaïsme social, les chômeurs abusent de leurs droits à l’indemnité, les
retraités sont des nantis, les fonctionnaires, privilégiés en surnombre,
doivent être traités comme les employés du secteur privé — et autres propos d’une bêtise aussi péremptoire. Ses goûts: Appartenant à la classe
moyenne-moyenne mordant sur la frontière de la classe moyenne-supérieure, la
DRH veut compenser l’indigence livresque de ses diplômes par une culture générale.
L’ennui est que, comme elle ignore ce que signifie être une personne cultivée,
elle consomme sans discernement des produits de librairie dont l’emballage, totalement mensonger, lui garantit un bon niveau intellectuel. Une inspection rapide de sa
bibliothèque révèle la nullité de ses lectures. Là, sur ses étagères en bois
lasuré Ikea, ou Bois et Chiffons, elle a rangé les auteurs qui comblent sa
curiosité, répondent à ses interrogations, font écho à sa sensibilité de bonne
femme. Jean d’Ormesson, David Foenkinos, Delphine de Vigan, etc., pour la
littérature, Frédéric Lenoir, Matthieu Ricard, Christophe André, etc., pour la
spiritualité et le bien-être. Même si elle se charge de perpétrer la violence
patronale, la DRH pense qu’une âme libre loge en elle. Aussi lit-elle Michel
Onfray, le cuistre joufflu aux immondes lunettes, dont les ouvrages, conçus
pour dispenser d’étudier les philosophes, lui permettront de citer le nom de
l’un d’entre eux lors d’une réunion du staff
d’encadrement. Au fond, la DRH me
rappelle la figure, tant moquée quand j’étais lycéen, de la surveillante générale. Servile,
carriériste, inculte, elle est la surgé
du libéralisme.
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