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Frédéric Beigbeder m'a reçu chez Lapérouse, maison de plaisirs, pour que nous devisions de mon roman, Rétrécissement (clic). Je le remercie.
Jean-François Duval (clic):
Avec Rétrécissement, Frédéric Schiffter a réussi un formidable roman! Il se lit d'une traite. D'une certaine façon, si la chose avait encore un sens, on le rangerait sur le même rayon de bibliothèque que L'Étranger de Camus ou La Nausée de Sartre (pas sûr que l'évocation de ces deux auteurs plaise forcément à l'auteur…). Pourquoi? Parce que, loin du bla-bla et du chichi de la majeure partie de la production romanesque actuelle, c'est un livre avant tout de nature existentielle, dont les péripéties nous tiennent cependant doucement en haleine. Surtout, au contraire des deux auteurs précités, Schiffter a l'art de faire s'esclaffer son lecteur au détour de plus d'une page (c'est plus drôle que Houellebecq par exemple, bien qu'on y parle comme lui d'une certaine condition humaine aujourd'hui). Oui, humour d'une présence constante et réjouissante, dopante même, malgré le dramatique «rétrécissement» du héros, un type où beaucoup d'entre nous sont susceptibles de se reconnaître (Schiffter a des traits communs avec lui, mais moi aussi, qui d'autre?, à vous de me le dire). On a le bonheur de se retrouver à la fois comme chez Buster Keaton, Woody Allen, Giacometti ou Beckett. Ça aurait tout aussi bien pu s'intituler L'homme qui rétrécit. Il y des phrases formidables qu'on pourrait graver sur les poutres de son plafond comme le fit jadis Montaigne, et s'amuser à les relire au passage. Giacometti, comme je l’ai dit, y aurait trouvé des échos de ses figures filiformes, et Beckett de ses inexorables et progressifs balbutiements tels qu'ils s'achèvent dans Comment dire.
L’HOMME QUI RÉTRÉCIT
J’avais vu L’Homme qui rétrécit, de Jack Arnold, dans une petite salle de l’impasse Saint-Polycarpe. Le personnage, fidèle au titre, rétrécissait. Il consultait; en vain. Un monde nouveau s’ouvrait à lui, effrayant, avec ses objets transformés en obstacles et ses animaux en prédateurs. Je ne sais si Frédéric Schiffter a pensé à ce film en écrivant son roman, Rétrécissement(clac). Son anti-héros, attachant et poignant, Baudouin Villard, professeur de philosophie, et auteur d’essais rangés par la critique avec ceux des «petits maîtres», subit, lui aussi, une réduction spatiale et corporelle: il commence par emménager dans un appartement plus petit; lui-même mincit, maigrit: il flotte dans ses vêtements comme il flotte dans le monde.
Notre homme-en-trop est d’ailleurs poussé vers le rétrécissement, comme on l’est vers la sortie, par ses proches, croqués d’après nature. Il y a la future ancienne épouse, Federica, modèle de battante, qui lit des ouvrages de développement personnel, remplis de connaissance de soi dalaï-lamesque; ils lui ont révélé qu’elle était «sous l’emprise» de son écrivain sans succès – ouf ! elle a un prétexte pour lui préférer un homme d’affaires, certain Sicard, sicaire du béton, corrompu et corrupteur, dont elle attend «un CDI matrimonial». Il y a Thomas Masure (encore un nom prédestiné), l’ami, le fidèle, le solide, ce roc, ce cap, cette péninsule, qui devient le retourné archétypal. Il y a la sœur, Isabelle, peut-être le personnage que l’on adorera le plus détester, «très fière de son métier, d’elle-même, de tout ce qui la concerne». Elle a d’ailleurs l’habitude des diminutifs américanisants – Jerry, Charlie – qui sont précisément une façon de rétrécir les gens. Elle, ce qu’elle ne supporte pas, c’est de partager l’héritage familial, puisqu’elle était la préférée de leur père. (On appréciera, dans tous ces portraits, l’ironie des italiques.)
Rétrécissement est donc un roman sur l’humiliation (d’autant plus efficace que Baudoin la regarde avec distance); il ne s’y limite pas: il y a des pages très justes sur le couple, l’amitié, le travail, la famille; et quand Baudouin Villard fait la connaissance de son voisin, Pierre Lévy, de sa fille, Betti, et du docteur Nadaillac, auteur d’une thèse sur l’ennui, le récit ouvre d’autres perspectives à notre Roquentin sans nausée. On n’en dira pas davantage, sinon que l’on a pensé, tout au long de ce beau récit sans graisse ni tortillage, drôle et sombre, au mot de Henri Calet (peut-être dans Peau d’ours): «J’écris dans la mesure où je n’existe pas.»
Lire Bruno Lafourcade (clic).
Merci Michèle Furtuna
«Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre» écrit Montaigne dans le livre III des Essais.
Pour autant, on ne se livrera pas ici au petit jeu qui consiste à débusquer le vrai dans le faux, le faux dans le vrai, et réduit la littérature à un joli calque. On s’y refuse absolument car elle vaut infiniment mieux que ça. Tout est vrai ici donc tout est faux, tout est faux donc tout est vrai. Rétrécissement de Frédéric Schiffter est un roman, s’annonce comme tel et tient ses promesses. Un très bon roman, même.
Le narrateur un tantinet désabusé, Baudoin Villard, en nous racontant sa vie, en nous parlant de son métier de professeur de philosophie, de son expérience de l’amour et de la conjugalité (il est en plein divorce), de l’amitié, de la famille, nous livre de manière élégante, fine et jamais sentencieuse, son regard sur tous ces sujets. Lesquels sujets conduisent à un élargissement du propos, du singulier vers l’universel, le narrateur a lu Montaigne: parler de soi, c’est parler de tous les hommes, des questions essentielles que se pose tout être qui réfléchit à son humaine condition. À son rapport au temps, à sa géographie personnelle (temps et espace sont deux sujets primordiaux ici), à sa relation aux autres, à la société, à la maladie, à la mort. Et même à sa relation à la littérature et à la philosophie.
D’astucieux biais narratifs (les discussions avec le voisin Lévy, la thèse du psychiatre, la lettre de l’infirmière, etc.) permettent la polyphonie et l’introduction de points de vue extérieurs, dans un récit écrit à la première personne, léger, jamais verbeux, souvent très drôle par-delà sa tonalité mélancolique.
Les derniers chapitres sont absolument bouleversants, on les lit d’une traite, et on termine essoufflé et sonné.
Merci, Pierre Latiere
Rétrécissement est un livre rare car 100% sans moraline, sans indignation, sans analyse psychologique (de comptoir) des personnages. Il s’en tient à ce qui est. Et à ce qui doit fatalement arriver. Il ne flatte pas (c’est un euphémisme) celles qui sont devenues les principales cibles du marketing littéraire: les femmes. Le style est toujours aussi svelte et juste. C’est un roman «tragique»: il ne cherche pas à cacher le caractère tragique de la vie et du réel, au contraire il l’expose cliniquement. Le paradoxe est qu’on peut même le lire en riant, comme Kafka quand il citait à ses amis des passages de La Métamorphose…
Impression de lecture de l’écrivain Fédéric Bécourt, auteur de Attrition et, tout récemment, de Un vent les pousse (clic) — excellent et terrible roman sur la bêtise bienveillante qui opprime notre époque. Merci !
«Trois ans après Jamais la même vague (Flammarion, 2020),Frédéric Schiffter publie (aujourd’hui même) son deuxième roman.
Rétrécissement relate le parcours chaotique de Baudouin Villard, un écrivain et prof de philo à la quarantaine dépressive, en instance de divorce et qui chaque jour s’isole davantage. Dont la présence au monde et le champ des interactions sociales se rétrécissent, en quelque sorte, d’où le titre du livre. Le style est toujours sobre, les phrases courtes et ciselées. Le propos, lui, est très personnel. Sincère, surtout. De cette sincérité désarmante qui parfois nous ébranle et nous mouille un peu les yeux. Nous voilà plongés dans une littérature à l’étouffée, marinée dans le vécu, assaisonnée par le souvenir des jours heureux et celui, plus amer, des déconvenues et des humiliations. Et si tout sonne juste, c’est parce que tout est vrai, à défaut d’être authentique. Grâce aux artifices qu’autorise le roman, Schiffter brouille les pistes et contourne les chausse-trapes de l’autofiction. On ne sait jamais vraiment quand l’auteur s’expose. Aussi, il n’est jamais dans la posture ou l’affectation. Simplement, il observe et rend compte du monde, tel qu’il lui apparaît, de la fragilité des liens humains (et des relations de couple en particulier), du poids du passé familial ou des affres de la fin de vie... Toujours avec lucidité et sans la moindre complaisance. À travers le personnage de Baudouin, l’auteur ne s’épargne pas lui-même, au contraire, on dirait même qu’il se réserve les coups les plus durs. Mais c’est chaque fois mérité, nous laisse-t-il penser, en tout cas l’occasion de retenir une leçon. Des leçons, précisément, Rétrécissement n’entend pas en donner, et c’est très bien ainsi. La littérature n’est pas censée nous apprendre à vivre ou nous faire du bien, Frédéric Schiffter le sait. Sans chercher à plaire, et encore moins à se plaindre, il livre un récit puissant dont la fin est particulièrement réussie, tant sur la forme que sur le fond. À la fois sobre et érudit, ironique et poignant, ce texte m’a touché par sa sincérité, je l’ai déjà dit, mais aussi par sa profonde humanité. Et c’est là, me semble-t-il, le propre des meilleurs romans.»
Les Français se rappellent-ils les millions de vie que notre président a sauvées en les emmerdant pour qu’ils se vaccinent? Les ingrats, les irresponsables, les terroristes intellectuels...
En traînant ce matin à la petite Chambre d'amour, je pensais à cette réforme des retraites qui a suscité tant de «remuements» — pour parler comme Machiavel — chez les salariés. Ce fut pitié, me disais-je en regardant la mer, d'entendre les bureaucraties syndicales et les partis de gauche opposer aux arguments économiques du gouvernement d'autres arguments économiques. Misère de la raison comptable!, me suis-je écrié in petto. La question n'est pas là! Allonger les années passées au travail est criminel. Un gang de technocrates au pouvoir vient de voler aux gens du temps à vivre. Il s'agit d'un casse existentiel. Jamais l'idée anarchiste de récupération prolétarienne n'a eu autant de sens qu'aujourd'hui, ai-je songé remarquant que le ciel s'éclaircissait. Alors, je me suis posé sur un banc et j'ai écrit ces quelques lignes.