J’appelle intellectuel un écrivain, un philosophe, un universitaire qui, non par démagogie — comme le pensent les esprits cyniques —, mais en vertu d’un sens supérieur de la morale, apporte son soutien à telle ou telle cause qui lui semble juste. L’écrivain, le philosophe, l’universitaire, se fait intellectuel quand il quitte la tour d’ivoire de la littérature, des idées, du savoir, pour aller s’engager avec courage sur les champs de batailles de l’Opinion. L’arme redoutable de son combat est alors la pétition.
On connaissait Vincent Cespedes, philosophe-animateur d’entreprise, spécialiste des mouvements sociaux pour les plateaux de télévision, compositeur de rap, vidéaste. Autant dire un esprit universel, un acteur de premier plan de la culture. Mais Vincent Cespedes fortifie davantage sa dimension d’intellectuel en se faisant lanceur d’alerte. Ayant découvert récemment que Martin Heidegger fut nazi et ayant appris que certains passages de son œuvre pouvaient être étudiés au lycée, il vient d’émettre une pétition afin que le ministère de l’Éducation nationale supprime l’auteur de Sein und Zeit «de la liste officielle des auteurs recommandés aux élèves de classe terminale». Vincent Cespedes ne prône pas la censure. C’est un démocrate attaché à la «liberté pédagogique» des professeurs. Mais, soucieux de préserver les consciences juvéniles, il en appelle à une nécessaire dénazification des programmes scolaires. Vincent Cespedes ne précise pas si les textes de Levinas, de Sartre, d’Arendt, de Derrida, etc., écrits sous l’influence d’Heidegger, devront faire l’objet d’enquêtes pour déterminer s’il y subsiste des éléments d’ontologie hitlérienne. Pour ma part, il m’apparaît que pareil programme de purge ne serait pas illégitime. Il suffirait qu’on créât pour Vincent Cespedes au 110 rue de Grenelle un Bureau de l’Épuration philosophique. Une pétition s’impose.