vendredi 22 juin 2012

Leur apprendre à se connaître


"La vie amoureuse m’assomme si je ne peux assouvir sur ma partenaire mes penchants pédagogiques et pervers qui procèdent, bien sûr, d’une seule libido. L’amener à mes vues intellectuelles et à mes phantasmes sexuels, voilà ma grande affaire — à quoi je tente de parvenir sans violence, sans chantage ni promesses, au seul moyen de ma rhétorique exercée à révéler chez elle son désir d’être en même temps instruite et pervertie."

In Traité du Cafard 


jeudi 21 juin 2012

Ne pas oublier Muray


« […]Notre monde est le premier à avoir inventé des instruments de persécution ou de destruction sonores assez puissants pour qu'il ne soit même plus nécessaire d'aller physiquement fracasser les vitres ou les portes des maisons dans lesquelles se terrent ceux qui cherchent à s'exclure de lui, et sont donc ses ennemis. A ce propos, je dois avouer mon étonnement de n'avoir nulle part songé, en 1991, à outrager comme il se devait le plus galonné des festivocrates, je veux parler de Jack Lang ; lequel ne se contente plus d'avoir autrefois imposé ce viol protégé et moralisé qu'on appelle Fête de la Musique, mais entend s'illustrer encore par de nouveaux forfaits, à commencer par la greffe dans Paris de la Love Parade de Berlin. Je suis véritablement chagriné de n'avoir pas alors fait la moindre allusion à ce dindon suréminent de la farce festive, cette ganache dissertante pour Corso fleuri, ce Jocrisse du potlatch, cette combinaison parfaite et tartuffière de l'escroquerie du Bien et des méfaits de la Fête. L'oubli est réparé.[…] »

Philippe Muray


dimanche 17 juin 2012

Artiste du chaos


"Quand j’étais enfant, mon héros cinématographique, comme pour beaucoup de gamins, était Charlot — je ne parle pas des personnages que Chaplin jouera dans ses longs métrages et que je découvrirai plus tard au ciné-club de mon lycée et tels que: Les lumières de la ville, Les Temps Modernes, Le Dictateur, et le plus sombre d’entre eux, Monsieur Verdoux. Si je ne mesurais pas tout le fond subversif de cette forme de burlesque, j’en subissais avec jubilation les séductions. J’en percevais vaguement aussi la tonalité tragique, le fond pessimiste. Car le génie de Chaplin n’était pas seulement de susciter par le rire une vive sympathie pour le personnage d’un vagabond rebelle, espiègle, allergique aux policiers, rétif au travail, amateur de jolies filles, etc., mais de rappeler que la vie pouvait à tout moment devenir une suite de mésaventures sur fond de désolation et qu’aucune structure ne soutenait durablement le monde. «Le grand thème de la vie, c'est la lutte et la souffrance», écrivait-il dans Ma vie ; ou encore : «La beauté est une omniprésence de la mort et du charme, une tristesse souriante qu'on discerne dans la nature et en toute chose». Qu’il fût patineur, usurier, employé dans un cirque, chercheur d’or, etc., Charlot incarnait l’Irrégulier qui, par ses gaffes, ses maladresses, ses irrévérences, et sans déranger l’impeccable mise de ses frusques, replongeait le monde dans son état initial de chaos chargé de tous les périls. Ce clochard sentimental toujours fauché et, quoi qu’il arrive, tiré à quatre épingles, fut mon premier maître en dandysme et en anarchisme."


In La Beauté
Une éducation esthétique
Éditions Autrement
En librairie le 12 septembre 2012

jeudi 14 juin 2012

De la grâce inefficace


«Comme certaines personnes sont rassemblées par leur amour commun pour Debussy, les voyages ou les tailleurs anglais, et aussi comme certains hommes aiment les blondes ou détestent les Juifs, je suis sensible aux gens qui s’ennuient. L’ennui et la neurasthénie, que je ne suis pas prêt à confondre, me plaisent au même titre qu’une grâce morale ou physique. Lorsque je dis d’une personne: ”C’est quelqu’un qui s’ennuie bien”, c’est que je veux en faire l’éloge et lorsque je demande: ”Est-ce que cette personne s’ennuie beaucoup? ”, je veux faire entendre: ”Croyez-vous que cette personne me plaira?”. C’est purement un goût, où il n’entre, je m’en réjouis, aucune espèce de pitié.» 

Jacques Rigaut


samedi 9 juin 2012

Ce sera un temps béni et elles seront sur les plages



Hier, un coursier en provenance de Paris nous a apporté quelques exemplaires de notre prochain ouvrage, La Beauté, Une éducation esthétique,  publié par les soins de la maison d'édition Autrement. Hélas!, avons-nous pensé, comme sa sortie en librairie n'est prévue que le 12 septembre, nul livre, cet été, ne fera la joie de nos enthousiastes lectrices! Bah!, nous sommes-nous dit aussitôt, elles n'auront qu'à glisser tel ou tel de nos précédents chefs-d'œuvre dans leur sac de plage et en reprendre de merveilleux passages entre deux baignades.  

vendredi 1 juin 2012

Philosophe sentimental et ridicule


J’écris des essais parce que je n'ai pas eu le talent de composer des chansons sentimentales. Même ridicules. D’ailleurs, comme l'aurait dit Fernando Pessoa, toutes les chansons sentimentales sont ridicules mais, à la vérité, ce sont les gens qui n’écoutent pas les chansons sentimentales qui sont ridicules. Voilà pourquoi je réécoute le cœur noyé de nostalgie les chansons sentimentales de mes dix-huit ans, l’âge où je feignais de les trouver ridicules. 


vendredi 25 mai 2012

Aspect glissant, narcissique et aujourd'hui radiodiffusé du nihilisme balnéaire


Aujourd'hui, à 17 h, dans l'émission Sur la route de France Culture, on pourra faire la connaissance de Lee Ann Curren, fille jolie comme tout d'un grand styliste de la glisse houleuse et, éventuellement, écouter divaguer le tôlier de ce blogue, longboarder sans qualités.  

samedi 19 mai 2012

Le plaisir des temps morts


Jeune abonnée au blogue du PSQ

Il y a deux ans, j’ouvrais ce blogue avec l’unique intention de me divertir — et décidé à le fermer sitôt qu’il me lasserait. Comme on peut le voir, je m’amuse toujours à le tenir et, à en croire les statistiques, il attire du monde. Pour quelles raisons ? Les plus mauvaises, je l’espère. Car, comme disait mon cher Oscar Wilde, «dans un siècle où l’on ne prend au sérieux que les imbéciles, je vis dans la terreur de n’être pas incompris». 

lundi 14 mai 2012

Aspect glissant, narcissique et plutôt malpoli du nihilisme balnéaire


 L'art de voler une vague

Nombre de défauts en moi me déplaisent — déplaisir heureusement atténué par certaines qualités qui me rendent détestable aux yeux de bien des gens.


samedi 12 mai 2012

No se puede vivir sin amar — 12


Éric Fischl


«Elle a dû me dire une fois de plus: “C’est tout de même curieux que tu puisses ainsi me soupçonner de coucher avec des hommes.” Je lui dis : “Voyons ! Si un homme t’offrait cinq mille francs par mois, même seulement pour lui faire certaines choses, avoue que tu accepterais peut-être. Cinq mille francs par mois, c’est une somme.” Tout de suite alors, son visage défait, et une crise de larmes. Je n’ai pu que lui demander pardon, lui dire qu’une fois de plus je plaisantais. — “Oui, oui, tu dis souvent que tu plaisantes, au fond, je sens bien à ton ton que tu parles sérieusement. Comment peux-tu me dire de ces choses? J’en suis arrivée à appréhender de nous trouver ensemble. Je sais bien que tu penses cela vraiment de moi.” J’ai alors ce mot qui n’était pas fait pour arranger : “Je le pense de toutes les femmes.”»

Paul Léautaud
Journal particulier (1935)


mardi 3 avril 2012

Prier dans le bain


Dessin de Unlucky

«La lecture matinale du journal est une sorte de  prière réaliste», disait Hegel. Je ne lis pas les journaux, mais j’écoute la radio pendant que je prends mon bain. La prière dure une bonne demi-heure. 

Dans les discours relatifs à la crise et aux dettes contractées par les Etats européens, j’ai beau tendre l’oreille, mais je n’entends jamais évoquer l’A.G.C.S. 

Décidé par les instances supranationales de l’O.M.C. en 1995, cet Accord Général pour le Commerce de Services — le G. A. T. S. en anglais — prévoyait pour la fin de la première décennie des années 2000 la privatisation des services publics : la santé, l’éducation, les transports, le courrier, l’énergie, le crédit — ce qu’il en reste. L’idée était que tout Etat européen devait s’obliger à des économies budgétaires sévères afin que ces secteurs, de plus en plus asphyxiés et, par là, affligés de dysfonctionnements, n’aient plus d’autre destinée que d’être vendus à l’encan, dans les bourses, aux groupes multinationaux les plus offrants. Concomitamment, la construction de l’union européenne, en accélérant la dérèglementation des législations nationales, répondrait à cette orientation. Comme les structures étatiques résistent de par leur ancrage historique, le programme de l’A.G.C.S. a pris du retard. Or, sans être grand clerc en matière d’économie, je me dis que la crise, qui fait entonner plus que jamais aux dirigeants le refrain de la rigueur, représente une aubaine pour accélérer ce processus de démolition des Etats-nations, démolition confiée aux responsables de ces Etats eux-mêmes, comme on le voit avec la Grèce, ce laboratoire où les puissances du marché expérimentent un type d’Etat sans souveraineté et dont la plupart des infrastructures sont achetées par des fonds étrangers — aujourd’hui chinois, demain qataris, après-demain indiens ou brésiliens. 

Comme le tour de l’Espagne, de l’Italie, du Portugal ne saurait tarder, pour les expérimentateurs du marché, l’aspect le plus intéressant de l’épreuve est de voir quelle résistance les Grecs, humiliés à la face du monde et soumis à la saignée, vont opposer. Tels des entomologistes avec des bestioles placées sous verre, ils observent la capacité des fonctionnaires, des petits employés, des retraités, des étudiants, etc., à se mobiliser et à organiser leurs faibles forces pour contrecarrer l’agression mortelle. Pour l’heure, ils assistent, comme prévu, à une agonie des plus prometteuses. Les journées et les nuits d’émeutes qui se succèdent ajoutent à l’épuisement de devoir vivre dans le dénuement. Elles deviennent plus rares. Le découragement gagne les gens. Les Grecs se rendent compte qu’ils ne forment pas un peuple mais des catégories hétérogènes que le parti communiste disloqué et l’église orthodoxe essoufflée ont cessé d’unifier. Les télévisions étrangères présentes sont là pour en témoigner et, aussi, transmettre au reste des populations européennes l’idée que si l’indignation est légitime, la résignation l’emporte en sagesse tant et si bien qu’il convient d’opter immédiatement pour celle-ci sans céder à celle-là.