Les Afghans, les Ukrainiens, les Arméniens, les Israéliens. Dans mes jeunes années, les Vietnamiens, les Chiliens, les Palestiniens. J’ai toujours vu de belles âmes s’indigner du sort subi par des «peuples», des «nations», des «populations», des individus. Dans un élan de courage elles signent les pétitions d’intellectuels, défilent dans les villes paisibles. Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, elles placardent le drapeau de tel ou tel pays, proclament «Je suis ceci», «Je suis cela». Je ne sais si les belles âmes feignent leur indignation. Je constate que pareille passion, dans son expression mélodramatique, présente pour elles les avantages non seulement de se mettre en valeur aux yeux des autres et de se dispenser d’agir autrement que par des gesticulations, mais, surtout, de s’instituer en procureurs. Car l’expérience m’a montré que si les belles âmes défendent une cause — sans nuire à leur confort — c’est pour accuser les suspects qui ne manifestent à son égard ni compassion, ni solidarité, ni intérêt. «Ils ne condamnent pas le Mal? Alors ils sont condamnables.» Suspecter, accuser, condamner les indifférents apporte toujours cette jouissance sans laquelle les belles âmes ne s’indigneraient pas. Je crains qu’elle ne soit leur seule motivation.
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