Pour accréditer l’idée que les petites gens aspiraient spontanément à la justice, George Orwell leur prêtait une «décence commune», une sorte de moralité spontanée. Jean-Jacques Rousseau avait son sauvage bon par nature, George Orwell son «prolétaire», voire son «petit-bourgeois», altruiste en raison de sa condition sociale. Le remuement des Gilets jaunes a permis de voir la pertinence de cette notion de décence commune quand ces braves insurgés se menaçaient de mort entre eux, de même, quand, dans la période de la crise sanitaire, une majorité de Français désiraient la punition et la non-prise en charge médicale des non-vaccinés, et, de même encore, quand, aujourd’hui, pendant l’opération militaire spéciale de Poutine en Ukraine, des chalands adressent des insultes à des civils russes travaillant en France ou aux salariés des magasins Leroy Merlin. «Il est des idées d’une telle absurdité, que seuls les intellectuels peuvent y croire», disait Orwell. J’attends qu’un historien se lance dans l’écriture d’une Encyclopédie des lynchages inspirés par la décence commune.
Votre critique de la « Décence Commune », de Georges Orwell, me paraît, par anachronisme, parfaitement inappropriée. Car la courte définition que vous en donnait, à savoir : « l’idée que les petites gens spontanément aspiraient à la justice...une sorte de moralité spontanée ».
RépondreSupprimerCela me semble méconnaitre, de votre part, le parcours de Georges Orwell, auquel il ne faudrait pas se contenter de lui coller l’image spécieuse d’un officier de la Police coloniale anglaise en Birmanie. Il me semble, après sa démission assez rapide de cette fonction, qu’il faudrait plus porter l’attention sur l’expérience de sa vie de vagabondage, à Paris et à Londres, dans les taudis parisiens, en Angleterre dans les centres d’accueil et avec les travailleurs itinérants, son enquête sur la population des mineurs à Wigan, son engagement en Catalogne …
De tous ces vécus, il a sûrement dégagé cette notion aux contacts avec les populations démunies et travailleuses. Il faut préciser que si Michéa fait de cette décence commune une sorte d’outil conceptuel, parce que, lui-même s’est positionné sur une sorte d’attitude philosophique visant à entretenir une nostalgie marxiste, à travers une sorte d’image prolétarienne, en critique de la gauche institutionnelle ; par contre Georges Orwell ne fut pas un professeur de philosophie, mais un journaliste et essayiste critique, et plutôt un pourfendeur du totalitarisme stalinien et de la modernité technique. Cette décence commune ressemble plus à un simple qualificatif pour honorer la dignité de beaucoup de personnes du petit peuple qui avaient un sens certain de leur dignité, et se sentant, plus souvent, méprisés par la morgue des classes huppées.
Or appliquer cette Décence Commune à notre époque, comme le fait Jean Claude Michéa, est plutôt décalé ; même si elle peut survivre dans quelques niches microsociales, par-ci, et par-là. Il serait plus décent de recourir à la notion d’indécence sociale, car beaucoup plus caractéristique de notre époque, Or le tissu social a complètement été bouleversé avec la disparition de l’industrie, il s’agit plus d’une population tertiarisée, lobotomisée, gavée au jeu du cirque. Or la série télévisée des Deschiens, a montré ce mépris distanciel des petites classes moyennes, issues de l’ascenseur social, avec justement les débris caricaturaux de cette Décence Commune d’avant.
Aurait-on la même idée de vouloir appliquer aujourd’hui ce que Descartes, en définissant la Raison, appelait le bon sens, ou la chose du monde la mieux partagée ? N’est-ce pas ? Ne serait-il pas aussi décent de parler de ce non-sens, comme la chose du monde la mieux partagée ? On peut alors, dans les deux cas, indécence commune ou non-sens, comme les choses du monde les mieux partagées par le spectacle ludique et festif, nommer notre société d’Absurdie.
Sylvain Darras darrasfiddle@gmail.com