dimanche 16 août 2020

Dorothée Janin, conteuse cruelle


Philippe Djian, Frédéric Beigbeder, 
Guillaume Farré, Mézigue, Dominique de Saint Pern, 
Céline Farré, Dorothée JaninIsabelle Carré, 
Claude Nori, Jean Le Gall. 
Photographie: Christophe de Prada

Une bande d’amis, constituée en jury littéraire — Prix de la Maison Rouge de Biarritz —, vient de saluer L’île de Jacob, le roman de Dorothée Janin (Fayard), qui paraîtra le 19 août (CLIC). D’abord, j’en avais trouvé les premières pages floues. Je crus qu’elles ne m’embarqueraient pas. Puis, peu à peu gagné par la force de certaines scènes, j’ai lu le tout en un jour. Dorothée Janin concentre le monde entier dans Christmas Island, les drames intimes et les tragédies planétaires. Elle dépeint les êtres, les paysages, la faune et la flore, à la manière d’une naturaliste, au sens à la fois littéraire et biologique du terme. Tout le vivant, dans ce microcosme à l’agonie, semble voué à un comportement aberrant. Un dauphin qui mord, un tourteau géant qui croque de la ferraille, des fourmis blondes et graciles qui mènent une guerre génocidaire contre des légions de crabes rouges, des réfugiés qu’on «tient retranchés» mais dont on respire la merde dans l’air, des moustiques impitoyables, un junkie, Jacob, en panne de rédemption, un adolescent, le narrateur, tourmenté par le sexe et l’amour — c’est de son âge, mais là, dans cet enfer, il trinque —, une fille de pasteur, Vicky, amatrice d’anatomie et tentée par celle du beau diable (le junkie), de jolies petites garces chinoises racistes, etc. Sauf pour les insectes, vivre là est une punition. Mais il n’y a pas qu’une écriture sobre et précise dans ces pages, il y a aussi une vision du monde ou, ce qui est la même chose, une sensation d’écorchée vive. Cet aphorisme impeccable: «Je me demande si Darwin n’est pas passé à côté d’un gros morceau de l’histoire. Je me demande si la dépression, par exemple, n’est pas une espèce en soi, avec sa propre stratégie d’évolution, sa perfection, sa tension vers la survie. Un prédateur qui se sert du corps humain pour croître et pulluler en le poussant à se détruire, avant de changer d’hôte. Système de vie superposé au nôtre et dont nous serions le cheptel.» Très peu sont les écrivains femmes qui évitent le ridicule des bons sentiments comme la fausse audace du récit trash, mais s’adonnent à ce genre de conte cruel appelé aussi roman d’initiation où non seulement rien n’est enchanté, mais où les personnages déchantent à jamais. Dorothée Janin est donc une conteuse pour les amateurs de raretés romanesques. J'ose penser que leur espèce résiste encore.      

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