Stefan Konarske et Auguste Diehl
En allant voir Le Jeune Karl Marx, de Raoul
Peck, je supputais que ce ne serait pas un grand film. Je m’attendais à un
«biopic», comme on dit, planplan mais honnête. Un peu comme le Hannah Arendt de
Margaret Von Trotta. On peut faire la comparaison, en effet. Par-delà les
considérations cinéphiliques, ce film m’a plu. D’abord, j’ai trouvé que les
acteurs incarnant Marx (Auguste Diehl) et le jeune Engels en dandy (Stefan
Konarske), étaient bien choisis. Les actrices aussi, Vicky Krieps et Hannah
Steel qui jouent respectivement les épouses de Marx et de Engels —
l’aristocrate Jenny Von Westphalen et l’ouvrière Mary Burns. Ensuite, il m’a
semblé que Peck connaissait bien l’œuvre de Marx, ou, du moins, qu’il avait
pris la peine de se documenter sérieusement sur cette période (1840-1848)
durant laquelle le jeune hégélien de gauche (Marx a 23 ans en 1840) mûrit sa
réflexion et sa critique du capitalisme en s’attelant à la lecture de Ricardo
et de Smith. Enfin, le film est louable en ce qu’il permet de comprendre
comment, bien qu’il ait toutes les polices aux trousses et suscite l’antipathie
dans les milieux révolutionnaires, Marx s’impose comme le théoricien de
référence du mouvement ouvrier englué jusque-là dans les marais humanistes et
philistins du proudhonisme. Malgré ses imperfections, ce film m'a permis
de retrouver le philosophe de mes jeunes années durant lesquelles j'avais fait
mienne sa devise: Mockery
and contempt. Je conserve une grande estime pour le penseur
du réel, le redoutable polémiste, le cruel pamphlétaire. Marx était un
écrivain. Je me flatte d’être un des rares à l’avoir lu — contrairement à
nombre de têtes plates qui n’en parlent que par ouï-dire ou en évoquant la
révolution russe — parce qu’on leur a dit qu’il y avait un lien entre Marx et
Lénine. Pour finir, je ferai une critique majeure à Raoul Peck qui a eu le
mauvais goût de terminer son film avec une chanson de ce couineur de Bob Dylan.
Il eût été mieux inspiré s'il avait choisi comme ultime plan l’impression de
cet extrait de lettre de Engels adressée au poète Ferdinand Freiligrath (en
1852): «Comment des
gens comme nous [Marx et, lui, Engels] qui fuient comme la peste les
positions officielles, peuvent-ils avoir leur place dans un “parti”? Que nous
importe un “parti ” à nous qui crachons sur la popularité, à nous qui
commençons à ne plus savoir où nous en sommes dès que nous nous mettons à
devenir populaires? Que nous importe un “parti” c’est-à-dire une bande d’ânes
qui ne jurent que par nous parce qu’ils nous considèrent comme leurs égaux?»