Photographie de Claude Nori
Au pied du château
d’Ilbarritz, ce samedi 14 juin 2014.
Pendant que la noce
s’égaye, Michel H. m’invite à m’asseoir auprès de lui. Le soleil baisse et nous
pouvons le regarder fixement. Il arbore un beau rouge, doux et flou.
— Regardez, Frédéric, les
êtres qui vont mourir ne peuvent pas rater ce spectacle.
— J’habite ici depuis
longtemps, vous savez. Je ne me prive jamais d’un coucher de soleil.
Michel H. se tait.
Il contemple l’océan gagné peu à peu par le crépuscule. Il demeure silencieux,
tétant sa cigarette qu’il tient entre l’annulaire et le majeur. Je ne le
dérange pas dans ses pensées.
— Vous avez raison,
Frédéric, marmonne-t-il au bout de cinq minutes les yeux rivés sur l’horizon:
Nietzsche n’a pas l’envergure qu’on lui prête (Je comprends qu’il repense à la
conversation que nous avons eue il y a quelques heures). Mais c’est
normal: il a été écrasé par le génie de ses maîtres en philosophie et en
musique. Schopenhauer et Wagner l’ont étouffé.
Un long moment passe.
Derrière nous on joue de vieux boogie-woogies, des mambos, des chachachas. Des
rires et des petits cris féminins se mêlent au bruit du ressac. Je songe à
Wagner, à Strauss, à son inaudible Ainsi
parlait Zarathoustra… Nietzsche aurait-il aimé danser le rock avec
Lou?
— Cette Lou, c’était une
salope ! s’écrie soudain Michel H. (Je me dis qu’il n’y a rien de
surprenant dans ce télescopage mental. Quand on pense à Nietzsche, on pense à
Lou.)
Je m’apprête à poursuivre
notre conversation sur ce thème, mais je m’aperçois que mon interlocuteur s’est
absenté de l’autre côté de la mer ou, peut-être, s’est-il perdu au fond de lui.
Comme le soleil a disparu,
je lui propose d’aller dîner.
En se levant, Michel H. me
prend par le bras. En montant les marches recouvertes de sable qui mènent au
restaurant, il s’arrête et me dit:
— Pour moi la partie n’a
plus de sens depuis longtemps. J’ai vu tout le dessous des cartes.
"La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres."
RépondreSupprimerMallarmé (Brise Marine)
La mer et la mélancolie, c'est une vieille histoire d'amour.
Ce cher M.H. est, à mon avis, une des plus brillantes incarnations de cette fameuse maxime de l'Ecclésiaste qui rappelle que la lucidité s'accompagne nécessairement d'une immense douleur.
RépondreSupprimerBien à vous
Loïc
Et si nous pouvions encore espérer pouvoir aller au fond du « connu » pour trouver du nouveau …Les vrais voyageurs sont peut-être ceux qui y parviennent.
RépondreSupprimerBien à vous Sibylline.
J'aime bien votre ami.
RépondreSupprimerCe tableau des déceptions que Cioran rêvait d'installer dans les écoles... Que la partie n'ait pas de sens irait de soi, comme l'air qu'on respire.
RépondreSupprimerFabien (Au Joyeux Néant)
L’écume sur le rouge,
RépondreSupprimerEnveloppé d’une douce chaleur…
Et les milans au perchoir,
Bientôt mangés par la nuit.
Les couchers de soleil africains nourrissent de belles nostalgies.
De même en va-t-il des dernières flamboyances en baie de Somme (l’écume y est remplacée par l’ondulation des sables, et les milans par des colonies d’Huitriers et de Chevaliers – Un peu moins de chaleur aussi).
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Cher Axel,
SupprimerHouellebecq et moi avons l'air en effet de deux oiseaux marins échoués sur des rochers. Ce n'est pas moi qui ai l'âme la plus mazoutée
Cela vous gâche une plage ces cailloux autoroutiers !
RépondreSupprimerBelle image de deux personnes bien estimables. J'ai la chance d'échanger quelques propos avec l'un parfois du haut de la chambre d'amour. Cela dit cher surfer je vous envie. Christian
RépondreSupprimerEntre le racisme et la misanthropie, il n'y a pas seulement une différence de "sélectivité", de format: dans un cas la haine ne vise pas l'être humain, mais ce qu'il considère comme sa dégradation ou son inachèvement; dans l'autre cas, c'est l'humanité qui est considérée comme un raté inéluctable! La confusion entre les deux est dangereuse, elle banalise le racisme, en fait une erreur intellectuelle finalement excusable., une sorte de myopie bénigne... Non, non et non.
RépondreSupprimerJean-Louis C.
Auriez-vous lu , Frédéric Schiffter , "la destruction de la raison" de Georg Lukacs ?
RépondreSupprimerDepuis quelques jours et ça va continuer je lis «Le Royaume» (Emmanuel Carrère doit être à Patmos en ce moment : c'est là-bas qu'il a écrit ce livre.)
RépondreSupprimerJe n'ai que La Bible Chouraqui sous la main : c'est mieux de lire« Le Royaume» avec une Bible sous la main.
J'ai aussi ressorti les trois textes de l’Évangile de Jean traduits par Arthur Rimbaud.
Michel Houellebecq fait une apparition dans «L'Enquête de Luc »(titre envisagé) : merci de lui dire.
"la destruction de la raison"
RépondreSupprimerlire Georg Lukacs ( "la destruction de la raison" , "existentialisme ou marxisme ?" ) nous permettra de voir à quel point le "philosophe de la terreur rouge" qui était Lukacs ...était capable d'analyser d'une rigueur académique immense ces philosophes allemands dont se réclament tous les nihilistes français .....Après ses analyses profondes des philosophes allemands ...Lukacs se tourne vers leurs élèves nihilistes français pour dire simplement à leur propos " banalités petite bourgeoises ! " ^^
Rien n'est plus difficile d'écrire avec grâce et humour sur la banalité — le contraire de l'académisme, et, même, son antidote.
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