mercredi 29 juin 2011

No se puede vivir sin amar — 8


« Ce mois-ci encore, le moral des ménages est au plus bas ». La formule ressassée par les media ne fait qu’indiquer, je le sais, une baisse générale de la consommation ; mais, en l’entendant, je ne peux m’empêcher de penser aux couples que je côtoie ou croise — à ces types et à ces bonnes femmes de moins en moins capables de dissimuler sur leur visage la fatigue de vivre ensemble avec ou sans marmaille.

In Délectations moroses
(Le Dilettante)


samedi 25 juin 2011

Honneur aux rampants

 L’autre jour, (me)baguenaudant dans Biarritz mon ennui à la boutonnière, je passe devant la Maison de la Presse — qui est aussi une librairie. J’y entre afin d’inspecter, mais sans but précis, les étalages. Je tombe sur un titre: (Le)Rire de résistance. Il s’agit d’une compilation de bons mots d’une foultitude d’auteurs établie par Jean-Michel Ribes. La quatrième de couverture explique que dans ce recueil « sont salués ceux qui, comme dans le tome I du Rire de résistance, se sont opposés à toutes les hégémonies par un rire en éclats.» Rien que ça. In petto, je me bidonne. Il y a de quoi. Ribes, résistant ? À qui, à quoi ? Pas à l’avancement de carrière, en tout cas. En novembre 2001, Catherine Tasca, ministre de la culture, et Bertrand Delanoë, maire de Paris, ont nommé ce type directeur du Théâtre du Rond Point. En 2007, il a été fait Chevalier de la Légion d'Honneur et, en 2010, officier des Arts et Lettres. Bref. Je feuillette le bouquin et… sapristi ! je tombe sur un de mes aphorismes extrait du Traité du cafard. Foutre ! Tonitruai-je toujours in petto. Le señorito a osé me faire ça ! En sortant de la boutique, je me suis juré que si je le croisais un jour dans Paris je lui ferais bouffer ses lunettes, ses décorations, et avaler son rire de reptation.  

mardi 21 juin 2011

L'horreur festive


« “Si tu ne viens pas à la fête, la fête viendra à toi.“ C'est l'exacte traduction moderne, ou la paraphrase candidement actualisée, et géographiquement amplifiée, de ce qu'annonçait je ne sais plus quel dignitaire nazi juste après l'arrivée de Hitler au pouvoir : "A partir d'aujourd'hui, plus personne en Allemagne ne sera seul." A cet avertissement infâme, on s'est simplement chargé, comme au reste, de mettre un nez rouge. » 

Philippe Muray

lundi 20 juin 2011

Dansez sur moi


« Moqué par les dragueurs comme étant une prude parade amoureuse, le flirt ne se réduit pas à une stratégie de séduction. Aucun homme n’impose à une femme de flirter avec lui. Il l’y invite. Si elle accepte, alors tous deux, comme pour un tango ou une valse, se plient à des pas, un rythme, des figures qu’ils improvisent aussi selon le lieu, la saison. Dans ce face-à-face, c’est l’homme qui mène la danse, guide sa cavalière et l'entraîne avec douceur et légèreté à se dévoiler davantage. S’il est conduit avec talent, le flirt s'apparente à une maïeutique.» 

— Ah ! Que j'aime cette page de Philosophie sentimentale ! Comme les nihilistes balnéaires savent toucher le cœur féminin !

lundi 13 juin 2011

Aspect glissant et narcissique du nihilisme balnéaire


Photographie © Françoise Forget 


"Nul ne surfe jamais deux fois la même vague."

samedi 11 juin 2011

No se puede vivir sin amar — 7


"Toute relation amoureuse comporte trois stades qui se confondent insensiblement : dans le premier, on est heureux ensemble, même dans le silence; dans le second, on s'ennuie en silence; et, dans le troisième, ce silence s'interpose entre les amants comme un ennemi pernicieux."

La transparence impossible

samedi 4 juin 2011

L'Intelligentsia au service de la police, de l'OTAN, de la morale, du populo, etc.

«L’intellectuel est un philosophe [ou un écrivain, ou un artiste] qui se mêle de ce qui ne le regarde pas», disait Sartre (cliquez sur le titre,s.v.p.). Je dirais quant à moi : un señorito qui proclame en toute occasion, juché sur un tonneau médiatique, tout le mal qu’il pense du Mal avec l’espoir que les bigots de l’indignation lui élèveront une statue.
Or, comme le montre Flaubert avec Monsieur Homais — cf. notre rubrique Remarquable riquiqui — 4 , un raisonneur qui se mêle de ce qui ne le regarde pas ou bien aggrave le mal qu’il dénonce ou bien nuit à sa propre personne — ou les deux.


C’est ainsi que, par exemple, l’influence de Bernard-Henri Lévy exercée sur le chef de l’Etat français pour aider la «révolution» libyenne se soldera sans doute par un… statu quo — puisque le Conseil National de Transition reconnu et soutenu par l’OTAN est constitué des membres les plus sanguinaires des anciens services secrets de Kadhafi.

C’est ainsi que, dans Le Point, à propos de l’affaire DSK, Michel Onfray, notre Juste camusien, penche pour la version policière de l’information (en prenant le parti de la femme de ménage — par souci de sauver inconsciemment l’image de sa propre mère associée à celle d’une « victime » ayant vécu au service de «bourgeois » ?) et, cela, sans que les faits soient clarifiés. On se rappelle qu’à l’époque des sabotages des lignes de TGV, le libertaire reprit à son compte, dans Siné Hebdo, les accusations sans preuves de la justice contre Julien Coupat et ses amis joignant ainsi sa voix à toutes celles de leurs lyncheurs.

C’est ainsi que, ces jours-ci, Luc Ferry, en sa qualité de néo-kantien au breuchingue indestructible, n’écoutant que l’impératif catégorique qui s’impose à sa conscience, s’est tiré publiquement une balle dans le pied en voulant jouer les vertueux délateurs d’on ne sait quels méchants pédophiles.

On voit par ces exemples ce qu’est un intellectuel: une grande gueule assurée d’être du côté du Vrai, du Bien, du Juste et qui ne rate jamais une occasion de s’auto-entarter (Gloup ! Gloup !) en ramenant sa science — à rebours du penseur ou de l’écrivain qui se range à l’avis de Ludwig Wittgenstein selon quoi « ce dont on ne peut parler, il faut le taire ». 

jeudi 2 juin 2011

Les bonnes femmes — 6.



"La femme est le contraire du Dandy.
Donc elle doit faire horreur.
La femme a faim et elle veut manger. Soif, et elle veut boire.
Elle est en rut et elle veut être foutue.
Le beau mérite !
La femme est naturelle, c'est-à-dire abominable.
Aussi est-elle toujours vulgaire, c'est-à-dire le contraire du Dandy."

Charles Baudelaire
Mon cœur mis à nu.

dimanche 29 mai 2011

Le nihilisme, une vocation précoce

Nietzsche berçant son petit surhomme
Dessin de Frédéric Pajak

« L’homme moderne est un animal qui s’ennuie », dit Paul Bourget. Moderne, je l’étais donc au berceau.

mercredi 25 mai 2011

Remarquable riquiqui — 4


Pour l’analyste du riquiqui, Flaubert est une mine d’or.

Si le bovarysme « façon Emma » est un riquiqui éthique assez répandu, nous voudrions en signaler un autre, non moins courant, le bovarysme « façon Charles ». Le premier, nous l’avons rappelé, consiste à se monter le bourrichon en prenant les airs de celui ou de celle qu’on rêve d’être mais qu’on ne pourra jamais devenir ; le second consiste à se croire doté de compétences qu’on n’a pas et qu’on ne peut avoir.

Dès lors que Monsieur Homais parvient à le convaincre qu’il peut redresser le pied-bot d’Hyppolite (le factotum du Lion d’or de Yonville), Charles Bovary, qui n’est qu’officier de médecine et non pas chirurgien, s’attèle à une tâche qui le dépasse. On sait comment l’aventure se termine : il faut amputer toute la jambe du malheureux Hyppolite, l’opération ayant tourné à la boucherie et généré la gangrène.

Ainsi arrive-t-il que nous ayons affaire à des types ou des bonnes femmes affectés de cette forme de prétention extravagante à occuper un domaine du savoir ou de la pensée qui leur échappe — je veux parler ici de la philosophie. Ayant parcouru tel ou tel digest démagogique de vulgarisation écrit par n’importe quel Homais qui leur fait accroire qu’ils peuvent atteindre à la hauteur de vue d’un Épicure, d’un Spinoza ou d’un Nietzsche, ils se coiffent de ces esprits comme s’ils en étaient les familiers lecteurs et, même, se piquent de commenter savamment leurs ouvrages. Les voilà philosophes ès qualités sans qualifications se croyant autorisés à parler d’égal à égal avec quelqu’un de la partie — comme si un barbouilleur du dimanche tapait sur le ventre d’un Impressionniste en lui donnant du « Cher confrère !». On pourrait penser que leur pédantisme les rend moins dangereux que Charles Bovary et cela dans la mesure où ce sont eux qui souffrent d’un pied-bot mental. Ce serait sous-estimer gravement la nocivité de certaines infirmités de l’intelligence.  

samedi 14 mai 2011

Essai de consolation


La Schiffterina : "S'il vous reste quelques amis, c'est parce que vous ne pouvez pas déplaire à tout le monde..."

mardi 10 mai 2011

Remarquable riquiqui — 3


L’une des formes les plus pathétiques du riquiqui consiste à avoir honte de ce qu’on est, partant à désirer être une autre personne, plus remarquable, et, à cette fin, à se livrer à moult gesticulations et à tenir maints discours, mais, hélas, pour cela même, à demeurer tel qu’on est, voire : à aggraver sa nullité. Ce ressentiment tourné contre soi s’appelle aussi le bovarysme.

Emma, l’héroïne de Flaubert, souffre de végéter dans sa condition sociale de petite-bourgeoise de province. L’imagination excitée par ses lectures romanesques, elle aimerait tant vivre des aventures sentimentales passionnantes ! Mais, n’étant que la fille d’un paysan normand, la voilà mariée à un type falot et, quand elle se décide à prendre des amants, c’est pour tomber à nouveau sur des minus. Le sort de la médiocrité s’acharne sur son désir d’être une amazone volcanique. Elle qui rêva tant d’être l’artiste de sa vie n’échappera pas au destin d’une triste desperate housewife. Elle sera mère de famille. Seul le suicide confèrera un peu de grandeur à son ratage.  

Le riquiqui chez Emma est de s’imaginer qu’elle méritait un standing existentiel plus élevé que le sien. Si, comme nombre de ménagères d’aujourd’hui, elle avait eu la prétention de lire Nietzsche plutôt que Walter Scott, elle aurait bassiné son entourage avec ses prétentions à une transfiguration de soi, à une sculpture de soi, à une affirmation de sa volonté de puissance. Elle aurait rebattu les oreilles de son pauvre époux : « Charles ! Je vais me rebeller, transvaluer les valeurs judéo-chrétiennes qui empoisonnent notre ménage et devenir ce que je suis : un Übensmensch-femme ! ».

Ce riquiqui consistant à vouloir contre toute raison changer son manque de style, d’élégance, de culture, d’esprit et d’humour en charme, à s’imaginer, en somme, qu’on peut convertir le plomb de sa personne en or, porte un nom : le délire des grandeurs. Or, pareille folie n’est pas le seul apanage des bonnes femmes mal aimées ou complexées, mais, aussi, d’hommes réputés très posés et réfléchis : les philosophes. Les Cyniques aspiraient à la puissance d’Hercule, les Stoïciens à l’Impassibilité des étoiles, les Épicuriens à l’Autarcie des dieux, Spinoza à la béatitude du Sage, Nietzsche à la grandeur du Surhomme, Debord à la renommée d’un Frondeur, un professeur, plus près de nous, à la vertu du Condottiere.

Dans certains de ses romans, Flaubert visait à décrire avec cruauté la bêtise. Or, on le voit, ce désir si bête de se grandir qui affecte son héroïne est un désir partagé par des esprits de qualités — même si le ridicule saute davantage aux yeux quand il s’agit de leurs suiveurs, dépourvus, comme Emma, du talent de faire illusion.



jeudi 5 mai 2011

Frime et vacuité


Une dépêche vient de tomber. Huit grands hôtels de luxe français ont reçu la distinction de palaces. Parmi eux, le Palais de Biarritz. Comment le jury a-t-il pu autant retarder dans ce choix ? Pourquoi ne m’a-t-on pas consulté ?
Dominique Fernandez, le président du jury, prétend qu’un palace doit amener les clients « dans un autre domaine que celui de la vie courante », qu’il doit avoir une histoire qui « contient déjà une part de rêve, une sorte d'enchantement par les fantasmes qu'il suscite » et être « une sorte de roman », un lieu où on pénètre « comme on s'avance dans le royaume des mille et une nuits ». Certes, certes. Mais c’est un peu du baratin, tout cela. Le Palais est à un quart d’heure à pied de chez moi, mais il arrive que, de temps à autre, j’y passe une nuit. Pas toujours tendre la nuit, au Palais. On dit que Hemingway et Fitzgerald, après avoir trinqué jusqu'à plus soif, s’y sont battus. Au bar ou aux pissotières. Scotty a bien cogné, mais il n’a pas fait le poids. Ernest l’a remonté dans sa chambre. Bref. Un palace c’est avant tout un endroit tout à fait indiqué pour un type comme moi, qui ne s’en remet pas de la fatigue d’être né. Rien de mieux qu’une suite pour jouir de moments douillettement coincés entre le temps et l'éternité. J'y soigne les morsures que m'infligent les chronophages. Bien sûr, séjourner dans la soie me met sur la paille et les railleurs disent que je suis snob à me mêler ainsi à une faune de parvenus. Ils n’ont pas tort. Mon snobisme est de me dire que de tous les parvenus je suis le seul parvenu à rien.    



dimanche 1 mai 2011

Lettre à Lucille



Pouvez-vous me parler d’un mortel, très chère Lucille, qui accorde du prix au temps, qui reconnaisse la valeur d’une journée, qui comprenne qu’il meurt chaque jour ? Notre erreur est de voir la mort devant nous. La partie de la vie qui est derrière nous appartient à la mort. Faites donc, ma jeune amie, ce que vous me dites dans votre billet : saisissez-vous de chaque heure. Ainsi vous vous serez emparé du jour présent. On remet la vie à plus tard, pendant ce temps elle s’enfuit.