Jérôme Leroy
auteur de
L'Ange gardien
(Série Noire)
Depuis trois semaines, je
suis la proie d’insomnies. Réveillé chaque nuit vers quatre heures, je passe le
reste de la journée dans un état qui oscille entre l’anxiété et l’écœurement. Dès la fin des vacances, je me suis retrouvé dans un cauchemar courtelinesque. Au lecteur de
passage, je ne ferai pas l'injure de rappeler que Georges Courteline
excellait à railler les turpitudes administratives qui empoisonnent la vie d’un
paisible citoyen. On m’objectera que Courteline n’est pas Kafka; que s’il n’y a
rien d’agréable à se retrouver dans Messieurs
les ronds-de-cuir, cela reste préférable à une immersion dans Le Procès. Sans doute. Mais rien n’est
plus redoutable que la capacité de nuisance d’une bureaucratie. Il y a dans
Courteline un fonctionnaire dénommé Ratcuit qui applique jusqu’à l’absurde le
règlement. Dans mon cas, ce sont des Ratcuit qui
me forcent à leur rappeler la règle qui les oblige envers moi. Me voilà donc courtelinisé au point d’en perdre le
sommeil. Le bon côté de la nuit blanche, est que l’on trouve toujours un ou
deux amis pour échanger. Non pas de vive voix, mais dans une conversation
silencieuse en harmonie avec l’heure: la lecture. Cette nuit, j’ai passé un bon
moment avec Berthet, le héros de L’Ange
gardien de Jérôme Leroy (Série Noire). Un tueur au service de la raison
d’Etat, nostalgique du monde d’avant et lecteur des poètes. Au début de chaque
chapitre, on veut tuer Berthet ce qui est une mauvaise idée, mais surtout une
faute de goût. Berthet est un homme cultivé doté d’une âme mélancolique. Je lui
donnerais volontiers toutes mes économies pour qu’il liquide les Ratcuit qui s’acharnent à miner mes nerfs. Une fois le contrat honoré,
je l’inviterais à une bonne table afin qu’il me parlât de Michaux ou de Toulet. Après, qui sait, d'une balle de Sig-Sauer P220 tirée dans la tête, il me ferait basculer in the big sleep. Je goûte aussi à une autre compagnie nocturne, le marquis de Sade, avec qui,
grâce à Gilbert Lely, je fais plus ample connaissance. Sade, un charmant
méchant homme, le seul écrivain qui eut affaire à deux polices, l’une des
mœurs, l’autre de la pensée — la plus bête et la plus violente des deux n’étant
pas celle à laquelle on pense. Finalement, ma santé dût-elle souffrir de
carences de repos, je me réjouis de ces rendez-vous discrets, avant l’aube,
avec un tueur et un pervers.
Que l’on soit un être diurne ou noctambule, la nuit noire de mes nuits blanches m’apporte bien des éclairages pourvus d’une acuité somme toute étonnante.. C’est mon cas en ce moment. La lucidité qui accompagne mes pensées ne cesse de croitre, je me réveille enfin. L’ensorcellement d’hier s’est évanoui, je vois enfin clair. La prisonnière de la caverne s’est libérée, s'en est allée aussi...
RépondreSupprimerJe ne sais quel est ce cauchemar courtelinesque, cher Frédéric, le mien me réveille un peu plus tard, vers 5h. Et c'est également Berthet, Losey, Kardiatou et Joubert qui me tiennent compagnie. De là à leur associer un marquis, n'en déplaise à la mémoire de Pauvert, je m'en abstiens pour le moment. Je redouterais de prendre goût à ces courtes nuits…
RépondreSupprimerLes Ratcuit dont je parle élisent domicile — car le bureau c'est leur vie — dans les immeubles administratifs d'un service public chargé d'instruire les jeunes générations. Ils exercent leur pauvre besogne parce qu'ils ne lisent jamais.
SupprimerJe vois. Vous auriez peut-être du, cher Frédéric, comme Martin Joubert, prendre un pseudo pour écrire vos livres. Les Ratcuits vous auraient plus facilement pris pour un des leurs…
SupprimerDe la même façon, vous devez vous figurer un lectorat alité.
RépondreSupprimercher Frédéric
RépondreSupprimerje vous lis à propos de votre guerre anti-rats et je me rends compte que j'ai les mêmes dans mon immeuble public d'enseignement de la jeunesse... on fait quoi ? je prépare un livre de mon côté, un manifeste de "la lutte pour la classe" (l'excellence pour tous évidemment mais aussi les rapports de classe bien sûr)...
Jugnon