mardi 8 novembre 2022

Nietzsche l'orphelin


En traînant à Biarritz, samedi, après ma conférence sur Nietzsche, je m'arrêtai sur un parapet dominant l'océan et relus un passage de 𝐸𝑐𝑐𝑒 ℎ𝑜𝑚𝑜 — l'autobiographie intellectuelle du penseur:

"Mon père est mort à l’âge de trente-six ans. Il était délicat, bienveillant et morbide, tel un être qui n’est prédestiné qu’à passer, — évoquant plutôt l’image d’un souvenir de la vie que la vie elle-même. Sa vie déclina à la même époque que la mienne : à trente-six ans je parvins au point inférieur de ma vitalité. Je vivais encore, mais sans être capable de voir à trois pas devant moi. À ce moment — c’était en 1879 — j’abandonnai mon professorat à Bâle, je vécus comme une ombre à Saint-Moritz et l’hiver suivant, l’hiver le plus pauvre en soleil de ma vie tout entière, à Naumbourg. J’étais alors devenu véritablement une ombre. Ce fut là mon minimum. J’écrivis 𝐿𝑒 𝑉𝑜𝑦𝑎𝑔𝑒𝑢𝑟 𝑒𝑡 𝑠𝑜𝑛 𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒, et, sans conteste, je m’entendais alors à parler d’ombres... L’hiver qui vint ensuite, mon premier hiver à Gênes, cette espèce d’adoucissement et de spiritualisation, qui est presque la conséquence d’une extrême pauvreté de sang et de muscles, donna naissance à 𝐴𝑢𝑟𝑜𝑟𝑒. La complète clarté, la disposition sereine, je dirai même l’exubérance de l’esprit que reflète cet ouvrage, s’accorde chez moi, non seulement avec un excès de souffrance. Au milieu des tortures provoquées par des maux de tête de trois jours, accompagnés de vomissements laborieux, je possédais une lucidité de dialecticien par excellence et je réfléchissais très froidement à des choses qui, si ma santé eût été meilleure, m’auraient trouvé dépourvu de raffinement et de froideur, sans l’indispensable audace du grimpeur de rochers." Schophenhauer disait que toute philosophie était une pathographie, la transcription de maux sous forme de concepts. Une sublimation. Malgré sa volonté de s'émanciper de son maître, Nietzsche, dans ces magnifiques lignes, rend un bel hommage à sa clairvoyance.


 

vendredi 4 novembre 2022

Conférence du 5 novembre à 11h — Médiathèque de Biarritz


Philologue, grand lecteur des philosophes anciens et des écrivains français, émule de Schopenhauer, ami pour un temps de Richard et de Cosima Wagner, amoureux éconduit de Lou Salomé, Friedrich Nietzsche se promena solitaire et incompris dans son époque. Le public qui connaît l'œuvre de ce penseur ne se lasse pas d’en évoquer la singularité, le public qui ne le connaît pas aura de l’intérêt à sa présentation. 

 

 

 

 






 

mercredi 2 novembre 2022

Journée d'automne


En traînant à Biarritz, mes All Stars, usées mais toujours opérationnelles, m'ont conduit en ce lieu agréable ou j'ai commandé une tartelette au citron et un thé noir. Journée bien remplie.


 

mercredi 26 octobre 2022

Du moche


En traînant au-dessus de la plage dite de la «petite Chambre d'amour», je regardais la LOVE TOWER, bricolée par Tadashi Kawamata et plantée sur la falaise. Il ne me fallut pas beaucoup de temps pour comprendre ce qui distingue l'art de ce qu'on appelle l'art contemporain. Le premier ravit ma sensibilité et mon imagination, le second enlaidit les lieux où je traîne.


 

lundi 24 octobre 2022

De la mondialisation


Philosophie sentimentale traduite en coréen. Avec un peu de chance, elle deviendra du chinois. 


 

vendredi 21 octobre 2022

Du chiasme


En traînant l'autre soir sur la petite corniche qui domine la Chambre d'amour, tandis que j'admirais une lumière biblique qui éclairait le sud, je repensais à la formule d'Amiel. «Un paysage est un état d'âme»... «Un état d'âme est un paysage», aurais-je suggéré au diariste qui, lui, traînait souvent au bord du lac Léman. Entre traîneurs, nous nous serions entendus sur ce chiasme.



 

jeudi 20 octobre 2022

Amertume


En traînant au-dessus de la Chambre d'amour, l'autre soir, j'avais en moi un goût amer tandis que je méditais sur le sentiment qui attache un être à un autre. Une considération de Benjamin Constant m'est revenue: «Il y a entre les autres et soi une barrière invisible. L'illusion seule de la jeunesse peut croire à la possibilité de la voir disparaître. Elle se relève toujours.» Je me demandais si j'avais été jeune...

 


 

mardi 18 octobre 2022

Aspect du masculinisme balnéaire


 En traînant, hier, du côté des Sables d’or, je ne me perdais dans aucune réflexion. Je traînais idiot comme on dit «bronzer idiot». Puis, apercevant des jolies disputer des parties de beach-volley devant le Rayon vert, je me suis assis sur un banc. C’est dans un esprit masculiniste balnéaire décomplexé que j’ai regardé une bonne heure ce charmant et bondissant spectacle fessu.   




 

lundi 17 octobre 2022

L'AMOUR toujours


Dans l’élégante revue de Frédéric Pajak, on regardera de magnifiques illustrations, on lira de très bons textes, on se délectera de mon excellent petit essai: Comment je suis devenu honnête homme ou Plaidoyer pour une belle vie


 

dimanche 16 octobre 2022

Kévin, Ryan, Jonathan, Steve et les autres


En traînant entre Biarritz et Anglet, j’ai croisé des couples avec enfants et j’ai ressenti cette forme d’inquiétude qu’on appelle l’insécurité culturelle. En entendant les parents héler leurs gamins qui jouaient loin d’eux, j’ai compris ce que d’aucuns «déclinistes» nomment la perte de l’identité française. «Kévin! ne t’éloigne pas!», «Steve, où tu vas?», «Joy! Surveille Allison!», criaient mes compatriotes. Pourquoi choisir des prénoms américains? Cela ne leur suffit pas, à ces familles, de se nourrir dans des fast foods, de se baffrer d’hamburgers, de hot-dogs, de nuggets, arrosés de ketch up en buvant du Coca-Cola? Alors, ai-je pensé, seraient-ce les «bobos», tant décriés par les déclinistes, qui défendraient le trésor de nos prénoms en baptisant leurs têtes blondes Louise, Adèle, Jeanne, Constance, Joseph, Aurélien, Gaston, Victor, etc.? Formeraient-ils, contre ce remplacement onomastique anglo-saxon, le vrai parti de la reconquête des prénoms de chez nous? Un peu las de ma déambulation, je n’ai pas poussé cette réflexion plus loin. Je me suis assis à la terrasse du Lieu, face à l’océan, et j’ai commandé un Perrier tranche.       


 

mardi 11 octobre 2022

Pascal Bruckner, le valeureux


Pascal Bruckner possède une paire de rangers qu’il ressort du placard chaque fois qu’il y a une guerre du Bien contre le Mal. Il n’a jamais hésité à les chausser dans son salon pour se battre virtuellement contre la Serbie de Milosevic, l’Irak de Sadam et, à présent, la Russie de Poutine. Il publie ces jours-ci Le Sacre des pantoufles, un essai sur la sédentarisation des Européens ayant renoncé à l’aventure de l’engagement, au combat pour les valeurs de l’Occident, ou, pire, aux joies du travail. «La pantoufle et la robe de chambre seront-elles les nouveaux emblèmes du monde d’après?», se demande avec anxiété l’intellectuel guerrier en treillis d'intérieur, stratégiquement éloigné des champs de bataille. Pour ma part, concernant mon propre renoncement au monde, mon uniforme depuis des années est la smoking jacket et les slippers en velours lisse bleu nuit.   


 

lundi 10 octobre 2022

Réponse de Ménécée à Épicure



    Étudiée au lycée, La Lettre à Ménécée d’Épicure, n’a, dit-on, jamais eu de réponse. C’est faux. Les éditions Louise Bottu (clic) en ont publié une, celle de Ménécée lui-même. Le lecteur découvre que si le disciple a bien compris la doctrine de son maître, il n’y adhère plus: Ce ne sont pas les dieux qui sont à craindre, mais les humains qui y croient. Il est faux de prétendre que la mort ne compte pas pour nous, c’est nous qui ne comptons pas pour la mort. Rien n’est aussi perturbant que de chercher la sérénité. Le hasard conduit le monde et nous n’avons aucun pouvoir sur le désordre de nos passions. 

    Brève mais argumentée, cette épître d’un voluptueux inquiet désabusera peut-être les esprits en proie à la superstition de la sagesse.          


 

dimanche 9 octobre 2022

De l'urgence d'émasculiniser la littérature


 En traînant à la Chambre d’amour, je pensais aux avancées culturelles auxquelles nous assistions grâce aux néo-féministes — elles-mêmes à l’avant-garde du mouvement de l’Éveil des consciences. Tout en restant modeste dans ma réflexion, car je sais bien qu’au fond de moi stagnent des préjugés sexistes, je me suis posé la question de savoir pourquoi notre société tolère la vente, et même l’étude, de romans tels que La Fille aux yeux d’or, Madame Bovary, Une vie, Nana, que sais-je encoreœuvres écrites par des hommes sans scrupules sur des femmes. Avant eux, Molière et ses Femmes savantes ou ses Précieuses ridicules, n’avait-il pas atteint la limite de la violence faite à ce sexe? Les femmes forment un peuple soumis à des structures patriarcales. La dignité de ces indigènes d’une nation opprimée a été bafouée par ces écrivains coupables de captation sexuelle. En effet: de quel droit ces hommes, impudemment enracinés dans leur genre, ont-ils raconté des vies de femmes? Confiant dans le progrès où nous mène le combat néo-féministe, je ne doute pas de l’émancipatrice émasculinisation de ce prétendu patrimoine littéraire. 


 

jeudi 6 octobre 2022

Contra el Pueblo


 

Mon opuscule, Contre le peuple — éditions Séguier — devrait être publié en langue espagnole en janvier 2023. Je me suis rendu compte, qu’en dehors d’une ou deux têtes plates qui s’essaient à la critique sans en avoir les moyens littéraires, ni le niveau philosophique, mon propos a été compris des happy few. Comme l’Homme, le peuple n’existe pas. Ce qui existe, c’est une population d’individus appartenant à des classes, des catégories sociales, des groupes, des troupeaux identitaires, étrangers ou hostiles les uns aux autres, et qui, de ce fait, ne peuvent constituer le peuple ou un peuple. Ce qui existe, c’est un corps électoral où se retrouvent ces factions, pour parler comme Machiavel. Quant à ce qu’on appelle les élites, elles n’ont rien d’une élite. C’est la plèbe d’en haut, pour parler comme Nietzsche. Ainsi, quand fascistes, identitaires, gauchistes, démocrates ceci ou cela, disent «le peuple», ils évoquent avec grandiloquence un fantôme politique. C’est un vent de bouche que tous ces démagogues rotent aux narines peu délicates des naïfs. ¿A propósito, como se dice «vent de bouche», en castellano?          

mercredi 5 octobre 2022

Les valeurs occidentales et moi



En traînant à la Chambre d’amour, aux abords de la plage de Marinella, je songeais aux discours débités dans les médias au sujet de l’Ukraine. Selon les péroreurs stipendiés, l’opération militaire spéciale russe menacerait nos valeurs occidentales. J’ignorais qu’icelles étaient enracinées dans le Donbass. La géographie indique plutôt que cette région, où orthodoxes et mahométans parlent russe, recèle des ressources minières et une puissante centrale nucléaire. Mais peut-être les experts en guerrologie ont-ils raison, ai-je pensé en m’asseyant sur le sable et en calant mon dos contre un rocher. Pourquoi l’Occident aussi culturellement élevé soit-il, dédaignerait un enjeu économique? J’allais pousser ma réflexion plus loin, chercher à savoir s’il y avait de beaux coins où traîner dans le Donbass si riches en valeurs occidentales, quand je me suis mis à somnoler. Mais, finalement, je ne crois pas que j’examinerai à nouveau cette question.