Pour les ennemis de la solitude, du silence et de l’ennui,
c’est toujours une aubaine quand une ville célèbre ses fêtes. Quatre jours
durant, le grégarisme, le boucan et la vulgarité, revêtus de l'uniforme blanc et rouge, régneront sans partage et ad libitum sur Bayonne. Les ruelles du quartier le plus populeux changeront de nom. La rue Pannecau
deviendra rue du Pissat, celle des Cordeliers rue du Vomi, la place Saint-André
place des Miasmes. Les quais de la Nive, de l’Adour, les remparts, seront les
lieux recherchés des rixes, des viols et des comas éthyliques. L’intérêt est
que, pendant cette parenthèse dionysiaque et conviviale, les plages et les
vagues verront une baisse sensible de fréquentation. L’abrutissement de la foule en
liesse fait parfois la félicité du petit nombre des cœurs mélancoliques et balnéaires.
mercredi 24 juillet 2013
samedi 22 juin 2013
Ad usum mei — 19
On m'apporte à l'instant les exemplaires de mon livre. En couverture, une photographie de l'ami Nori. On y reconnaît ce virage de l'avenue du Prince de Galles qui mène à la plage de la Côte des Basques. À droite, la villa Belsa (villa noire), sorte de Xanadu juché sur un rocher attaqué par la houle. À gauche, la falaise morte où poussent des tamaris recouvrant les restes des blockhaus de la dernière guerre. Dans la trouée, l'océan. Au loin, les Pyrénées. L'Espagne. Le quidam qui marche le long de ce boulevard du crépuscule pourrait être le philosophe sans qualités. Le paysage qui l'attend au sortir de ce goulot est une vaste baie dont la beauté a toujours tenu ses promesses de mélancolie.
samedi 15 juin 2013
La sainte crapule
J’ai souri en apprenant qu’à l’occasion d’une
audience donnée ce jour à des parlementaires français, le pape aurait exhorté
ces derniers à abroger les lois sur l’avortement, l’euthanasie, le mariage gay,
afin d’apporter à la France «l'indispensable qualité qui élève et anoblit
la personne humaine». J’ai souri comme toujours quand j’entends une crapule
en appeler à la dignité de l’homme.
Volontairement ou non sous-informée, l’opinion n’a
vu dans la démission de Benoît XVI et l’élection du pape François qu’un
changement de chef de l’Église sans comprendre qu’il s’agissait d’un coup
d’Etat au sein de la curie romaine orchestré par sa branche mafieuse.
Pourvoyeuse de fonds de la démocratie chrétienne et
de ses avatars néo-libéraux, la mafia italienne instrumentalise l’Église depuis
la fin de la guerre pour blanchir son argent. Nombre de scandales financiers et
de meurtres ont révélé qu’elle en est le noyau dur depuis quarante ans. Instrumentalisée
à son tour par les Etats-Unis et, par là même, chargée durant les années quatre-vingt-dix
d’accélérer la décomposition de l’empire soviétique, elle fit nommer pape le Polonais Karol
Józef Wojtyła qui apparut comme le berger de
l’antitotalitarisme, et par ses prêches œcuméniques, comme le pasteur de la
mondialisation — fraternelle, bien sûr. Jamais la mafia ne fut aussi active et,
en même temps, oubliée, que sous le règne de Jean-Paul II, règne qui fut aussi
celui de Berlusconi — ancien membre de l’organisation criminelle Propaganda
due — dite Loge P2 liée à la faillite de la banque Ambrosiano du Vatican.
Avec la mort de Jean-Paul II et l’élection de
Benoît XVI rien n’alla plus aussi bien. Pour la curie, le pape allemand
semblait présenter de bonnes garanties de représentation. Intellectuel,
philosophe de haut niveau, on attendait de lui, même s’il était moins
charismatique que son prédécesseur, qu’il offrît une belle vitrine spirituelle
de l’Église derrière quoi elle pouvait perpétuer ses crimes. Or, sous ses airs
de vieux théologien uniquement versé dans les questions doctrinales, Benoît XVI
a tenté de s’opposer à la curie en donnant à la presse italienne, via
son majordome, les preuves de collusion entre des membres éminents du
Saint-Siège et les milieux des trafics interlopes. Ce fut l’affaire dite de
«vatileaks». Prompte à contre-attaquer, la curie fit éclater des scandales
sexuels touchant les évêques alliés au pape, scandales qui poussèrent ce
dernier, isolé, à la démission.
Le nouveau pape, dès lors, est l’homme de la
situation pour redorer la façade du Vatican. Collaborateur actif de la junte militaire
argentine durant ses années de pouvoir sanglant, et ayant eu l’habileté
jésuitique de faire oublier cette période en devenant l’évêque des pauvres, c’était
lui que la curie mafieuse devait nommer. En allant laver les pieds des taulards,
il gagne la popularité des pauvres d’esprit. En dénonçant un odieux «lobby gay»
au sein de l’Église, il élimine les réformateurs. En lançant des imprécations
contre la richesse et les puissants, il renoue avec le message révolutionnaire
des évangiles. Du bon boulot. Les combinazioni vont pouvoir reprendre leur cours normal.
dimanche 2 juin 2013
Philosophie mélancolique et balnéaire par moins vingt degrés
Bruno Lalonde, libraire à Montréal, évoque le plaisir qu'il a éprouvé à lire Le Plafond de Montaigne (ouvrage épuisé). Il est réconfortant de savoir que des pages que l'on a écrites et qui se sont envolées vers d'autres cieux sont tombées en de bonnes mains.
jeudi 30 mai 2013
Ad usum mei — 17
Un nombreux public joyeux et réactif
à la conférence inaugurale de la Fête de la Philo
J’apprends qu’une «fête
de la philo» se déroule tout au long du mois de mai et jusqu'à la mi-juin à Paris comme en province.
On nous annonce que «de nombreuses manifestations
investiront l'espace public (musées, théâtres, universités, lycées, écoles,
mais aussi la rue et les cafés, les restaurants, les librairies, etc.)»,
marquant par là «une volonté pour les organisateurs de rendre la philosophie
”populaire” et de la voir s'ouvrir à une audience la plus large possible». Le
public des exclus du concept profitera de l’aubaine pour écouter des
conférences présentées comme «ludiques, accessibles et existentielles» et, dans
un souci de «dialogue citoyen», il sera même invité à philosopher avec «des
intervenants prestigieux». Après les Restos du cœur de Coluche et la Soupe
populaire d’Onfray, voici donc la Distribution gratuite de jugeote patronnée
par Jacques Attali, Elisabeth Badinter et Luc Ferry. C’est une bonne nouvelle. Avant la fête nationale du
tapage musical, il y aura désormais un festival des vents de bouche.
samedi 25 mai 2013
Ad usum mei — 15
Fan du PSQ photographiée lors d'une éclaircie
L’ennui avec le temps
maussade, c’est qu’il nourrit la conversation des gens qui n’en ont pas — de
conversation. Surtout, il devient un sujet de plainte comme si le printemps devait
tenir ses belles promesses. Où sont passées les journées ensoleillées et les
douces températures ? Qu’il n’y ait nul responsable auquel on puisse
imputer pareille défection, rajoute au ressentiment général. Dès lors, non
seulement il me faut endurer la pluie, mais aussi l’indignation météorologique
de mes contemporains. Je préfère de loin la première.
L’avantage du mauvais
temps est qu’il vous contraint à rester chez vous et à vous convertir au
stoïcisme, c’est-à-dire à faire de nécessité vertu. En l’occurrence, j’en
profite pour rendre visite aux livres de ma bibliothèque — celle des romans,
les livres de philosophie étant «rangés» ailleurs. J’en prends un,
je le feuillette, je le repose. Parfois, je relis un passage que j’avais
souligné jadis au crayon. Il m’arrive d’en percevoir toujours la beauté ou la
pertinence. C’est même le cas à chaque fois — ce qui m’incite à penser que le
moi dont je suis doté aujourd’hui reste dans la lignée spirituelle ou
esthétique du moi d’alors. D’où vient cette continuité dans les pensées ou le
goût? Question ou fausse question que je laisse en suspens. Je me
contenterai de me dire que vieillir n’est pas changer. On rompt avec quelques
habitudes et on prend d’autres plis. Rien de radical. L’homme est l’animal
petit-bourgeois. Là où j’ai changé, en revanche, c’est dans le fait que je lis
de moins en moins de romans et que je ne souligne plus aucune phrase au crayon.
Les phrases qui me plaisent, j’ai coutume depuis un certain temps de les écrire
moi-même et de les compiler dans des volumes. Même par temps de pluie, je n’ai
pas le désir de les feuilleter. Reste mon blogue que j’ai de plus en plus la
flemme de tenir. Mais je m’y efforce. Nulla
dies sine linea. Bonne méthode pour ne pas laisser rouiller son esprit et
son style. Pour ma part, je ramollis la maxime. Pas une semaine sans une ligne.
Dieu se reposa le septième jour qui suivit la Création. Je fais aussi dans l'hebdomadaire. Mais j’ai opté pour le
rythme inverse. Je paresse six jours et j’écris le septième.
samedi 18 mai 2013
Ad usum mei — 14
Mon précédent billet a
suscité bien des réactions — et des échanges — chez les fidèles abonnés de ce blogue. Je comprends.
La thèse de Santiago Espinosa est si paradoxale qu’elle ne peut que surprendre.
Cela dit, toutes les idées philosophiques, ou, simplement, intelligentes, sont
paradoxales. Pour rester dans le domaine esthétique, on se souvient qu’Oscar
Wilde tenait pour lui — dans son délicieux essai L’effondrement du mensonge — que ce n’était pas l’art qui imitait
la vie, mais la vie qui imitait l’art. À juste titre. Personnellement je
connais des nanas, des lolitas, des bovarys. Candide, je les crédite d’abord
d’un certain romantisme. Mais le romantique, c’est moi. Jeune homme, j’étais le
Antoine Doinel de la côte basque, même si, souvent, on voyait en moi un don
juan. Certains soirs d’été à Guéthary, les ciels s’efforcent d’égaler les
couchants de Turner. Parfois, ils y parviennent, laissant place à la douceur
des choses. Quand la nuit est avancée, ma belle et moi nous regagnons Biarritz en
cabriolet démodé. Les tubes italiens nous accompagnent. C’est la dolce vita.
Pour en revenir au livre
de Santiago Espinosa, ce qui est difficile non tant à comprendre mais à
admettre, est l’idée que la musique est une expression, sans doute, mais qui
n’exprime rien — rien d’autre qu’elle même au moment précis où elle est jouée.
Un oiseau qui chante, comme on dit, n’exprime rien. Le plaisir pris à l’écouter
est « gratuit » — sauf si l’auditeur projette ses propres affects sur
les trilles perçues, et sauf si celles-ci déclenchent chez lui une émotion,
telle la gaieté. Mais en aucun cas l’auditeur, sauf à céder à
l’anthropomorphisme, ne pourra affirmer que le rossignol est joyeux et que s’il
s’égosille c’est pour manifester son état d’âme. On objectera qu’un compositeur
n’est pas un rossignol et, dès lors, qu’il peut fort bien avoir l’intention d’exprimer telle ou telle passion
dans son œuvre — l’enthousiasme ou le transport héroïque, par exemple, et
qu’elle sera éprouvée par l’auditeur. « Quand je sors d’un opéra de
Wagner, j’ai envie d’envahir la Pologne », dit Woody Allen. Mais pareille
objection en appelle une autre contre elle, à savoir que quelle que soit
l’intention du compositeur l’auditeur peut parfaitement ne pas l’écouter en ce
sens et ne s’en tenir qu’à un plaisir désintéressé, au sens kantien du terme,
c’est-à-dire un plaisir simple de mélomane ou de musicien. On voit ainsi la
ligne de démarcation tracée par Ortega y Gasset — tant dans La déshumanisation
de l’art que dans Musicalia — entre,
d’une part, une écoute «naïve» de la musique comme langage des émotions
ordinaires et comme occasion particulière de les ressentir un peu autrement,
sous une forme esthétique, et, d’autre part, une écoute «savante» ou «cultivée»
des œuvres comme architectures sonores peu ou prou sophistiquées destinées à
susciter des sentiments étrangers à toute psychologie. Les amateurs de la
première écoute appartiennent à la masse. Ils aiment la musique comme moyen de
danser, de protester, de s’indigner, de pleurer ou de se réjouir. Ceux de la
seconde appartiennent à l’élite. Ils écoutent la musique quand elle
s’offre comme l’expression à la fois réitérée et inouïe, harmonieuse ou non, de la cacophonie de l’existence, cette «histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et
de fureur et qui ne veut rien dire».
Libellés :
comédie des passions,
dolce vita,
élégance,
style
lundi 6 mai 2013
Ad usum mei — 11
Aujourd’hui, je n’ai pas surfé
une vague ni écrit une ligne. Dans l’un et l’autre cas, je ne me suis pas jeté
à l’eau. J’ai opté pour un farniente ombre et soleil. Ombre chez moi. Soleil à la piscine de l’HP.
En réalité, le grand moment de la
journée s’est passé à 19H30, heure à laquelle on a remis le prestigieux prix
Jean Vigo à Jean-Charles Fitoussi pour son long métrage L’enclos du temps. Les jurés ont récompensé un «film poétique et
lumineux». Bien vu bien dit. Il faut accepter les prix que l’on nous décerne,
même s’ils sont mérités. En attendant, je suis heureux de jouer dans les films
de Fitoussi le personnage de William Stein, arrière petit-fils du baron Victor Frankenstein — sculpteur de féeries anatomiques. Le cinéma c’est le temps vécu avec d’autres moyens.
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