vendredi 25 janvier 2013

Philosopher en rangers


Anti-nietzschéenne à l'entraînement

«C'est un songe creux de belles âmes utopiques que d'attendre encore beaucoup de l'humanité dès lors qu'elle aura désappris à faire la guerre (voire de mettre tout son espoir en ce moment-là). Pour l'instant, nous ne connaissons pas d'autre moyen qui puisse communiquer aux peuples épuisés cette rude énergie du camp, cette haine profonde et impersonnelle, ce sang-froid de meurtrier à bonne conscience, cette ardeur cristallisant une communauté dans la destruction de l'ennemi, cette superbe indifférence aux grandes pertes, à sa propre vie comme à celle de ses amis, cet ébranlement sourd, ce séisme de l'âme, les leur communiquer aussi fortement et sûrement que le fait n'importe quelle grande guerre: ce sont les torrents et les fleuves alors déchaînés qui, malgré les pierres et les immondices de toutes sortes roulés dans leurs flots, malgré les prairies et les délicates cultures ruinées par leur passage, feront ensuite tourner avec une force nouvelle, à la faveur des circonstances, les rouages des ateliers de l'esprit. La civilisation ne saurait du tout se passer des passions, des vices et des cruautés. Le jour où les Romains parvenus à l'Empire commencèrent à se fatiguer quelque peu de leurs guerres, ils tentèrent de puiser de nouvelles forces dans les chasses aux fauves, les combats de gladiateurs et les persécutions contre les chrétiens. Les Anglais d'aujourd'hui, qui semblent en somme avoir aussi renoncé à la guerre, recourent à un autre moyen de ranimer ces énergies mourantes: ce sont ces dangereux voyages de découverte, ces navigations, ces ascensions, que l'on dit entrepris à des fins scientifiques, mais qui le sont en réalité pour rentrer chez soi avec un surcroît de forces puisé dans des aventures et des dangers de toute sorte. On arrivera encore à découvrir quantité de ces succédanés de la guerre, mais peut-être, grâce à eux, se rendra-t-on mieux compte qu'une humanité aussi supérieurement civilisée, et par suite aussi fatalement exténuée que celle des Européens d'aujourd'hui, a besoin, non seulement de guerres, mais des plus grandes et des plus terribles qui soient (a besoin, donc, de rechutes dans la barbarie) pour éviter de se voir frustrée par les moyens de la civilisation de sa civilisation et de son existence mêmes». Humain, trop humain(1878), I, § 477, Folio, 2004, p. 288.

vendredi 4 janvier 2013

jeudi 3 janvier 2013

Fin de Batasuna


Nous rentrons à l'instant de Bayonne heureux que les militants de Batasuna — qui vient de se dissoudre — se soient enfin rendus à l'argument que nous défendons depuis des années, à savoir que le Pays basque est une terre si belle que, pour de fervents patriotes, cela doit demeurer une joie qu'il y en ait deux, un en France et un autre en Espagne.  


mardi 1 janvier 2013

Rien de neuf, etc.

[…] Tous les fleuves entrent dans la mer, et la mer n'en regorge point. 
Les fleuves retournent au même lieu d'où ils étaient sortis pour couler encore.
Toutes les choses du monde sont difficiles: l'homme ne peut les expliquer par ses paroles. L'œil ne se rassasie point de voir, et l'oreille ne se lasse point d'écouter.
Qu'est-ce qui a été autrefois? 
C'est ce qui doit être à l'avenir. Qu'est-ce qui s'est fait ? 
C'est ce qui se doit faire encore.
Rien n'est nouveau sous le soleil, et nul ne peut dire: Voilà une chose nouvelle; car elle a été déjà dans les siècles qui se sont passés avant nous.
On ne se souvient plus de ce qui a précédé; et de même les choses qui doivent arriver après nous seront oubliées de ceux qui viendront ensuite.[…]

L'Ecclésiaste

Traduction de Lemaistre de Sacy 


vendredi 28 décembre 2012

De la constance des cons


«Lorsque quelqu'un demande à quoi sert la philosophie, écrit Gilles Deleuze, la réponse doit être agressive, puisque la question se veut ironique et mordante.[…][La philosophie]sert à nuire à la bêtise, elle fait de la bêtise quelque chose de honteuxQuelle naïveté… La bêtise ignore la honte; l’agressivité lui est consubstantielle et c’est pourquoi elle nuit depuis toujours au philosophe — contraint au stoïcisme.  


mercredi 12 décembre 2012

Du nihilisme comme de l'un des beaux-arts — 3



"J'attends la mort avec sérénité, c'est vraiment une belle chose et je ne conçois pas les fous qui parlent de vie éternelle. Imaginer cela me donne la nausée d'avance et l'idée seulement de faire mes besoins un milliard d'années de suite me brouille avec les religions révélées, ce qu'elles nous promettent m'en dégoûte et prouve qu'elles sont humaines, trop humaines […]Le gros des hommes se composera toujours de singes ayant une voix articulée et nous n'y pouvons rien, l'espèce étant imperfectible en gros, c'est une vérité fondamentale et qui fut oubliée au siècle des Lumières, il me paraît que nous y revenons, la queue entre les jambes et la tête basse. Le Paradis et l'Enfer sont des singeries métaphysiques, les élus sont des babouins transfigurés, les réprouvés des macaques foudroyés, Dieu, l'empereur suprême des cynocéphales et muni d'une triple verge en érection permanente […] Je suis athée et j'enveloppe les croyants dans un mépris égal, n'importe l'objet de leur foi, je n'en respecte aucune, je n'ai d'estime que pour les simulateurs dont les croyants sont les victimes et qui les mangeront au nom de l'idéal, avec ceux-là au moins l'on peut s'entendre. La bonne foi des sots n'est qu'une peste, leur bonne volonté n'est qu'un délire et maintenant qu'ils nombrent plusieurs milliards, nous n'auront bientôt que le choix de les exterminer ou de les chaponner. La Gnose seule me contente, elle me rend une raison de l'univers absurde où nous nous incommodons à plaisir et nous nous brûlons pour des visions cornues". 

Albert Caraco
Ma Confession

jeudi 6 décembre 2012

L'anti-gnangnan


"Aux fadaises altruistes, on pourrait aisément opposer les considérations de Freud sur l’instinct de mort, les analyses de René Girard sur le mimétisme des désirs poussant les humains au carnage, ou, tout simplement, les aspirations progressistes sincères et profondes dont tout tueur en série est animé — comme en témoigne ce billet glissé par Jack l’Éventreur dans le sac à main d’une de ses victimes : «Un jour les hommes se souviendront, et comprendront, que j’ai donné naissance au XXe siècle».

Une parabole valant mieux que des raisonnements, voici le récit que Critilo fait à son jeune élève Andrénio dans le Criticón de Baltasar Gracián : On jette vivant un criminel dans une fosse profonde grouillant d’affreux insectes, de reptiles, de fauves, après quoi on en ferme hermétiquement l’ouverture afin qu’il périsse à l’abri des regards. Un voyageur vient à passer par là.  Entendant des cris de douleur et des appels à l’aide, il retire la dalle qui obstrue la fosse. Aussitôt, un tigre bondit, et le voyageur, qui croit être déchiqueté sur le champ, voit que le fauve lui lèche les mains. Quand surgit un serpent, il craint d’être étouffé quand celui-ci s’enroule autour de ses jambes ; mais il est surpris de constater que l’animal se prosterne à ses pieds. Toutes les autres bêtes font de même, lui rendant grâce de leur avoir sauvé la vie menacée dans cette périlleuse promiscuité avec un homme. Reconnaissantes à l’égard de leur bienfaiteur, elles lui conseillent de filer au plus vite avant qu’il ne soit menacé à son tour par le cruel prédateur. Et, sitôt dit, elles s’enfuient les unes en volant, les autres en courant, d’autres encore en rampant. Resté seul et perplexe, le voyageur voit enfin l’homme sortir. Ce dernier, pensant que son libérateur a de l’argent, se rue sur lui, le tue et le dépouille. Et Critilo de conclure que la nature, pour éviter que des espèces s’entredétruisent, fut bien avisée de faire en sorte que les animaux les plus dangereux ne pussent jamais égaler la férocité humaine."

In Le Philosophe sans qualités
Flammarion


jeudi 29 novembre 2012

El día de F. (No se puede vivir sin amar)





Photographie de Claude Nori

Si me das a elegir entre tu y la gloria... me quedo contigo...






mardi 20 novembre 2012

Un nihiliste balnéaire à Paris







"Pour suggérer combien les destinées humaines sont fragiles et aléatoires, Héraclite écrivait: «Le temps est un enfant qui joue au tric-trac. Royauté d’un enfant.» Or, comme s’il eût la réminiscence de cet aphorisme, Peckinpah nous en proposait une version sauvage. La première séquence [de The Wild bunch] montrait un petit groupe d’enfants accroupis devant une ornière se réjouissant de l’agonie d’un scorpion qu’ils avaient capturé et jeté au milieu d’un grouillement de fourmis rouges. Puis, comme si la cruauté de ce spectacle ne leur suffisait pas, les gamins mettaient le feu aux bestioles, redoublant ainsi de joie et d’hilarité. Là, en quelques secondes, Peckinpah nous délivrait sa vision de l’humanité. Le monde est une horreur parce qu’il est infesté d’humains, espèce dont la férocité surclasse celle de toutes les espèces animales les plus venimeuses et qui se manifeste déjà pleinement chez les petits — comme on peut l’observer dans cette première scène filmée à la manière d’une leçon de choses."


In  La Beauté, une éducation esthétique
(Éditions Autrement)


mercredi 14 novembre 2012

Cool summer memory


Guéthary - Juillet 2012

F.S.: Dis, Frédéric. Pourquoi lire? Pourquoi écrire?

F.B.: Je lis pour passer le temps et j'écris pour le retenir. 


mercredi 31 octobre 2012

Le plaisir de rabaisser


Jacques Truchet note que "le mérite des Maximes est qu'elles empêchent de dire un certain nombre de sottises". Or, dans le dernier Philosophie magazine consacré à La Rochefoucauld, Louis Van Delft se permet d'avancer que le moraliste "est un résistant, un ”indigné”, un militant", menant croisade contre les "apparences" et autres "impostures". Ce monsieur s'égare. Nous lui rappellerons que le dessein du vieux samouraï libertin et stylé n'est pas d'édifier les hommes, encore moins de les éclairer, mais, en passant, de les démoraliser tant leur vice le plus funeste est de croire en eux-mêmes.

P.S.: Nous conseillons aux abonnés de notre blogue désireux de visionner la petite vidéo ci-dessus, de couper le son afin de n'être pas importunés par une musique grandiloquente.

lundi 29 octobre 2012

jeudi 25 octobre 2012

Bonne nouvelle, mauvaise nouvelle



Librairie Bookstore de Biarritz
(photographie prise du divan)

Nous avons deux nouvelles à annoncer aux abonnés de notre blogue — bonnes ou mauvaises, comme ils voudront les interpréter. 

Demain, vendredi 26 octobre, à Bordeaux, sur le coup de 18h30, sous les belles voûtes en pierre de la librairie La Machine à lire, nous persisterons à soutenir publiquement que si les jolies filles affolent le désir masculin, les belles femmes, elles, l'anesthésient; à souligner que la sensibilité n'est en rien la faculté au monde la mieux partagée; à confesser que le cinéma de notre adolescence offrit à notre ennui ses plus passionnantes récréations et contribua en grande part à notre éducation sentimentale; à expliquer en quoi les œuvres d'art nous ont invité à des dépaysements métaphysiques et, en même temps, ont avivé notre lucidité sur la réalité; à reprendre, dès lors, l'idée de notre cher Oscar Wilde selon quoi c'est bien la vie qui imite l'art et non l'inverse; à répéter que le prétendu art contemporain n'est qu'un attrape-jobards, et, enfin, à déplorer qu'il ne nous reste plus que la nostalgie des émois esthétiques de notre jeunesse.

Non seulement nous persisterons à dire tout cela, mais nous signerons aussi notre ouvrage à l'attention de nos lectrices et lecteurs nouveaux, occasionnels ou fidèles.

Le lendemain, samedi 27 octobre, ce sera cette fois à Biarritz, à partir de 16h30, que nous dédicacerons La Beauté au premier étage du Bookstore, l'élégante librairie tenue par Kristel et Inès, courageuses et souriantes amies des livres. 

mercredi 17 octobre 2012

Fin de la Corée du sud



The Devils — Ken Russel (1971)

Nous sommes inquiets. À Séoul, la Commission Éthique des Publications revient sur sa décision d'interdire les Cent-vingt journées de Sodome du marquis de Sade. Heureusement, elle n'en autorise pas la vente (sous papier plastifié) aux jeunes gens et aux jeunes filles de moins de dix-neuf ans. Nous ignorons si cette demi-mesure de prohibition s'étendra au Dialogue entre un prêtre et un moribond, ouvrage pseudo-philosophique dont l'obscénité atteint pourtant des sommets comme on peut en juger avec l'extrait suivant, insoutenable:

" […] — Le Moribond: La raison, mon ami, oui, la raison toute seule doit nous avertir que de nuire à nos semblables ne peut jamais nous rendre heureux, et notre cœur, que de contribuer à leur félicité, est la plus grande pour nous que la nature nous ait accordée sur la terre; toute la morale humaine est renfermée dans ce seul mot: rendre les autres aussi heureux que l'on désire de l'être soi-même et ne leur jamais faire plus de mal que nous n'en voudrions recevoir. Voilà, mon ami, voilà les seuls principes que nous devrions suivre et il n'y a besoin ni de religion, ni de dieu pour goûter et admettre ceux-là, il n'est besoin que d'un bon coeur. 
Mais je sens que je m'affaiblis, prédicant, quitte tes préjugés, sois homme, sois humain, sans crainte et sans espérance; laisse là tes dieux et tes religions; tout cela n'est bon qu'à mettre le fer à la main des hommes, et le seul nom de toutes ces horreurs a plus fait verser de sang sur la terre, que toutes les autres guerres et les autres fléaux à la fois. Renonce à l'idée d'un autre monde, il n'y en a point, mais ne renonce pas au plaisir d'être heureux et d'en faire en celui-ci. Voilà la seule façon que la nature t'offre de doubler ton existence ou de l'étendre. Mon ami, la volupté fut toujours le plus cher de mes biens, je l'ai encensée toute ma vie, et j'ai voulu la terminer dans ses bras: ma fin approche, six femmes plus belles que le jour sont dans ce cabinet voisin, je les réservais pour ce moment-ci, prends-en ta part, tâche d'oublier sur leurs seins à mon exemple tous les vains sophismes de la superstition, et toutes les imbéciles erreurs de l'hypocrisie[…]."


Oserons-nous transcrire la scène d'une rare violence par quoi le dialogue se termine? Il le faut afin de comprendre pourquoi nous tenons Sade pour un écrivain malsain:


"[…] Le moribond sonna, les femmes entrèrent et le prédicant devint dans leur bras un homme corrompu par la nature, pour n'avoir pas su expliquer ce que c'était que la nature corrompue.[…]

vendredi 21 septembre 2012

Foutredieu !


Jan Saudek

«Un de mes grands plaisirs est de jurer Dieu quand je bande. Il me semble que mon esprit, alors mille fois plus exalté, abhorre et méprise bien mieux cette dégoûtante 
chimère…»

Donatien Aldonze François de Sade