Mon bref essai sur le Pessimisme chic paru dans Philosophie magazine me vaut des critiques. Je m’y attendais. Les professeurs de philosophie n'apprécient pas qu'on doute du tragique nietzschéen, et, surtout, dans leur milieu, Schopenhauer a toujours mauvaise presse. C’est bien normal. Parmi eux bien peu ont lu Schopenhauer et ceux qui ont eu l’honnêteté de le lire savent bien que l’intempestif c’est l’affirmateur de la douleur et de l’ennui, non pas le prophète du surhumain, le doctrinaire de la volonté de puissance, le visionnaire de l’éternel retour. Quand je fréquentais les bancs de l’université, Nietzsche était la vedette des étudiants contestataires et son Zarathoustra l’évangile des renverseurs de valeurs. Si Schopenhauer croupissait dans l’oubli, le dionysiaque moustachu bénéficiait de la réclame que lui faisaient Deleuze et Foucault qui cherchaient eux-mêmes une autre voix critique que le marxisme. Contrairement à Nietzsche, Schopenhauer n’aurait jamais pu servir de caution doctrinale aux nazis, puis, trente ans plus tard, aux gauchistes modernistes français. Le Monde comme volonté et comme représentation, de même que les Parerga et Paralipomena, ne furent jamais utilisés comme des instruments idéologiques, mais comme des sources de réflexion pour les plus grands écrivains. Là réside la supériorité intellectuelle d’un philosophe: quand la littérature se reconnaît dans sa pensée. Au reste, je ne connais pas d’autre exemple que Schopenhauer qui ait autant nourri les questions esthétiques des romanciers et des artistes des XIXe et XXe siècles — y compris Proust, superficiellement perçu comme un bergsonien. Mais rien n’est plus logique. Schopenhauer était un styliste qui mettait le sarcasme, le trait, l’épigramme, l’injure, la citation, la parabole, au service de l’analyse, du développement, de la dissertation. Jamais rien de ronflant, de grandiloquent, de délirant, ne venait sous sa plume. Plutôt l’art de la pointe que le dithyrambe, plutôt l’humour que l’exaltation. Voilà pourquoi Clément Rosset, humoriste lui-même, explique dans un entretien que non seulement Schopenhauer lui donna le goût de lire des pages "simples et vraies", mais aussi d’en écrire — afin, sans doute, de faire partager à ses propres lecteurs l’enchantement — dixit — que le maître du pessimisme lui fit éprouver. Ce fut le cas pour moi. Schopenhauer c'est le Patron, Clément Rosset un modèle.
jeudi 6 mai 2021
Du Patron, encore
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Cher Frédéric, enchantement à la lecture et la fréquentation de l'Oncle Arthur tout en butinant régulièrement chez Nietzsche, de la Naissance de la Tragédie aux envolées du Zarathoustra. Peu imporrte.
RépondreSupprimerDans le bonheur de lire votre papier dans la dernière livraison de Philomag, la rencontre avec le héros d'"On ne meurt pas de chagrin" ne figure pas pour une part mineure. Une sorte de fraternité lointaine mais pas distante qui me fait chaud au cœur...
Cher Luc Antoine,
RépondreSupprimerNietzsche se voulait médecin des âmes fatiguées. Étrange lubie. Mais c'est ce genre de supercherie qu'on attend des philosophes. D'une certaine façon, la postérité l'a comblé.
C’est faux, cher Frédéric. Non, et non… Nietzsche n’a exprimé nulle part ce désir, à mon humble connaissance ; tant qu’à spéculer, prétendons aussi bien que Friedrich mangeait des caniches à la barbe d’Arthur.
RépondreSupprimerVotre connaissance de Nietzsche n'est pas humble mais nulle. Lisez le 2ème paragraphe du Gai Savoir. Ce désir extravagant y est exprimé sans complexe.
Supprimer"J’attends toujours encore qu’un médecin philosophe, au sens exceptionnel du mot, — un de ceux qui poursuivent le problème de la santé générale du peuple, de l’époque, de la race, de l’humanité — ait une fois le courage de pousser à sa conséquence extrême ce que je ne fais que soupçonner et de hasarder cette idée : « Chez tous les philosophes, il ne s’est, jusqu’à présent, nullement agi de « vérité », mais d’autre chose, disons de santé, d’avenir, de croissance, de puissance, de vie… »
RépondreSupprimerGai Savoir - avant-propos paragraphe 2
Comme l'écrivait Cioran "Toute polémique date". Celle qui consiste à opposer Schopenhauer à Nietzsche me semble reposer avant tout sur une question de tempérament. Pour ma part, je butine chez les deux, me délectant des sarcasmes de l'atrabilaire de Francfort (lequel jouais à la flute des airs de Rossini, compositeur plutôt joyeux), mais aussi des aphorismes de Nietzsche dans sa période italienne, avant qu'il ne sombre dans un prophétisme pathétique. Le couple formé par Schopenhauer et Nietzsche m'évoque cet autre couple, Cioran et Clément Rosset.
RépondreSupprimerNe cherchant aucune résolution, j'ai besoin des deux pour vivre mes propres contradictions. Pour les jours pairs, la tonicité de Nietzsche me va, pour les jours impairs, je me réfugie chez Schopenhauer. Question d'humeur et de tempérament...
Il n'y a pas de polémique dans mon article publié dans PHILOSOPHIE MAGAZINE, juste une mise au point. Contrairement à ce qu'avance Nietzsche, le philosophe tragique n'est pas lui mais Schopenhauer. Je donne toutes les élucubrations soporifiques du Zarathoustra contre un aphorisme du Bousilleur. À propos de la supériorité du second sur le premier, je ferai à nouveau cette remarque: Schopenhauer a été le patron de nombre d'artistes et d'écrivains, Nietzsche n'intéresse que les professeurs de philosophie.
SupprimerJe ne lis pas ce magazine, et mon billet n'avait rien à voir avec votre texte. Il exprimait simplement un ressenti subjectif concernant la lecture de ces deux auteurs. Concernant Schopenhauer, on trouve dans les suppléments des propos mégalomaniaques affirmant que l'auteur a résolu la question de l'existence. Contrairement à ce que vous écrivez, Schopenhauer est beaucoup plus systématique que Nietzsche, et votre lecture confirme ce fait. Vous vous fixez sur une vision figé de Nietzsche, et vous donnez de Schopenhauer une version qui occulte le philosophe systématique qu'il était.
SupprimerReste que l'atrabilaire de Francfort est un maître pour les tempéraments artistes. Nietzsche aussi. En tant que peintre et écrivain, les deux me vont...
La mégalomanie de Schopenhauer ne me dérange pas. Il pressentait qu'il deviendrait le Patron. Les aphoristes sont aussi systématiques que les auteurs de systèmes. Un aphorisme est un système miniature. Schopenhauer en écrivit tout un livre et je suppose qu'il a inspiré Nietzsche sur ce point.
SupprimerComme le disait Clément Rosset Schopenhauer est un philosophe daté par son côté Systématique et intemporel par son tempérament littéraire. Pour ma part, aucun patron dont je ne me réclame. Mais je n'ai aussi aucune posture littéraire dont je dois à tout prix me revendiquer. Plaisir à écrire et à me baigner. Un esprit balnéaire en voie d'apaisement.
RépondreSupprimerCher Éric, si vous aviez lu mon article vous comprendriez combien Rosset est resté tributaire du système de Schopenhauer pour élaborer sa propre pensée de la force majeure et du double. La force majeure et le double sont des resucées du vouloir-vivre et de la représentation. Rosset ne doit pas grand-chose à Nietzsche n'en déplaise à ses lecteurs rapides.
RépondreSupprimerForce majeure, double, vouloir-vire, représentaion : autant de vocables pour cerner l'indiscernable. Comme Baudelaire, j'aime l'idée de la double postulation contradictoire, à savoir Schopenhauer et Nietzsche, Clément Rosset et Cioran, comme bien avant Démocrite et Heraclite. Nous n'en sortirons pas de ce dilemne obsédant. Pour finir ce message admiratifs de vos livres, je citerai Jules Renard, comme un pied de nez à tout: "Ne nous prenons pas au sérieux, il n'y aura aucun survivant."
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