Tout à fait en rapport avec ce thème des yeux, du regard et de la réalité sensible, -je ne parlerais pas pour ma part d'illusion- je serais très tenté de citer ici un assez long texte d'Erwin Schrödinger, qui je crois ne comporte absolument rien de mystique ni de fumeux, mais je ne sais si cette démarche ne serait pas en elle-même considérée comme malséante par le maître de ces lieux...
Me le permettez-vous, cher Frédéric Schiffter? - à tout hasard,je précise qu'il s'agirait bien en quelque sorte de philosophie, et non de physique quantique par exemple!!-
J'ai lu je ne sais plus où deux versions différentes de ce qu'est un regard, mais je crois bien qu'au fond les deux interprétations n'en forment qu'une, sous une forme poétique d'abord, puis plus ... scientifique à la manière de Changeux: 1: "les yeux sont une hémorragie lumineuse de l'âme"; 2: "les yeux sont une excroissance du cerveau";
selon les préférences de chacun, on préférera l'une ou l'autre des deux formulations, à moins de les rejeter toutes deux avec un haussement d'épaules et, éventuellement, un clignement des paupières.
Bien entendu, les yeux fermés signifient encore autre chose, ou plutôt deux choses différentes selon que l'on prenne l'expression au sens propre ou figuré (plus précisément même trois, quand on ne dort pas les yeux ouverts).
Cependant je me contenterai ici de confronter la VISION scientifique à celle, non pas tellement "poétique" d'ailleurs, pas forcément en tout cas, mais qui pointe une lacune épistémologique, du REGARD, et cette confrontation est due au physicien-philosophe Erwin Schrödinger, qui, précision que je crois utile en l'occurrence, ne s'est jamais prévalu de ses connaissances de physicien pour prétendre de manière à épater et mystifier les gogos, à une compétence particulière en philosophie: il détestait la confusion des genres et a mené ces deux activités de front, et pratiquement sans rapport l'une avec l'autre, sans interférence entre les deux: tout au contraire, il rejetait ainsi avec une répugnance viscérale celles qui avaient été tentées par d'autres physiciens pour conférer à partir de l'indétermination quantique un autre statut métaphysique au sujet en tant que tel, mesurant, face à l'objet -mesuré.
Par ailleurs les exemples qu'il choisit ne relèvent pas de l'amour entre amants, certes, mais de l'amour enfin, et entre êtres qui s'aiment: seul le désir sexuel en est -selon toute probabilité non quantique- exclu;
"Cher lecteur, ou, encore mieux, chère lectrice, rappelez-vous les yeux brillants et joyeux avec lesquels votre enfant vous éclaire quand vous lui apportez un nouveau jouet, puis laissez le physicien vous dire qu'en réalité rien n'émerge de ces yeux; en réalité, leur seule fonction objectivement décelable est d'être continuellement frappés par des quanta de lumière et de les recevoir. En réalité! Etrange réalité! Quelque chose semble manquer en elle. Il est très difficile pour nous d'évaluer le fait que la localisation de la personnalité, de l'esprit conscient, est seulement symbolique, juste une aide pour l'usage pratique. Suivons, avec toute la connaissance que nous en avons, un tel "regard sensible" à l'intérieur du corps. Nous tombons sur une agitation, ou, si vous préférez, sur une machinerie, suprêmement intéressante. Nous trouvons des millions de cellules très spécialisées disposées en un ordre si complexe qu'on ne peut en avoir de vue générale, mais qui vise de toute évidence à établir une communication et une collaboration hautement élaborées et d'une portée considérable; un incessant battement de pulsations électrochimiques induites, et peut-être d'autres changements encore inconnus. Nous rencontrons tout cela, et nous pouvons être sûrs qu'avec le progrès de la science physiologique nous arriverons à en connaître de plus en plus. Mais à présent supposons que l'on observe finalement, dans un cas particulier, plusieurs faisceaux efférents de courants pulsés, qui partent du cerveau et qui, à travers de longues protusions cellulaires (les fibres nerveuses motrices), sont conduits à certains muscles du bras. En conséquence de quoi, ce bras vous tend une main hésitante et tremblante pour vous dire adieu, pour une séparation longue et déchirante. Au même moment on peut s'apercevoir qu'un autre faisceau pulsant produit une certaine sécrétion glandulaire voilant de larmes le pauvre oeil triste. Mais en aucun point de cette voie menant de l'oeil aux muscles des bras et aux glandes lacrymales à travers l'organe central, en aucun point, soyez-en sûrs, aussi loin que la science physiologique pourra progresser, on ne rencontrera la personnalité, l'affreuse douleur, l'angoisse affolante dans cette âme, bien que leur réalité soit pour vous aussi certaine que si vous les ressentiez vous-mêmes -comme c'est en fait le cas! L'image que la science physioloqique nous fournit de tous les êtres humains, y compris de nos amis intimes, me rappelle de façon frappante la nouvelle magistrale d'Edgar Allan Poe, dont beaucoup de lecteurs se souviennent certainement; je pense au "Masque de la mort rouge". Un jeune prince et sa suite se sont retirés dans un château isolé pour échapper à la pestilence de la mort rouge qui se déchaîne dans le pays. Après une semaine environ d'isolement, ils organisent un grand bal masqué. L'un des masques, grand, entièrement voilé, tout vêtu de rouge, et visant de toute évidence à représenter allégoriquement la pestilence, fait frémir toute l'assistance à cause de l'impudeur du choix et en raison du soupçon qu'il pourrait s'agir d'un intrus. Enfin un jeune homme audacieux s'approche du masque et arrache voile et couvre-chef d'un coup brusque. On constate qu'il est vide. Nos crânes ne sont certes pas vides. Mais ce que nous y trouvons, en dépit du vif intérêt qu'il soulève, n'est vraiment rien face à la vie et aux émotions de l'âme".
Erwin Schrödinger, dans "L'esprit et la matière" (version originale: 1958), "Sources du savoir", Seuil, 1990, pages 190-192.
Cher Monsieur S, je vous lis depuis peu. Un bouquin au titre sympa attrape en vitesse avant de prendre encore un autre avion, pour m’eloigner, toujours. Votre Philosophie Sentimentale est devenue mon livre de chevet. Pis encore, elle me donne envie de vous avoir dans mon lit-teraire. Je vous devine non pas sentimental mais romantique, les yeux cependant ouverts grands.
On a aimé picorer les définitions toxiques ici ou là
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Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que m'est-il permis d'espérer ? Qu'est-ce que l'homme ? Telles sont, selon Kant, les quatre questions essentielles de la philosophie. Je me les suis posées. À chacune, j'ai répondu : rien. Mais sans doute ne suis-je pas ce qu'on appelle un "philosophe".
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J'aurai réussi une œuvre quand mon nom servira à désigner une pathologie mentale.
Tout à fait en rapport avec ce thème des yeux, du regard et de la réalité sensible, -je ne parlerais pas pour ma part d'illusion- je serais très tenté de citer ici un assez long texte d'Erwin Schrödinger, qui je crois ne comporte absolument rien de mystique ni de fumeux, mais je ne sais si cette démarche ne serait pas en elle-même considérée comme malséante par le maître de ces lieux...
RépondreSupprimerMe le permettez-vous, cher Frédéric Schiffter? - à tout hasard,je précise qu'il s'agirait bien en quelque sorte de philosophie, et non de physique quantique par exemple!!-
Bien à vous!
J'ai lu je ne sais plus où deux versions différentes de ce qu'est un regard, mais je crois bien qu'au fond les deux interprétations n'en forment qu'une, sous une forme poétique d'abord, puis plus ... scientifique à la manière de Changeux:
RépondreSupprimer1: "les yeux sont une hémorragie lumineuse de l'âme";
2: "les yeux sont une excroissance du cerveau";
selon les préférences de chacun, on préférera l'une ou l'autre des deux formulations, à moins de les rejeter toutes deux avec un haussement d'épaules et, éventuellement, un clignement des paupières.
Bien entendu, les yeux fermés signifient encore autre chose, ou plutôt deux choses différentes selon que l'on prenne l'expression au sens propre ou figuré (plus précisément même trois, quand on ne dort pas les yeux ouverts).
Cependant je me contenterai ici de confronter la VISION scientifique à celle, non pas tellement "poétique" d'ailleurs, pas forcément en tout cas, mais qui pointe une lacune épistémologique, du REGARD, et cette confrontation est due au physicien-philosophe Erwin Schrödinger, qui, précision que je crois utile en l'occurrence, ne s'est jamais prévalu de ses connaissances de physicien pour prétendre de manière à épater et mystifier les gogos, à une compétence particulière en philosophie: il détestait la confusion des genres et a mené ces deux activités de front, et pratiquement sans rapport l'une avec l'autre, sans interférence entre les deux: tout au contraire, il rejetait ainsi avec une répugnance viscérale celles qui avaient été tentées par d'autres physiciens pour conférer à partir de l'indétermination quantique un autre statut métaphysique au sujet en tant que tel, mesurant, face à l'objet -mesuré.
Par ailleurs les exemples qu'il choisit ne relèvent pas de l'amour entre amants, certes, mais de l'amour enfin, et entre êtres qui s'aiment: seul le désir sexuel en est -selon toute probabilité non quantique- exclu;
Voici donc l'extait en question:
RépondreSupprimer"Cher lecteur, ou, encore mieux, chère lectrice, rappelez-vous les yeux brillants et joyeux avec lesquels votre enfant vous éclaire quand vous lui apportez un nouveau jouet, puis laissez le physicien vous dire qu'en réalité rien n'émerge de ces yeux; en réalité, leur seule fonction objectivement décelable est d'être continuellement frappés par des quanta de lumière et de les recevoir. En réalité! Etrange réalité! Quelque chose semble manquer en elle.
Il est très difficile pour nous d'évaluer le fait que la localisation de la personnalité, de l'esprit conscient, est seulement symbolique, juste une aide pour l'usage pratique. Suivons, avec toute la connaissance que nous en avons, un tel "regard sensible" à l'intérieur du corps. Nous tombons sur une agitation, ou, si vous préférez, sur une machinerie, suprêmement intéressante. Nous trouvons des millions de cellules très spécialisées disposées en un ordre si complexe qu'on ne peut en avoir de vue générale, mais qui vise de toute évidence à établir une communication et une collaboration hautement élaborées et d'une portée considérable; un incessant battement de pulsations électrochimiques induites, et peut-être d'autres changements encore inconnus. Nous rencontrons tout cela, et nous pouvons être sûrs qu'avec le progrès de la science physiologique nous arriverons à en connaître de plus en plus. Mais à présent supposons que l'on observe finalement, dans un cas particulier, plusieurs faisceaux efférents de courants pulsés, qui partent du cerveau et qui, à travers de longues protusions cellulaires (les fibres nerveuses motrices), sont conduits à certains muscles du bras. En conséquence de quoi, ce bras vous tend une main hésitante et tremblante pour vous dire adieu, pour une séparation longue et déchirante. Au même moment on peut s'apercevoir qu'un autre faisceau pulsant produit une certaine sécrétion glandulaire voilant de larmes le pauvre oeil triste. Mais en aucun point de cette voie menant de l'oeil aux muscles des bras et aux glandes lacrymales à travers l'organe central, en aucun point, soyez-en sûrs, aussi loin que la science physiologique pourra progresser, on ne rencontrera la personnalité, l'affreuse douleur, l'angoisse affolante dans cette âme, bien que leur réalité soit pour vous aussi certaine que si vous les ressentiez vous-mêmes -comme c'est en fait le cas! L'image que la science physioloqique nous fournit de tous les êtres humains, y compris de nos amis intimes, me rappelle de façon frappante la nouvelle magistrale d'Edgar Allan Poe, dont beaucoup de lecteurs se souviennent certainement; je pense au "Masque de la mort rouge". Un jeune prince et sa suite se sont retirés dans un château isolé pour échapper à la pestilence de la mort rouge qui se déchaîne dans le pays. Après une semaine environ d'isolement, ils organisent un grand bal masqué. L'un des masques, grand, entièrement voilé, tout vêtu de rouge, et visant de toute évidence à représenter allégoriquement la pestilence, fait frémir toute l'assistance à cause de l'impudeur du choix et en raison du soupçon qu'il pourrait s'agir d'un intrus. Enfin un jeune homme audacieux s'approche du masque et arrache voile et couvre-chef d'un coup brusque. On constate qu'il est vide.
Nos crânes ne sont certes pas vides. Mais ce que nous y trouvons, en dépit du vif intérêt qu'il soulève, n'est vraiment rien face à la vie et aux émotions de l'âme".
Erwin Schrödinger, dans "L'esprit et la matière" (version originale: 1958), "Sources du savoir", Seuil, 1990, pages 190-192.
Bien à vous.
Les yeux dans les yeux : Merci Oscar.
RépondreSupprimerCher Monsieur S, je vous lis depuis peu. Un bouquin au titre sympa attrape en vitesse avant de prendre encore un autre avion, pour m’eloigner, toujours. Votre Philosophie Sentimentale est devenue mon livre de chevet. Pis encore, elle me donne envie de vous avoir dans mon lit-teraire. Je vous devine non pas sentimental mais romantique, les yeux cependant ouverts grands.
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