samedi 27 juillet 2019

Masse et Nuisance


«La foule concentre en nombre et force toutes les tares humaines.»
 Ménécée (clic)

jeudi 11 juillet 2019

Schopenhauer, penseur du pire


"[…] Avec ce ton bravache qui plaît tant à ses admirateurs, Nietzsche écrit dans Ecce homo: «J’ai le droit de me considérer comme le premier philosophe tragique, c’est-à-dire comme le contraire et l’antipode d’un philosophe pessimiste». En d’autres termes: «Schopenhauer dénigre la vie, moi je la célèbre.» Que Nietzsche ne soit pas un philosophe pessimiste, nul n’en doute. Mais Nietzsche n’est pas davantage un philosophe tragique, dans le sens où, en se qualifiant de la sorte, il s’imagine rompre avec son maître, son «éducateur», et le dépasser. Schopenhauer n’a bien sûr que sarcasmes pour les optimistes. Cependant, on aurait peine à trouver sous sa plume le mot de «pessimisme» par lequel d’autres que lui définissent sa philosophie. À aucun moment il ne condamne la vie quand bien même il en expose en grand et en détail toute l’horreur. Condamner une chose suppose la vouloir autre ou en vouloir une autre à sa place. Or ce monde absurde où le malheur règne sans partage est notre seul monde, insiste Schopenhauer. Il nous échoit de nous y débattre jusqu’à la mort. Rien ne sert de le dénigrer. Évitons de jouer les fiers-à-bras devant l’adversité. Tendons à la résignation, le seul exploit à notre portée. Quelques joies nous seront données par surcroît. 

Quand, donc, Nietzsche oppose une philosophie dite tragique à une philosophie dite pessimiste, je ne puis y voir qu’un rejet de sa part de la brutalité et de la toxicité de la pensée de Schopenhauer. À se ranger du côté du «tragique», il n’exprime pas une approbation joyeuse de vivre dans le pire — pessimus —, mais la frayeur de persévérer dans le réel tel qu’il est exposé sans fard dans Le Monde comme Volonté et comme Représentation. Chaque ligne de ce livre le plonge — comme tout le monde — dans l’effroi. Mais, tel un gamin qui ne veut pas passer pour une lavette et un dégonflé — un «réactif» dirait-il — il s’exclame: «Même pas mal, même pas peur !». Le Monde comme Volonté et comme Représentation est une œuvre terrifiante. Non que Schopenhauer puise son inspiration dans le registre de l’épouvante. Il se contente d’observer ses semblables et rend compte de leurs tragédies ordinaires — marquant ainsi son influence sur les écrivains de son siècle et au-delà — comme Philip Roth, Thomas Bernhard, Charles Bukowski ou encore Michel Houellebecq. «Les souhaits jamais exaucés, la peine toujours dépensée en vain, les espérances que le sort, impitoyable, foule aux pieds, les funestes erreurs répétées au fil du temps, les souffrances qui augmentent, et la mort au dernier acte, voilà pour la tragédie. Mais tout se passe comme si la fortune ajoutait la dérision aux tourments de notre existence. Quand elle l’a remplie de tous les drames, elle nous prive de la dignité des héros et nous réduit, dans les détails du quotidien, au rôle de comiques.» 

N’importe qui peut lire sans dommage pour sa sensibilité un dialogue de Platon, l’Éthique de Spinoza, la Logique de Hegel. Le Monde comme Volonté et comme Représentation ne laisse personne indemne. Page après page, le lecteur avale des doses de désespérine purebreuvage âpre et brutal qui, après déglutition, lui met, comme on dit, les yeux en face des trous — et, dès lors, s’il a l’estomac solide, le dispose à penser pour de bon, comme on dit encore.[…]"  
@ Frédéric Schiffter 
in Le pessimiste chic

jeudi 20 juin 2019

Le Voluptueux inquiétant


À mesure que je traduisais Le Voluptueux inquiet (clic), je me disais que j’aurais pu l’écrire. J’avais le sentiment que Ménécée s’était livré à un plagiat par anticipation des écrits sceptiques à l’égard de la sagesse que je n’ai eu de cesse de publier pendant vingt-ans. Dans sa réponse à Épicure, il n’y a pas une seule idée que je ne puisse partager. Les hommes qui affirment croire dans les dieux sont plus à craindre que les dieux eux-mêmes. Nous ne sommes rien pour la mort et c’est pourquoi elle nous angoisse. Nous n’avons qu’un empire limité sur nos désirs. La nature est un non-être. Notre prudence reste impuissante à maîtriser le hasard. Conclusion: la tombe est le seul lieu de l’ataraxieDans sa lettre à Ménécée, Épicure concevait son éthique comme une médecine de l’âme constituée, on le sait, d’un quadruple remède. Au mot pharmakon — φάρμακον — les Grecs donnaient sans doute le sens de «remède», mais il signifiait aussi «poison». Ce n’est donc pas un mince mérite de Ménécée que de considérer la philosophie non comme une thérapeutique lénifiante mais comme une potion toxique. Un ouvrage philosophique digne de ce nom a vocation à empoisonner la pensée de son lecteur. On y verra une cruauté mentale. Assurément. Mais je rappellerai ce que disait Clément Rosset dans son Principe de cruauté: «Il n’y a probablement de pensée solide, quel qu’en soit le genre […], que dans le registre de l’impitoyable et du désespoir[…]».

vendredi 14 juin 2019

Le Voluptueux inquiet sera présent demain, samedi 15 juin, à la médiathèque de Biarritz dès 15h


Mon éditeur, Jean-Michel Martinez, me fait parvenir à l’instant cette photo de groupe du Voluptueux inquiet qui sort des presses. Les historiens de la philosophie ne pensaient pas que Ménécée avait répondu à Épicure. Ils se sont trompés. Ménécée nous offre ici, dans cette lettre qui reprend point par point la doctrine morale de son maître, un bref traité de scepticisme à l’égard de l’idéal de sagesse — qu'il définit comme un asile de l'illusion. Je rappelle que l’ouvrage, de belle facture, sera en vente demain, samedi 15 juin, à l’issue de ma conférence sur Martin Heidegger qui aura lieu à 15h à la médiathèque de Biarritz. C’est avec plaisir que je dédicacerai au nom de Ménécée des exemplaires de son Voluptueux inquiet(clic).          

dimanche 9 juin 2019

Conférence du samedi 15 juin, à 15h, à la médiathèque de Biarritz


Gérard Granel et Martin Heidegger

En 1976, au mois de mai, Martin Heidegger meurt. En septembre, je m’inscris à l’université de Toulouse-le-Mirail pour y redoubler ma première année de philosophie passée à Bordeaux. D’emblée, en mettant les pieds à l’Unité d’Études et de Recherches Philosophiques et Politiques (UERPP), je me rends compte que j’entre dans un repaire heideggerien. Le grand manitou qui y officie n’est autre que Gérard Granel, un physique à la Rock Hudson, grand fumeur, une vaste culture livresque et picturale, et, surtout, à l’époque, un esprit essentiellement tourné vers l’œuvre de Martin Heidegger et du maître d’icelui, Edmund Husserl. Plus tard, sans cesser de déclarer sa fidélité à la pensée de l’auteur de Être et Temps, il deviendra gramscien, puis wittgensteinien. Mais, là, à la fin des années 70, la phénoménologie, l’herméneutique, l’ontologie, sont les seules réjouissances qu’il offre à ses étudiants. Dans les couloirs de la faculté, on peut entendre une étrange peuplade de jeunes gens et de jeunes filles parler un dialecte mi-français, mi-je-ne-sais-quoi, où il est question de Dasein — prononcé, avec l’accent toulousain, dazaill’neu —, d’historialité, d’existentiaux, de dévalement, d’ustentialité, etc. Par chance, l’UER possède un département de philosophie hispanique. Je découvre alors Miguel de Unamuno, et, surtout, José Ortega y Gasset — auquel je consacrerai une petite thèse de 3ecycle. Pendant trente ans je n’ai pas rouvert un livre de Heidegger, même quand, dans les années 80—90, certains universitaires français firent mine de découvrir l’engagement nazi de leur mentor. Je suis resté indifférent aux polémiques qui ne manquèrent pas, alors, d’éclater. Je n’ai remis les yeux dans quelques ouvrages de Heidegger que pour les besoins de la conférence que je donnerai samedi prochain, le 15 juin, à 15h. Sans jargonner, je me limiterai à l’explicitation de l’ontologie du philosophe, de sa conception de l’humanisme et de sa critique de la technique. Il sera question, au passage, de Hannah Arendt. Cette conférence me rappellera ma jeunesse. 

Nota bene : Les habitués de mes causeries à la médiathèque de Biarritz trouveront samedi à l’entrée de l’auditorium une table de vente où ils pourront acheter pour eux et leurs amis (8€) Le Voluptueux inquiet ou la Réponse à Épicure de Ménécée. Ce texte traduit par moi-même — et publié aux éditions Louise Bottu (clic)—, est un petit traité de scepticisme à l’égard de la sagesse en général et de celle du maître du Jardin en particulier. Opus mince et élégant à glisser dans les poches de veste ou les sacs à main.     

vendredi 31 mai 2019

Prochainement dans votre bibliothèque




Bientôt, les éditions Louise Bottu (clic) publieront Le Voluptueux inquiet — la réponse jusque-là introuvable que Ménécée écrivit à son maître et ami Épicure. Traduit du grec par mes soins, ce texte, découvert il y a quelques années par une équipe d’archéologues sur un site antique proche d'Ankara, exprime un scepticisme de bon aloi à l'égard de la médecine de l'âme — et de son "quadruple remède" — enseignée à l'école du Jardin. Il est évident que l’honnête homme n’y trouvera pas seulement un intérêt philosophique majeur, mais qu'il y goûtera aussi un vif plaisir de l’esprit.      

samedi 20 avril 2019

La retraite est un sport de combat — 2


«Tout le monde désire vivre longtemps, mais personne ne veut être vieux», écrivit Cicéron. «La vieillesse est la punition d’avoir vécu», ajoutera Cioran. Maintenant que je suis à la retraite, je me détourne un peu des philosophes. De toute manière, les exercices spirituels n’ont jamais été mon truc, comme on dit.  Je n’écoute plus que Nathalie, mon coach de boxe de salon. Ses maximes — «direct-direct, uppercut-uppercut, crochet-crochet, revers-revers» — répétées deux heures par semaine et auxquelles je me conforme sans réfléchir, me semblent plus sages pour retarder les coups bas du Temps.    

mercredi 10 avril 2019

AVIS ! Je donnerai une conférence sur Montaigne à la Médiathèque de Biarritz le samedi 13 avril à 15 h


Montaigne

"Kant a formulé les questions que se posent la plupart des philosophes: 

    1) Que puis-je savoir ? 
    2) Que dois-je faire ? 
    3) Que m’est-il permis d’espérer? 
    4) Qu’est-ce que l’homme? 

    Si ces questions sont aussi celles de Montaigne, ses réponses se résument à une seule: rien. C’est donc défigurer Montaigne que d’en faire le précurseur des Lumières. Montaigne est un penseur tragique. La lucidité le retient d’éclairer les hommes."

Montaigne 
ou penser dans le désastre 
in Philosophie sentimentale

mardi 19 mars 2019

La retraite est un sport de combat

Gabriela Manzoni 

Cela fait six mois que je suis à la retraite, comme on dit. Pendant quarante ans je fus payé à ne pas faire grand-chose; désormais, je suis moins bien payé à ne plus rien faire. Pas de grand changement. Si je devais résumer les décennies écoulées, je dirais qu’elles furent placées sous le signe de la nonchalance. La vocation «du loisir et de la culture générale», pour parodier Baudelaire, m’ayant saisi au milieu de l’adolescence, je ne l’ai jamais trahie. Dédaignant toute ambition de carrière, j’ai néanmoins enseigné la philosophie comme le métier l’exige, en mariant la rigueur à la plaisanterie. Et, bien sûr, dans le même temps, je me suis adonné à mon inclination pour la lecture et l’écriture, là encore indolent et pointilleux — considérant que les idées étaient choses trop peu sérieuses pour ne pas les renforcer avec un rien de style. En écrivant ces mots, je me rends compte que ce passe-temps a occupé ma vie et, même, réussi, avec d’autres agréments, à la remplir.  

lundi 21 janvier 2019

Conférence

Gabriela Manzoni

Que peut-on attendre de la philosophie ? C’est à cette question que nous essaierons de répondre jeudi prochain, le 24 janvier, à 16h15, à la Maison des Associations de Biarritz. Entrée libre. 

mercredi 16 janvier 2019

Le samedi 19 janvier à 11h, à la médiathèque de Biarritz, nous donnerons une conférence dont voici le titre: Épicure, les atomes, le vide et le plaisir.


Quand on lui demandait de définir l’être des choses, Épicure répondait: des atomes et du vide. Quand on lui demandait s’il fallait craindre les dieux, il répondait que les dieux ne se souciaient pas des hommes. Quand on lui demandait s’il fallait craindre la mort, il répondait que la mort était une anesthésie radicale. Quand on lui demandait quel était le but de la vie, il répondait: le plaisir. Quand on lui demandait s’il fallait croire au destin, il répondait qu’il convenait de savoir conduire sa vie au cœur du hasard. 
L’avantage de la sagesse d’Épicure est de tenir dans une lettre, destinée à son ami Ménécée, lettre que vous, Madame, pouvez glisser dans votre sac-à-main, ou vous, Monsieur, pouvez glisser dans une poche de votre blazer. 

mercredi 2 janvier 2019

Barnaba !


Jean-François Barnaba


J’aurais aimé dire à quel point le Gilet Jaune Éric Drouet exerçait sur moi une fascination. Jean-Luc Mélenchon m’a pris de court. L’Insoumis vient de donner la raison pour laquelle ce jeune barbu opère sur lui — comme sur moi — une puissante attraction, à savoir son homonymie avec Jean-Baptiste Drouet, le chef de poste de Varennes qui, en 1791, dénonça à la Garde Nationale le roi Louis XVI en fuite. Porter le patronyme d’un délateur ne peut être que le signe d’une élection. On est appelé par l’Histoire. 
Heureusement, le mouvement des Gilets Jaunes ne manque pas de figures fascinantes. Pour ma part, quand je vois Jean-François Barnaba, mon cœur bat. J’en ferais presque une chanson. Un hymne. Je ne parlerai pas de ses discours radicaux qui font trembler le régime. J’évoquerai son génie. Car réussir comme Jean-François Barnaba à ne pas travailler pendant dix ans, tout en touchant de la part de la collectivité un double SMIC, relève d’un sens supérieur de la planque devant quoi je m’incline. Moi qui me pensais doué en ce domaine, j’ai trouvé chez ce rebelle un maître, une idole. S’il constitue une liste électorale en vue des prochaines élections européennes et s’il en prend la direction, il aura mon ardent soutien. Le barnabisme est une idée novatrice en Europe.      

mercredi 14 novembre 2018

Pourquoi je suis cartésien


René Descartes

Quand on me demande si je suis cartésien, je réponds par l’affirmative. Non tant parce que je me recommande de l’héritage rationaliste du philosophe, mais parce que je partage l’inclination qui fut longtemps la sienne pour les grasses matinées. Le Père Baillet, son biographe, écrit: «Descartes qui, à son réveil, trouvait toutes les forces de son esprit recueillies, et tous les sens rassis par le repos de la nuit, profitait de ces favorables conjonctures pour méditer. Cette pratique lui tourna tellement en habitude, qu’il s’en fit une manière d’étudier pour toute sa vie; et l’on peut dire que c’est aux matinées de son lit que nous sommes redevables de ce que son esprit a produit de plus important dans la philosophie et dans les mathématiques». 
J’ai conscience que les essais que j’ai écrits dans mon lit n’auront pas la même postérité que le Discours de la Méthode ou Les Méditations métaphysiques. Mais, aussi modestes soient-ils, ils viendront témoigner que les grandes idées, contrairement à la vulgate nietzschéenne, ne viennent pas qu’en marchant. Tout cela pour dire que samedi prochain, le 17 novembre, à 15h, à la Médiathèque de Biarritz, je donnerai une conférence sur René Descartes. L’entrée sera libre.  

dimanche 28 octobre 2018

Pawlikowski, documentariste de l'âme





Parfois, dans l’insignifiance cinématographique, paraît un vrai film qui décrasse nos yeux. Cold War en est un, comme l’était, il y a deux ans, Ida du même Pawel Pawlikowski. J’appelle vrai film une œuvre qui réussit à transposer en images les ombres d’une âme seule. En apparence, sur l’écran, les personnages Wiktor et Zula appartiennent à une société prise dans l’Histoire, vont de part et d’autre du rideau de fer, passent des chants folkloriques au jazz, souffrent les brimades de la bureaucratie soviétique, côtoient la bohême parisienne, tentent l’amour, le trahissent, le vivent jusqu’à son paroxysme, mais en réalité ils émanent tous deux de la nuit intime de Pawlikowski. Ils incarnent les spectres de ses parents qui choisirent de disparaître ensemble avant d’entrer dans le jour blême de la vieillesse. Dès lors, le parti pris du noir et blanc ne répond pas chez Pawlikowski à une vieille habitude de documentariste, à une affectation d’esthète, au désir d’une photogénie de ses acteurs et du décor. La couleur aurait dénaturé les paysages de l’est enneigés et boueux qui furent les états d’âme du cinéaste, comme elle aurait affadi l’évocation de la guerre froide. Le cinéma est un art poétique. Dans sa jeunesse, Pawlikowski consacra une étude à Georg Trakl. À l’évidence, les vers du poète de la solitude suicidaire résonnent encore dans le cœur de l’orphelin. Cold War est un vrai film parce qu’il a été tourné dans la lumière du soleil noir de la mélancolie.