mercredi 12 septembre 2018

Lisez-moi, y a qu'ça qui m'intéresse...

Comme j’accepte de bon cœur les éloges qui me sont destinés — même s’ils sont sincères, comme disait Jules Barbey d’Aurevilly —, voici ceux de Cyril de la librairie Sauramps de Montpellier.

"Journées perdues
Journal littéraire d’un «philosophe sans qualités» (comme l’auteur se présente lui-même). Une merveille d’écriture d’un dandysme mordant et éclairé, illuminée par le soleil Basque.
Frédéric Schiffter, bikiniste convaincu et convainquant, nous promène doucement sur les rivages acérés de sa pensée."

vendredi 31 août 2018

Roland Jaccard, meilleur romancier de la rentrée


Roland Jaccard me confia un jour qu’il fallut qu’il atteignît l’âge d’homme pour succomber au charme du style — «parfois tarabiscoté» — d’Henri-Frédéric Amiel. Ce fut son père qui lui fit découvrir le Journal de cet égotiste pétri du calvinisme genevois et du pessimisme de Schopenhauer, mort en 1881 à 59 ans, inlassable explorateur de ce «vaste pays» qu’est l’âme humaine. Connaissant Roland Jaccard, je gage qu’il n’en lut pas les douze tomes. Mais il en dévora suffisamment de passages pour que naquît en lui une vocation de diariste — soucieux, quant à lui, d’une écriture sobre et directe inspirée par son ami Cioran.
Ni journal romancé, ni essai, Les derniers jours d’Henri-Frédéric Amiel, est un roman — le premier, selon moi, de Roland Jaccard — fidèle au titre.
Amiel approche de la soixantaine, il devine qu’il ne vivra pas au-delà. Depuis quelques années, il se fait l’effet d’une «momie» qui regarde «la marche du temps». «J’assiste à mon ultime métamorphose», écrit-il, «je ne sais plus ce que j’étais». Au reste, il ne fut jamais doué pour être. Il demanda à la vie de «se laisser effleurer par elle sans la sentir passer», à l’amour «de rester toujours un rêve lointain». Il eût été heureux si le hasard, qui prend trop souvent des grands airs de Destin, ne se fût pas ingénié à déranger sa douillette neurasthénie en plaçant trois jeunes femmes sur son chemin bien tracé qui, de ses études, le mena au professorat. Cécile, l’adolescente qui poussa le sens du romanesque jusqu’au suicide; Louise, la petite garce parisienne, d’origine modeste, éprise de revanche sociale — «Les miséreux ne lâchent rien, note Amiel. Toutes ces œuvres charitables qui pullulent à Paris ne sont que des laboratoires de lâcheté: on y cultive le pauvre»—; Marie, enfin, la jeune admiratrice dévote qui sacrifiera son amour pour respecter le vœu de célibat de son amant et maître.
En lisant ces chapitres sur les amours ratées d’Amiel, je ne pus m’empêcher de penser à Adolphe le chef-d’œuvre de Benjamin Constant. Même conscience des impasses du désir et des illusions du cœur. Même brièveté du récit, également. Roland Jaccard parvient à concentrer en cent trente pages le bilan d’une vie d’un écrivain qui aura été tout aussi incertain de la qualité de son œuvre que de la réalité de son existence et auquel il ne prête qu’une satisfaction, celle d’être enterré au cimetière de Clarens, non loin de la tombe de Nabokov. Tous deux iront au lever du jour à la chasse aux papillons, les échecs les aideront à passer le temps. «Je lui parlerai de Cécile, lui de Lolita, espère Amiel. Et quand nous n’aurons plus rien à nous dire et que personne ne viendra plus fleurir nos tombes, c’est alors que nous connaîtrons la mort, la vraie mort».
Les derniers jours d’Henri-Frédéric Amiel paraîtront le 13 septembre. Je ne lirai pas les autres romans de la saison, toujours trop longs. «Un ouvrage court et bon est deux fois bon», notait Baltasar Gracián. Puisse la critique se rappeler la remarque du philosophe et reconnaître que Roland Jaccard sera le meilleur romancier de la rentrée.

mardi 7 août 2018

Incipit sans suite — 17


Il se demandait pourquoi elle l’écoutait encore exprimer ses pensées fixes et fluctuantes.  


vendredi 20 juillet 2018

L'ennui estival

Gabriela Manzoni

Avec, l’an passé, l’élection de Macron, et, cette année, avec la victoire des bleus à la coupe du monde de football, j’ai la sensation d’avoir été condamné à une double peine de connerie nationale. En pareils moments, je m’exilerais bien en un séjour abrité de la stupidité et de la vulgarité plébéiennes, mais, bien sûr, nul endroit en cette terre n’en est épargné. Je n’ai jamais vécu en régime totalitaire où la coercition est telle qu’elle obtient une homogénéité des pensées et des sentiments; cependant, dans ces moments d’effervescence politique et sportive où la liesse de la foule idolâtre s’impose comme un impératif affectif, je crois qu’on en approche. En Macronie, «Unanimité» est désormais la devise gravée aux frontons de la république comme sur le front de mes concitoyens.

Je ne suis pas très satisfait de ma conférence sur Clément Rosset. J’aurais dû coller davantage à sa conception du double et ne pas tenter d’éclaircir sa notion de joie comme force majeure — notion qui m’a toujours laissé perplexe. N’étant capable, contrairement à d’autres, de n’expliquer avec clarté que ce que je comprends bien, j’ai le sentiment d’avoir cafouillé sur ce point. Maintenant, je relativise mon regret en songeant que ceux qui prétendent comprendre cette notion de joie — qu’elle soit nietzschéenne ou rossétienne — ne sont jamais guère plus intelligibles. 

Dans cette touffeur estivale qui ajoute à mon ennui, je ne trouve rien de neuf à lire. Je me rabats donc sur les deux auteurs que je vénère depuis l’enfance et l’adolescence, Hergé et Molière. L’univers de Tintin fut le refuge de mes crises de cafard quand je perdis mon père, le théâtre de Molière la consolation humoristique de la misanthropie que je contractai dès mes douze ans sans jamais en guérir. Vu l’art avec lequel Hergé dépeint ses personnages de comédie, je serais prêt à parier qu’il connaissait son Molière. Quant à moi, c’est toujours avec grande jubilation que je relis Le Misanthrope ou l’Atrabilaire amoureux. Du point de vue de l’intellect je suis Philinte, du point de vue du caractère Alceste. En moi-même comme sur la scène, l’ombrageux ne retient rien des conseils avisés et amicaux que lui prodigue l’homme prudent — tel que l’entendait Baltasar Gracián. Mais comme aimait à le répéter Clément Rosset chaque fois qu’il ruinait l’illusion d’une réforme de soi-même, «on ne se refait pas».   

dimanche 15 juillet 2018

L'ami Micaël


Micaël : 
Les Schiffterini devant le coucher de soleil

vendredi 6 juillet 2018

Conférence du 7 juillet à Biarritz


Néo-Mexique juillet 2013

Chers abonnés,
Apprenez que demain, samedi 7 juillet, à 16h, à la médiathèque de Biarritz, je donnerai une conférence en hommage à mon maître et ami Clément Rosset disparu le 27 mars dernier. L’entrée sera libre.

Brève présentation :
Voir la réalité en face avec Clément Rosset

Parmi les philosophes français contemporains, Clément Rosset fut le seul à garder la tête froide à l'égard de toutes sortes d'emballements théoriques, politiques ou moraux. Servie par une écriture limpide et épicée d'un humour souvent féroce, sa pensée le classe parmi les grands maîtres de la désillusion, tels Schopenhauer, ou Cioran — son ami. Ses ouvrages se lisent comme de jubilants exercices de démystification indispensables pour notre temps.    

lundi 18 juin 2018

Otium cum litteris — XIV



En lisant Ce qui n’a pas de prix, le tout dernier livre d’Annie Le Brun, je ne pus m’empêcher de me rappeler ce que j’écrivis dans La Beauté, une éducation esthétique à propos de l’art contemporain comme art officiel du capitalisme globalisé.
« Autant dire, donc, que Dada comme le surréalisme se lassèrent du refus de la beauté tel qu’un temps, mais un temps seulement, Duchamp l’exprima par ses ready-made et autres gags esthétiques. Au reste, c’est ce dernier lui-même qui mit vite un terme à leur production, ainsi qu’il le confessa dans un discours prononcé en 1961 au Musée d’Art Moderne de New York: « Très tôt je me rendis compte du danger qu'il pouvait y avoir à resservir sans discrimination cette forme d'expression et je décidai de limiter la production des ready-made à un petit nombre chaque année. Je m'avisai à cette époque que, pour le spectateur plus encore que pour l'artiste, l'art est une drogue à accoutumance et je voulais protéger mes ready-made contre une contamination de ce genre.»


La crainte de Duchamp n’était pas de tomber dans le travers de la routine et qu’on dénonçât un assèchement de sa fantaisie, mais plus simplement de céder à un embourgeoisement de la provocation. Avec le temps, un artiste aussi nouveau et marquant soit-il à une période-clé de sa vie, court le risque de figer son geste subversif initial. Quand bien même il parvient à échapper à pareille ossification formelle, il arrive souvent que son influence sur de nouvelles générations, féconde pour certains individus, soit funeste pour d’autres. En d’autres termes, ou un génie inspire des imaginations ou il les neutralise. S’il les inspire, elles deviendront originales, s’il les neutralise, elles se scléroseront. Dans le premier cas naîtront de nouvelles formes vivantes, dans le second des procédés qui accoucheront de produits mort-nés — qu’on appelle aussi des œuvres académiques qui, aussi pauvres soient-elles sur le plan artistique, une fois bien emballées dans un verbiage moderniste, feront la fortune de leurs producteurs avisés sur le plan commercial et financier. Or tel est l’«art» contemporain, un académisme de l’insignifiance et de la non-création revendiquées n’ayant de cesse de se coiffer de la figure tutélaire de Duchamp pour faire la guerre, aujourd’hui, au goût et à la beauté, comme si pareille entreprise était «subversive» ou «dérangeante» alors qu’elle participe pleinement, avec le décervelage télévisuel et informatique, du processus d’anesthésie générale des consciences à l’œuvre dans le capitalisme planétaire. Si Andy Warhol, avatar maniériste de Duchamp, pouvait, au début de l’avènement du consumérisme, donner à voir au public des classes moyennes le reflet ironique de leur soumission à la marchandise à travers la reproduction d’images publicitaires de produits de consommation courants ou de petites mythologies du star-système, nulle impertinence, cette rébellion raffinée de l’esprit, n’anime les productions de l’art contemporain. Ce n’est pas là le signe de son impuissance en tant que pratique, mais de l’impossibilité pour toute provocation d’aller plus loin dans la barbarie telle que le marché l’engendre lui-même. Pour reprendre une terminologie marxienne, l’«art» contemporain en est l’expression «super-structurelle» tout en en présentant une version soft. Non seulement il ne heurte personne en dépit de ses surenchères dans le macabre, le stercoraire, l’excrémentiel, le bizarroïde, le kitsch, mais il ne parvient même pas à flatter le voyeurisme du philistin moyen dont l’imaginaire est déjà sursaturé jusqu’à l’obésité mentale de déchets iconographiques. Qui a vu des moutons atteints de tremblante ou des vaches «folles», qui a vu des oiseaux recouverts de mazout, qui a vu des cadavres humains joncher le sol parmi des gravats après un raz-de-marée, qui a vu des inondations de boues toxiques, qui a vu des horreurs ordinaires au journal télévisé et sur les écrans de l’internet ne peut qu’être blasé devant des animaux flottant dans le formol, des corps humains écorchés et vitrifiés, des installations vidéographiques montrant tel ou tel petit théâtre de cruauté ou de crudité. En visitant un «carré» ou un «espace» d’exposition de ce genre d’attractions, fût-ce dans un néo-bunker high-tech de Frank Gehry, une mère de famille monoparentale se dirait, comme ce spectateur incrédule au sortir du ballet Parade : «Si j’avais su que c’était si bête, j’aurais amené les enfants.» D’ailleurs ces endroits grouillent toujours d’une marmaille accompagnée de leurs parents ou de leurs professeurs, les uns et les autres associés dans l’effort de ruiner toute mémoire artistique dans les têtes juvéniles. En fait d’avant-gardisme, l’art contemporain arrive trop tard ou peut-être tombe à pic: il n’y a plus d’âmes sensibles. Sa seule clientèle n’évolue que dans les sphères de la phynance, comme disait Alfred Jarry, où ses agents «communiquants», ses «commerciaux» sont assurés d’y actionner ses fameuses «pompes» tellement on y cultive une ignorance arrogante et snob. L’«art» contemporain est un produit destiné aux traders en somme, ou à leurs patrons, ainsi qu’aux boursicoteurs, qui se figurent ainsi prendre la relève des esthètes décadents de la belle époque, des mécènes princiers de la Renaissance ou des collectionneurs avisés de l’art moderne tels que le couple Stein, Calouste Gubelkian et Peggy Guggenheim. Raison pourquoi si des Jeff Koons, des Damien Hirst, des Serrano, des Delevoye, des Ben, etc., sont redevables d’une inspiration à un maître, ce dernier n’est pas Duchamp mais bien Warhol qui finit un jour par lâcher le morceau: «J'ai commencé comme artiste commercial et je veux terminer comme artiste d'affaires». (Maintenant, s’il me fallait désigner le véritable héritier spirituel de Duchamp, je nommerais sans balancer Jean Tinguely (clic) qui, avec ses mécaniques déglinguées, déraillantes, grinçantes et inquiétantes transcendant l’insolence des ready-made, n’eut de cesse, sciemment ou non, de poursuivre le projet du Grand Verre et d’évoquer les deux grandes plaies du XXe siècle : le capitalisme et le totalitarisme — le premier enchaînant la vie à une production absurde, le second inscrivant dans la chair de certains hommes la culpabilité d’être né et de continuer d’exister). »