mercredi 25 mai 2011

Remarquable riquiqui — 4


Pour l’analyste du riquiqui, Flaubert est une mine d’or.

Si le bovarysme « façon Emma » est un riquiqui éthique assez répandu, nous voudrions en signaler un autre, non moins courant, le bovarysme « façon Charles ». Le premier, nous l’avons rappelé, consiste à se monter le bourrichon en prenant les airs de celui ou de celle qu’on rêve d’être mais qu’on ne pourra jamais devenir ; le second consiste à se croire doté de compétences qu’on n’a pas et qu’on ne peut avoir.

Dès lors que Monsieur Homais parvient à le convaincre qu’il peut redresser le pied-bot d’Hyppolite (le factotum du Lion d’or de Yonville), Charles Bovary, qui n’est qu’officier de médecine et non pas chirurgien, s’attèle à une tâche qui le dépasse. On sait comment l’aventure se termine : il faut amputer toute la jambe du malheureux Hyppolite, l’opération ayant tourné à la boucherie et généré la gangrène.

Ainsi arrive-t-il que nous ayons affaire à des types ou des bonnes femmes affectés de cette forme de prétention extravagante à occuper un domaine du savoir ou de la pensée qui leur échappe — je veux parler ici de la philosophie. Ayant parcouru tel ou tel digest démagogique de vulgarisation écrit par n’importe quel Homais qui leur fait accroire qu’ils peuvent atteindre à la hauteur de vue d’un Épicure, d’un Spinoza ou d’un Nietzsche, ils se coiffent de ces esprits comme s’ils en étaient les familiers lecteurs et, même, se piquent de commenter savamment leurs ouvrages. Les voilà philosophes ès qualités sans qualifications se croyant autorisés à parler d’égal à égal avec quelqu’un de la partie — comme si un barbouilleur du dimanche tapait sur le ventre d’un Impressionniste en lui donnant du « Cher confrère !». On pourrait penser que leur pédantisme les rend moins dangereux que Charles Bovary et cela dans la mesure où ce sont eux qui souffrent d’un pied-bot mental. Ce serait sous-estimer gravement la nocivité de certaines infirmités de l’intelligence.  

6 commentaires:

  1. un épicurien25 mai, 2011

    Bien vu.
    C'est en effet un tendance tellement dans l'air du temps que de se dire philosophe parce qu'on a lu l’Éthique ou le Gai Savoir... Et pourtant, le monde n'a jamais autant manqué de philosophes qu'aujourd'hui.

    D'ailleurs, sur vos conseils, je me suis à nouveaux engagé dans une lecture de Flaubert : quel délice, que de pépites !

    RépondreSupprimer
  2. Flaubert, c'est le patron. C'est aussi Attila. Et puis, en amoureux transi de la princesse Mathilde, il est si attendrissant ! Quand il est en présence de cette femme splendide, ses mains tremblent, sa voix se perd, sa couperose s'enflamme. Il lui confie que, dans son « gueuloir », à Croisset, il hurle ; au point qu'une nuit, il crut qu'une veine s'était rompue dans sa poitrine. Elle lui répond qu'il est fou :
    - Vous vous tuerez, à ce métier-là.
    - C'est mon métier.
    – Il est joli !
    – Le travail, c'est encore le meilleur moyen d'escamoter la vie... Si ce n'était pour lui, pour quoi vivrais-je ?
    (Gustave Flaubert chez la princesse Mathilde. Souvenir d'une soirée à Saint-Gratien, par le comte Joseph Primoli)
    Je connaissais mal votre blogue, il me paraît très fréquentable.

    RépondreSupprimer
  3. Comme vous avez raison, cher Patrick, ce blogue est hautement fréquentable. Monsieur Schiffter sait au fil de ses communications particulièrement dignes et très travaillées nous rendre moins incultes que nous sommes. Allez vite aussi lire les commentaires récents de la délicieuse Corinne ainsi que le très "piquant" billet si émouvant qui lui est consacré sur le blog d'Alfonso (lien dans la colonne de droite).

    Amitiés à M.F.Schiffter
    Jean-Michel Théaux

    RépondreSupprimer
  4. Merci pour vos mots, cher JMT.

    Oui, Alfonso transforme les visiteurs de ce blogue en personnages de son roman loufoque et poétique. Aujourd'hui Corinne. Demain vous, qui sait ?

    Mes amitiés au Nuageneuf.

    RépondreSupprimer
  5. Je trouve votre "article" très intérressant et plaisant,il me serait trop long de l'expilquer, je n'ai pas souvent l'occasion d'"entendre" des paroles aussi rationnelles et sarcastiques que les votres.

    PS; J'ai trouvé votre métaphore du barbouilleur excellente.

    Bonne continuation

    RépondreSupprimer
  6. Flaubert, Flaubert ... Quel génie y-a-t-il à constater que certaines personnes rêvent leur vie au lieu de la vivre ? Du style, tout au plus ...

    RépondreSupprimer

Les commentaires anonymes et fielleux seront censurés.