vendredi 27 octobre 2017

La République en laisse


L’autre soir, au restaurant, Frédéric Pajak m’apprend qu’il avait décidé de quitter Paris en raison de l’idolâtrie que cette ville voue à Emmanuel Macron. Je lui ai répondu que je ne comprenais pas sa décision. De quel bonheur allait-il se priver! Ainsi moi qui vis à Biarritz, lui ai-je dit, je me réjouis de l’amour du président qui y règne. Tout le monde, les jeunes, les vieux, surtout les femmes, communient dans cette allégresse. Sans doute, ai-je concédé à Pajak, est-il trop tôt pour mesurer les bienfaits sociaux de l’action de notre nouveau chef d'État, mais on ne peut nier qu’il œuvre d’ores et déjà au redressement de l’âme des Français. Rien qu’en prenant l’exemple de mes amis biarrots, ai-je dit à Pajak, tous fervents partisans d’Emmanuel Macron, je puis affirmer que, depuis l’élection de ce dernier, leur esprit et leur sensibilité se sont aiguisés. Leur conversation a gagné en qualité, leur personnalité en charme, leurs traits, même, en beauté. Pareil perfectionnement de leur être a commencé, ai-je dit à Pajak, par une révolution esthétique domestique. Tous mes amis, chez eux, dans leur entrée, leur salon, leur chambre à coucher, ont accroché un portrait d’Emmanuel Macron qu’ils ont découpé dans Paris Match, dans L’Obs ou dans Challenges. Parfois, il s’agit de photographies agrandies où il pose en compagnie de son épouse Brigitte, souriante et bien habillée. Une amie, très proche, très chère, conserve une image du couple présidentiel dans son portefeuille. Or, ai-je dit à Pajak, c’est parce qu'ils vivent sous le regard à la fois bienveillant et décidé de l’homme qui a fait barrage au fascisme et au chavisme, que mes amis s’épanouissent. Et c’est aussi pourquoi, confessai-je à Pajak, je me suis confectionné moi-même des encadrements de portraits d’Emmanuel Macron que j’ai posés partout chez moi, y compris sur ma terrasse vue mer — afin de m’encourager à opérer en moi-même des réformes intellectuelles et morales grâce auxquelles je ferai face aux défis de l’avenir. Pajak a écouté mes paroles. Contre toute attente, il les a entendues. Il m’a promis une allégorie à l’encre de chine représentant le président et son chien qu’il tient en laisse guidant la France. 

samedi 7 octobre 2017

Mon utopie est ici, entre la plage, ma chambre, ma bibliothèque


«L’été dernier, une fin d’après-midi d’août 2016, Jean Le Gall, le directeur des éditions Séguier, me retrouve à la terrasse de l’HP – c’est ainsi que j’appelle l’Hôtel du palais. Tandis que nous sirotons nos cocktails en contemplant la lumière qui décline sur la Grande plage, mon ami me dit:
 — Tu devrais écrire sur l’art de s’ennuyer à Biarritz et je te publierai.
L’idée me plaît.
— Dans le fond, tes livres te sont inspirés par une douce neurasthénie et Biarritz en est le décor. Réfléchis à ma proposition.
Une fois seul, je songe à cet ouvrage. Que faire? Un bref essai philosophique? Un de plus? Cette perspective ne me réjouit pas. En aspirant le fond de mon verre avec la paille, une solution m’apparaît avec évidence.
Pour évoquer mon ennui, le mieux est de rendre compte de mes journées vouées à regarder passer le temps. L’homme affairé tient un agenda, l’homme sans horaire son journal intime. Le premier note ses rendez-vous avec les autres, le second consigne ses réunions avec lui-même. Mon livre est pour ainsi dire achevé. Il sera fait des carnets écrits du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016. Deux ans vécus à Biarritz, ville de tous mes excès casaniers. Des jours qui se sont succédé entre flâneries, lectures, griffonnages et siestes. Des nuits à faire les cent pas dans mon crâne en attente de l’aurore. Des heures qui ont tourné sans déformer la mollesse de leur cadran. En écrivant ces pages, j’ai trompé mon ennui sans lui être infidèle.»
Avant-propos aux
Journées Perdues
SÉGUIER
Octobre 2017

mardi 3 octobre 2017

La critique n'est pas une passion de la tête mais la tête de la passion


Stefan Konarske et Auguste Diehl

En allant voir Le Jeune Karl Marx, de Raoul Peck, je supputais que ce ne serait pas un grand film. Je m’attendais à un «biopic», comme on dit, planplan mais honnête. Un peu comme le Hannah Arendt de Margaret Von Trotta. On peut faire la comparaison, en effet. Par-delà les considérations cinéphiliques, ce film m’a plu. D’abord, j’ai trouvé que les acteurs incarnant Marx (Auguste Diehl) et le jeune Engels en dandy (Stefan Konarske), étaient bien choisis. Les actrices aussi, Vicky Krieps et Hannah Steel qui jouent respectivement les épouses de Marx et de Engels — l’aristocrate Jenny Von Westphalen et l’ouvrière Mary Burns. Ensuite, il m’a semblé que Peck connaissait bien l’œuvre de Marx, ou, du moins, qu’il avait pris la peine de se documenter sérieusement sur cette période (1840-1848) durant laquelle le jeune hégélien de gauche (Marx a 23 ans en 1840) mûrit sa réflexion et sa critique du capitalisme en s’attelant à la lecture de Ricardo et de Smith. Enfin, le film est louable en ce qu’il permet de comprendre comment, bien qu’il ait toutes les polices aux trousses et suscite l’antipathie dans les milieux révolutionnaires, Marx s’impose comme le théoricien de référence du mouvement ouvrier englué jusque-là dans les marais humanistes et philistins du proudhonisme. Malgré ses imperfections, ce film m'a permis de retrouver le philosophe de mes jeunes années durant lesquelles j'avais fait mienne sa devise: Mockery and contempt. Je conserve une grande estime pour le penseur du réel, le redoutable polémiste, le cruel pamphlétaire. Marx était un écrivain. Je me flatte d’être un des rares à l’avoir lu — contrairement à nombre de têtes plates qui n’en parlent que par ouï-dire ou en évoquant la révolution russe — parce qu’on leur a dit qu’il y avait un lien entre Marx et Lénine. Pour finir, je ferai une critique majeure à Raoul Peck qui a eu le mauvais goût de terminer son film avec une chanson de ce couineur de Bob Dylan. Il eût été mieux inspiré s'il avait choisi comme ultime plan l’impression de cet extrait de lettre de Engels adressée au poète Ferdinand Freiligrath (en 1852): «Comment des gens comme nous [Marx et, lui, Engels] qui fuient comme la peste les positions officielles, peuvent-ils avoir leur place dans un “parti”? Que nous importe un “parti ” à nous qui crachons sur la popularité, à nous qui commençons à ne plus savoir où nous en sommes dès que nous nous mettons à devenir populaires? Que nous importe un “parti” c’est-à-dire une bande d’ânes qui ne jurent que par nous parce qu’ils nous considèrent comme leurs égaux?»