jeudi 30 mai 2013

Ad usum mei — 17


Un nombreux public joyeux et réactif 
à la conférence inaugurale de la Fête de la Philo

J’apprends qu’une «fête de la philo» se déroule tout au long du mois de mai et jusqu'à la mi-juin à Paris comme en province. On nous annonce que «de nombreuses manifestations investiront l'espace public (musées, théâtres, universités, lycées, écoles, mais aussi la rue et les cafés, les restaurants, les librairies, etc.)», marquant par là «une volonté pour les organisateurs de rendre la philosophie ”populaire” et de la voir s'ouvrir à une audience la plus large possible». Le public des exclus du concept profitera de l’aubaine pour écouter des conférences présentées comme «ludiques, accessibles et existentielles» et, dans un souci de «dialogue citoyen», il sera même invité à philosopher avec «des intervenants prestigieux». Après les Restos du cœur de Coluche et la Soupe populaire d’Onfray, voici donc la Distribution gratuite de jugeote patronnée par Jacques Attali, Elisabeth Badinter et Luc Ferry. C’est une bonne nouvelle. Avant la fête nationale du tapage musical, il y aura désormais un festival des vents de bouche.

samedi 25 mai 2013

Ad usum mei — 15


Fan du PSQ photographiée lors d'une éclaircie

L’ennui avec le temps maussade, c’est qu’il nourrit la conversation des gens qui n’en ont pas — de conversation. Surtout, il devient un sujet de plainte comme si le printemps devait tenir ses belles promesses. Où sont passées les journées ensoleillées et les douces températures ? Qu’il n’y ait nul responsable auquel on puisse imputer pareille défection, rajoute au ressentiment général. Dès lors, non seulement il me faut endurer la pluie, mais aussi l’indignation météorologique de mes contemporains. Je préfère de loin la première.
L’avantage du mauvais temps est qu’il vous contraint à rester chez vous et à vous convertir au stoïcisme, c’est-à-dire à faire de nécessité vertu. En l’occurrence, j’en profite pour rendre visite aux livres de ma bibliothèque — celle des romans, les livres de philosophie étant «rangés» ailleurs. J’en prends un, je le feuillette, je le repose. Parfois, je relis un passage que j’avais souligné jadis au crayon. Il m’arrive d’en percevoir toujours la beauté ou la pertinence. C’est même le cas à chaque fois — ce qui m’incite à penser que le moi dont je suis doté aujourd’hui reste dans la lignée spirituelle ou esthétique du moi d’alors. D’où vient cette continuité dans les pensées ou le goût? Question ou fausse question que je laisse en suspens. Je me contenterai de me dire que vieillir n’est pas changer. On rompt avec quelques habitudes et on prend d’autres plis. Rien de radical. L’homme est l’animal petit-bourgeois. Là où j’ai changé, en revanche, c’est dans le fait que je lis de moins en moins de romans et que je ne souligne plus aucune phrase au crayon. Les phrases qui me plaisent, j’ai coutume depuis un certain temps de les écrire moi-même et de les compiler dans des volumes. Même par temps de pluie, je n’ai pas le désir de les feuilleter. Reste mon blogue que j’ai de plus en plus la flemme de tenir. Mais je m’y efforce. Nulla dies sine linea. Bonne méthode pour ne pas laisser rouiller son esprit et son style. Pour ma part, je ramollis la maxime. Pas une semaine sans une ligne. Dieu se reposa le septième jour qui suivit la Création. Je fais aussi dans l'hebdomadaire. Mais j’ai opté pour le rythme inverse. Je paresse six jours et j’écris le septième.               



samedi 18 mai 2013

Ad usum mei — 14




Mon précédent billet a suscité bien des réactions — et des échanges — chez les fidèles abonnés de ce blogue. Je comprends. La thèse de Santiago Espinosa est si paradoxale qu’elle ne peut que surprendre. Cela dit, toutes les idées philosophiques, ou, simplement, intelligentes, sont paradoxales. Pour rester dans le domaine esthétique, on se souvient qu’Oscar Wilde tenait pour lui — dans son délicieux essai L’effondrement du mensonge — que ce n’était pas l’art qui imitait la vie, mais la vie qui imitait l’art. À juste titre. Personnellement je connais des nanas, des lolitas, des bovarys. Candide, je les crédite d’abord d’un certain romantisme. Mais le romantique, c’est moi. Jeune homme, j’étais le Antoine Doinel de la côte basque, même si, souvent, on voyait en moi un don juan. Certains soirs d’été à Guéthary, les ciels s’efforcent d’égaler les couchants de Turner. Parfois, ils y parviennent, laissant place à la douceur des choses. Quand la nuit est avancée, ma belle et moi nous regagnons Biarritz en cabriolet démodé. Les tubes italiens nous accompagnent. C’est la dolce vita.
Pour en revenir au livre de Santiago Espinosa, ce qui est difficile non tant à comprendre mais à admettre, est l’idée que la musique est une expression, sans doute, mais qui n’exprime rien — rien d’autre qu’elle même au moment précis où elle est jouée. Un oiseau qui chante, comme on dit, n’exprime rien. Le plaisir pris à l’écouter est « gratuit » — sauf si l’auditeur projette ses propres affects sur les trilles perçues, et sauf si celles-ci déclenchent chez lui une émotion, telle la gaieté. Mais en aucun cas l’auditeur, sauf à céder à l’anthropomorphisme, ne pourra affirmer que le rossignol est joyeux et que s’il s’égosille c’est pour manifester son état d’âme. On objectera qu’un compositeur n’est pas un rossignol et, dès lors, qu’il peut fort bien avoir l’intention d’exprimer telle ou telle passion dans son œuvre — l’enthousiasme ou le transport héroïque, par exemple, et qu’elle sera éprouvée par l’auditeur. « Quand je sors d’un opéra de Wagner, j’ai envie d’envahir la Pologne », dit Woody Allen. Mais pareille objection en appelle une autre contre elle, à savoir que quelle que soit l’intention du compositeur l’auditeur peut parfaitement ne pas l’écouter en ce sens et ne s’en tenir qu’à un plaisir désintéressé, au sens kantien du terme, c’est-à-dire un plaisir simple de mélomane ou de musicien. On voit ainsi la ligne de démarcation tracée par Ortega y Gasset — tant dans La déshumanisation de l’art que dans Musicalia — entre, d’une part, une écoute «naïve» de la musique comme langage des émotions ordinaires et comme occasion particulière de les ressentir un peu autrement, sous une forme esthétique, et, d’autre part, une écoute «savante» ou «cultivée» des œuvres comme architectures sonores peu ou prou sophistiquées destinées à susciter des sentiments étrangers à toute psychologie. Les amateurs de la première écoute appartiennent à la masse. Ils aiment la musique comme moyen de danser, de protester, de s’indigner, de pleurer ou de se réjouir. Ceux de la seconde appartiennent à l’élite. Ils écoutent la musique quand elle s’offre comme l’expression à la fois réitérée et inouïe, harmonieuse ou non, de la cacophonie de l’existence, cette «histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur et qui ne veut rien dire».    


lundi 6 mai 2013

Ad usum mei — 11




Aujourd’hui, je n’ai pas surfé une vague ni écrit une ligne. Dans l’un et l’autre cas, je ne me suis pas jeté à l’eau. J’ai opté pour un farniente ombre et soleil. Ombre  chez moi. Soleil à la piscine de l’HP.
En réalité, le grand moment de la journée s’est passé à 19H30, heure à laquelle on a remis le prestigieux prix Jean Vigo à Jean-Charles Fitoussi pour son long métrage L’enclos du temps. Les jurés ont récompensé un «film poétique et lumineux». Bien vu bien dit. Il faut accepter les prix que l’on nous décerne, même s’ils sont mérités. En attendant, je suis heureux de jouer dans les films de Fitoussi le personnage de William Stein, arrière petit-fils du baron Victor Frankenstein — sculpteur de féeries anatomiques. Le cinéma c’est le temps vécu avec d’autres moyens.