vendredi 24 mars 2023

L'intellectuel emmanché



    Gramsci qualifiait d'organiques les intellectuels qui, sciemment ou non, défendaient l'idéologie d'une classe, voire la théorisaient. Pour ma part, ceux qui ont leur rond de serviette dans les médias, je les appellerais des intellectuels emmanchés en ce qu'ils se trouvent toujours du bon côté du manche — je veux dire, bien sûr, du pouvoir. Hier matin, par exemple, France Info avait invité l'emmanché André Comte-Sponville pour qu'il déclare combien il avait d'estime pour le président et son premier ministre. D'autres emmanchés, nommés frauduleusement philosophes, sont même employés, payés, par des antennes de radio et des chaînes de télévision pour relayer le discours officiel, au moyen de leur rhétorique de diplômés. «Tous les intellectuels ne sont pas des emmanchés, m'objectera-t-on. D'aucuns tiennent des discours contestataires.» Je répondrai que ceux-là ne sont que des mal emmanchés en attente de l'être bien.


 

mardi 21 mars 2023

Dans le cul !



Témoin de la crédulité et de la servilité de mes concitoyens durant les années 2020-21, crédulité avec laquelle ils ont gobé tous les bobards de la propagande médicale, servilité avec laquelle ils se sont pliés à toutes les humiliations de l'inquisition sanitaire; témoin de l'appel des partis de gauche, du centre, et des bureaucraties syndicales, à voter Macron l'Éborgneur au second tour des élections présidentielles de 2022, je ne puis que ricaner aujourd'hui devant le spectacle des gesticulations protestataires. Les Français ont toujours su qui était leur président-manager. Ils l'ont voulu? Ils l'ont dans le cul.

À part cela, le Pays basque affiche un teint printanier. Pas un jour ne passe sans que je n'aille traîner à la Chambre d'amour. Les chiringuitos ont rouvert. Je puis faire des étapes-café le long de la promenade des plages. Hier, en flânant, ce mot de Pline l'Ancien m'est revenu: "Le grondement de l'Océan répare nos oreilles abîmées par les criailleries des hommes." Je me suis demandé si ce sage, un méditerranéen pourtant, avait séjourné du côté d'Anglet...


 

vendredi 17 mars 2023

Extérieur nuit



Esterno notte, la série réalisée par Marco Bellocchio, diffusée sur Arte, m’a rappelé la polémique qui a opposé Guy Debord à Gianfranco Sanguinetti — polémique relative à l’affaire Aldo Moro (mars-mai 1978). 

Debord soutenait que les brigades rouges étaient un groupuscule gauchiste incapable d’avoir monté seul l’enlèvement du chef de la démocratie chrétienne italienne. D’après lui, le coup venait des services secrets, du moins d’une partie d’entre eux, missionnés par la frange la plus hostile du parti de Moro au «compromis historique».  

Sanguinetti pensait quant à lui que les gauchistes en Italie s’étaient aguerris et qu’ils étaient sans doute les véritables et seuls auteurs de l’enlèvement. Durant les années 60, la police et sa fraction fasciste, était sans conteste la réelle actrice de la violence imputée à l’extrême gauche, provocation qui avait pour but de jeter le discrédit sur un mouvement social radical, mais elle n’était pas l’instigatrice de ce coup-là. En revanche, toujours pour Sanguinetti, tout portait à croire que l’État, aux mains de la DC, avait saisi là l’aubaine de se débarrasser de Moro, du compromis historique, et de mettre un terme à une situation révolutionnaire fallacieusement attribuée à l’extrême-gauche en général et aux BR en particulier. Ce qui semble donner raison à Sanguinetti c’est que, effectivement, après l’assassinat de Moro, il n’y eut pas besoin du compromis historique pour que le Parti Communiste italien tienne les syndicats et ses troupes, devenant ainsi, sans participer au gouvernement, le parti de l’ordre social. 

Debord a reproché à son ami italien de ne pas avoir partagé sa thèse de la machination barbouzarde. 

Dans un texte datant de 1980, Sanguinetti a finalement donné raison à Debord. 

Bellocchio a-t-il tenu compte de cette polémique entre les deux situationnistes ? Un protagoniste de l’affaire, dans la série, semble indiquer une piste qui corrobore la thèse de Debord. On est intrigué, en effet, de voir Francesco Cossiga, le ministre de l’intérieur, écouter avec attention et bienveillance un «conseiller» américain du nom de Steve Pieczenik. Une petite recherche sur l’individu nous apprend que cet agent travaillait pour le Département d’État des États-Unis, et devait s’assurer qu’en Italie les secrets de l’Otan seraient bien gardés dans le cas, inimaginable pour Jimmy Carter, où les communistes entreraient au gouvernement. 

 

(1) Correspondance Vol.2 — Champ Libre 1981

 


 

samedi 11 mars 2023

Guilty


En examinant ma conscience, je me suis rendu compte à quel point mes lectures m’ont perverti. Je ne les évoquerai pas toutes. Je ne prendrai que quelques exemples pour dire que, dès l’enfance, Les Aventures de Tintin ont fait de moi un raciste, les Fables de La Fontaine un pessimiste, le conte de Perrault, La Barbe Bleue, un futur misogyne, puis, à l’adolescence, les albums de Gaston Lagaffe ont engendré un rétif au travail, les œuvres du marquis de Sade un sociopathe et un obsédé sexuel, les écrits de Marx un partisan du goulag, ceux de Cioran un nihiliste. J’avoue avoir conservé mes Tintin et, à l’occasion, en relire un. Il en va de même avec les recueils d’aphorismes de Cioran. Pour tenter de remédier à cette funeste dépendance, j’ai adhéré à l’Association d’Entraide aux Lecteurs Intoxiqués conçue sur le modèle des alcooliques anonymes. Lors de la première réunion à laquelle je suis venu, je n'ai dénombré qu’une demi-douzaine de personnes. J’ai été surpris de constater combien il y avait peu de lecteurs férus de livres immoraux. Il est vrai que nombre de leurs auteurs ont été mis à l'index. Après que chacun des malades a confessé ses penchants littéraires coupables, l’animateur — un bénévole, mais, par ailleurs, éminent chercheur en sociologie —, nous a encouragés à jeter aux ordures toute littérature non conforme aux normes sociétales actuelles. En partant, il m’a donné une liste d’ouvrages, en réalité un épais bottin, à éliminer de ma vie intellectuelle. Or j’y ai vu tous les titres de ma bibliothèque que j’ai tellement appréciés. Comment, dès lors, effacer de ma mémoire ces lectures qui ont avili mon intelligence? Dans mon quartier, un Centre Médical de Rééducation Psychologique et Culturelle a ouvert ses portes. Je vais prendre rendez-vous pour une lobotomie citoyenne.


 

mardi 7 mars 2023

Véritable critique de la raison budgétaire


On connaît le mot de Pascal selon quoi «tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre.» À raison, le philosophe tient pour lui que les hommes privés d’activités se trouvent en proie à l’ennui, temps mort durant lequel leur «condition faible et mortelle» les obsède. Il leur faut donc se divertir de pareille pensée angoissante. Cependant, quand il dit: "les hommes", Pascal ne pense pas aux mal lotis, aux gueux, aux sans-grades, mais aux nobles. Le divertissement dont il parle désigne des distractions propres à cette classe privilégiée, comme la galanterie, la chasse, le jeu, la guerre, etc. Pascal est bien le philosophe des nantis, car enfin les pauvres sont eux aussi en proie à l’inquiétude métaphysique. Pourquoi s’adonnent-ils à des tâches pénibles et acceptent-ils n’importe quels emplois, sinon, en dehors du gagne-pain qui leur est accordé, pour ne pas penser au tombeau qui les attend? La conversation avec les belles femmes, les jeux d’intrigues, les réjouissances que la fortune procure, etc., étant des occupations hors de leur portée, ils n’ont d’autre divertissement que le travail. En raccourcir la durée hebdomadaire est une erreur, en raccourcir les années une faute. Comment peut-on retirer au vieux cantonnier son marteau-piqueur? À la doyenne des caissières sa caisse? À l’enseignant senior ses élèves connectés? Pourquoi les condamner, dès la soixantaine, à un vide de la vie traversé de l’air froid du cimetière? Reculer de deux ans l’âge de départ à la retraite ne relève pas donc d’une nécessité budgétaire, mais existentielle. Permettre aux salariés de travailler sans limite d’âge jusqu’à la mort serait une décision humaniste.

 


 

mercredi 1 mars 2023

Swift pour ne pas s'asphyxier


Si Jonathan Swift choisissait la satire, c'était parce qu'elle permet d'utiliser la lame tranchante de l'ironie avec laquelle l'esprit dépiaute la bêtise — qu'elle sévisse dans les mœurs, ou, plus fréquemment qu'on ne le croit, dans les œuvres philosophiques. Les éditions Louise Bottu (clic) nous offrent ici la délectable Modeste proposition (texte dans lequel Swift suggère que les Irlandais pauvres pourraient élever leurs enfants en bas âge afin d'en faire de la tendre viande de boucherie dont les riches se régaleraient), et d'autres écrits qui déplurent aux esprits chagrins. À ce propos, il faut se rappeler que l'un d'eux s'appelait George Orwell, lequel, dans une étude sur les Voyages de Gulliver, avait déclaré que Swift était un malade mental parce qu'il doutait du Progrès et de la bonté humaine.

 

À commander chez votre libraire ou directement à l'éditeur. Prix: 9 €