mardi 20 septembre 2011

Américains, encore un effort pour être civilisés!


J’apprends avec écœurement que la justice américaine vient de refuser la grâce de Troy Davis, un Noir condamné à mort — sans preuve — en 1991 pour le meurtre d'un policier blanc. Aussitôt je pense à la réaction qu’aurait eu le premier philosophe abolitionniste au monde, à savoir Donatien Aldonze François de Sade. « De toutes les lois, la plus affreuse est sans doute celle qui condamne à mort un homme », […] « elle est impraticable, injuste, inadmissible », écrit le Marquis dans Aline et Valcour lorsqu’il était enfermé à la Bastille. Plus tard, avant de connaître les prisons de la République, il déclarera dans sa fameuse Philosophie dans le boudoir que « la raison pour laquelle on doit anéantir la peine de mort, c’est qu’elle n’a jamais réprimé le crime, puisqu’on le commet chaque jour au pied de l’échafaud. On doit supprimer cette peine, en un mot, parce qu’il n’y a point de plus mauvais calcul que celui de faire mourir un homme pour en avoir tué un autre, puisqu’il résulte évidemment de ce procédé qu’au lieu d’un homme de moins, en voilà tout d’un coup deux, et qu’il n’y a que des bourreaux et des imbéciles auxquels une telle arithmétique puisse être familière ». Si je cite ces lignes, c’est pour rappeler que tout l’argumentaire de Camus contre la peine capitale lui est inspiré par Sade et pour dire combien je n’ai toujours pas compris les réticences qu’exprima jadis Elisabeth Badinter à l’égard de cet écrivain sachant que son époux fut sadien dans son combat pour l'abolition de cette barbarie.   

vendredi 9 septembre 2011

Généalogie d'une philosophie sans qualités



Je me rappelle la première fois que je découvris la folie. C’était à l’hôpital psychiatrique de Montpellier, dans les années soixante-sept ou soixante-huit. Son directeur était un vieil ami de mes parents, un « colonial » de Dakar, recasé à ce poste, en métropole, juste après l’indépendance des pays de l’Afrique Occidentale Française. Ce type me faisait penser à l’antipathique docteur Müller de Tintin. Il dirigeait son hôpital en maître autoritaire, bénéficiant d’un immense logement de fonction au cœur d’un beau parc et, aussi, du service d’une domesticité recrutée parmi les malades les plus pauvres, et, donc, les plus dociles. Aimant à montrer son pouvoir et sa réussite, il recevait souvent. Comme ma mère, inexplicablement, l’appréciait et répondait à ses invitations, je passai quelques fois de longs séjours de vacances dans son fief où il régnait sur un peuple d’aliénés discrètement encadré par des silhouettes blanches. Nullement psychiatre mais prétendant, en qualité de patron suprême de l’hôpital, jouer un rôle médical, le docteur Müller était fier de nous faire visiter les lieux où l’on traitait les cas graves. Il nous faisait trotter à travers de longs couloirs éclairés par une suite de grandes fenêtres latérales, jusqu’à ce qu’il ordonnât au planton qui nous précédait — son boy de Dakar qu’il avait gardé à ses ordres — d’ouvrir une porte donnant sur la salle des électrochocs, puis une autre trouée d’un hublot: celle d’une cellule capitonnée. La première, carrelée du sol au plafond, avec en son centre un grand lit en fer équipé de sangles, ne me parut pas effrayante. Il ne me vint pas à l’idée qu’on y électrocutait, méthodiquement, des humains et même des enfants. La seconde, en revanche, me frappa d’horreur. Je ne pus m’empêcher de me voir là, enfermé et entravé par une camisole de force, hurlant ma douleur, des heures et des heures, dans une indifférence matelassée. Ayant deviné mon angoisse, Müller me dit, mi-sérieux, mi-plaisant : « Je peux te jeter là-dedans quand je veux ». Je revois encore la face hilare du nègre et, aussi, celle de ma mère où je crus lire une approbation. 


In Le philosophe sans qualités

jeudi 1 septembre 2011

Oyez ! Oyez ! Amis du Gai Savoir !


Je fus attristé quand j’appris, en juin dernier, que Raphaël Enthoven n’animerait plus Les Nouveaux chemins de la connaissance — l’émission matinale de France Culture (de 10H à 11H) destinée à l’honnête homme, espèce rare, et aux femmes anti-bonnes-femmes, espèce plus rare encore.
Les gens qui n’aiment pas Raphaël Enthoven sont des têtes plates de mauvaise foi. Qui est capable, comme lui, lors d'une conversation de quarante-cinq minutes conduite avec courtoisie et clarté en compagnie d'un universitaire ou d'un érudit, de donner à l'auditeur le plaisir de renouer avec le sens le plus maltraité qui soit en cette époque de communication et de prêchi-prêcha : le sens de la subtilité ?
Raphaël Enthoven a pris le large, donc, mais je me réjouis de l’arrivée, à sa place, sur les Nouveaux Chemins, de la très chère Adèle Van Reeth. Étant donnée la maestria avec laquelle elle a animé la nouvelle série d’émissions — consacrée cette semaine au thème de la bêtise —, le meilleur est assuré pour les temps à venir. 

P.S. : À propos de philosophie et de bêtise, Adèle Van Reeth proposait aujourd’hui un entretien avec Jean Carnavaggio sur la question des rapports entre un monomaniaque et un naïf célèbres : Don Quichotte et Sancho Panza. Je ne sais pourquoi, cela me remit en mémoire le texte inaugural de mon blogue.