samedi 25 mai 2013

Ad usum mei — 15


Fan du PSQ photographiée lors d'une éclaircie

L’ennui avec le temps maussade, c’est qu’il nourrit la conversation des gens qui n’en ont pas — de conversation. Surtout, il devient un sujet de plainte comme si le printemps devait tenir ses belles promesses. Où sont passées les journées ensoleillées et les douces températures ? Qu’il n’y ait nul responsable auquel on puisse imputer pareille défection, rajoute au ressentiment général. Dès lors, non seulement il me faut endurer la pluie, mais aussi l’indignation météorologique de mes contemporains. Je préfère de loin la première.
L’avantage du mauvais temps est qu’il vous contraint à rester chez vous et à vous convertir au stoïcisme, c’est-à-dire à faire de nécessité vertu. En l’occurrence, j’en profite pour rendre visite aux livres de ma bibliothèque — celle des romans, les livres de philosophie étant «rangés» ailleurs. J’en prends un, je le feuillette, je le repose. Parfois, je relis un passage que j’avais souligné jadis au crayon. Il m’arrive d’en percevoir toujours la beauté ou la pertinence. C’est même le cas à chaque fois — ce qui m’incite à penser que le moi dont je suis doté aujourd’hui reste dans la lignée spirituelle ou esthétique du moi d’alors. D’où vient cette continuité dans les pensées ou le goût? Question ou fausse question que je laisse en suspens. Je me contenterai de me dire que vieillir n’est pas changer. On rompt avec quelques habitudes et on prend d’autres plis. Rien de radical. L’homme est l’animal petit-bourgeois. Là où j’ai changé, en revanche, c’est dans le fait que je lis de moins en moins de romans et que je ne souligne plus aucune phrase au crayon. Les phrases qui me plaisent, j’ai coutume depuis un certain temps de les écrire moi-même et de les compiler dans des volumes. Même par temps de pluie, je n’ai pas le désir de les feuilleter. Reste mon blogue que j’ai de plus en plus la flemme de tenir. Mais je m’y efforce. Nulla dies sine linea. Bonne méthode pour ne pas laisser rouiller son esprit et son style. Pour ma part, je ramollis la maxime. Pas une semaine sans une ligne. Dieu se reposa le septième jour qui suivit la Création. Je fais aussi dans l'hebdomadaire. Mais j’ai opté pour le rythme inverse. Je paresse six jours et j’écris le septième.               



12 commentaires:

  1. Marcel, breton de la côte25 mai, 2013

    "Reste mon blogue que j’ai de plus en plus la flemme de tenir."
    Ben oui, mais nous on n'a pas de plus en plus la flemme de le lire, alors va falloir continuer ce que tu as commencé, jeune homme!!!

    p.o. IsabL
    Cher Frédéric, je crois que Marcel a tout dit, en y mettant les formes habituelles...
    A bientôt donc pour le prochain billet !

    RépondreSupprimer
  2. Cher Frédéric,

    Ici aussi, les non-conversations sont hantées par des propos sur le temps qu'il fait, et surtout sur le temps qu'il devrait faire.

    On en vient presque à envisager que d'ici quelques années, un collectif de victimes du temps qu'il fait s'alliera à l'association pour le droit au temps qu'il aurait pu faire pour déposer une plainte contre X, au nom du droit inaliénable de tout individu à disposer de la météo qui lui convient.

    Consacrés comme ils le sont à leur indignation, nos chers contemporains oublient de remarquer les saisissants effets de lumière auxquels les averses passagères laissent place. C'est à vous donner des envies de devenir peintre !

    Ces vains tourments me rappellent quelques-uns de ceux que raille le Patron dans ses Aphorismes sur la sagesse dans la vie. Du même Prince des mélancoliques, je découvre aujourd'hui avec émerveillement l'existence d'un obscur recueil d'entretiens, que je vais de ce pas m'empresser de déguster.

    Bien à vous

    Loïc

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le deuxième paragraphe de votre tirade, à propos de droits inaliénables, me remémore un très beau passage d'un roman de Kundera, l'immortalité.

      Supprimer
  3. Le triste sort des rats...

    « La bêtise est nettement supérieure à l’intelligence en ceci que toute l’intelligence du monde ne permettra jamais de comprendre la bêtise universelle, tandis qu’un peu de bêtise suffit amplement à ne pas comprendre quoi que ce soit d’intelligent. » !

    Le génie ne peut que déranger, et attirer ainsi l'envie et la haine de la gent trotte-menu...
    Mais quand on fait le rat on assume les conséquences : se faire ratatiner !

    Merci d'excuser, cher Frédéric Schiffter, l'enthousiasme mal tempéré d'une rescapée qui,
    grâce à la lecture de votre livre, entrevit la sortie de la caverne et, éblouie, s'est mise à le claironner urbi et orbi !

    Merci pour vos explications. "L'amour intellectuel de Dieu"...J'ai essayé de lire Spinoza mais la tâche me parut impossible. J'ai juste parcouru quelques commentaires, cela fait longtemps.
    En fouillant dans mes tiroirs, je retrouve cette notice :
    "malgré sa critique de la théologie, il reste croyant ; à une époque où la raison s'avérait incontournable, il essaie de concilier celle-ci et la foi : construit un artefact en transférant Dieu dans la Nature, obtient ainsi un Tout, qu'il entreprend ensuite de connaitre more geometrico, par la raison, en tant que Nature, et par "l'amour intellectuel", en tant que Dieu = solution intellectualiste de sauvetage de la religion"

    Je ne comprends pas l'intérêt que l'on continue à porter à Spinoza.
    Des sites et des hyper-sites lui sont consacrés, on propose même une application Androïd de l'Ethique !
    Plus c'est du charabia et plus il y a des gens qui nous font le bien de nous l'expliquer.

    A l'inverse, plus c'est clair, comme chez Schopenhauer, et moins on y regarde.
    Au fond, peut-être que c'est moins par incapacité que par manque de courage.
    Regarder la Gorgone en face demande une force de caractère qui n'est pas le lot du premier quidam venu.

    Je viens de livre votre article :

    http://www.marianne.net/Cioran-un-nihiliste-au-Pantheon_a212620.html

    J'en suis restée ébahie et je me suis dit :
    La chance de Cioran est d'avoir Frédéric Schiffter comme exégète !

    Pardon pour la récidive, c'est la dernière, promis... :-)

    Bien cordialement, avec mes meilleures pensées

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Chère Ella,

      Cet article sur Cioran est repris et augmenté dans mon prochain livre.

      Supprimer
  4. Cher Frédéric,

    Toute d’entièreté et de déclarations nettes, il m’était longtemps impossible de parler du temps. Que d’ennui – morbleu - effectivement mortel. Ce semblant de conversation, sans fond, ridicule de fausseté, de complaisance et de vide m’apparaissait malfaisant. Seule au milieu de la foule, silencieuse - ce qui n’était pas pour me déplaire - il m’a fallu hélas – à force de misérable solitude - me résoudre à la conversation.
    La fonction phatique de ce langage, m’a soudain été révélée. Bon Dieu, avais-je « été sage avec sobriété ? ». Avais-je fait preuve de raison ?
    J’avais eu tord. « Cette droiture » était une vile condamnation. Un peu courte, jeune fille. Un peu faible.
    Un cœur lié à l’écriture aime aussi bavarder. Pourquoi s’épancher sinon sur le papier ? Aussi, peut-être, quelques commentaires font-ils d’honnêtes échanges, un contrepoint aux solitudes amères ?
    Une circulation de pensées, voilà sans doute l’une des promesses d’un blogue ?


    https://www.youtube.com/watch?v=WjIVc8wHwpo

    Bien à vous,

    Le chêne parlant.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Cela dit, chère Virginie, le soleil sur le Pays basque ce dimanche m'a procuré un plaisir que je n'ai point boudé.

      Supprimer
  5. Pendant que le Chêne tapait son commentaire, bien calé dans mon fauteuil, un coussin sur les genoux pour me réchauffer, je lisais ceci :

    « On est toujours mécontent. On aime à se plaindre partout où l’on est. On crie toujours contre quelqu’un ou contre quelque chose. On dit : quelle nation ! quel climat ! quel temps ! quelle vie ! Est-ce l’inquiétude naturelle que nous sentons ordinairement en nous, ou est-ce amour-propre ? Peut-être les deux. Nous sommes bien qu’où ne nous sommes pas, et nous voulons nous faire croire à nous-mêmes que nous valons mieux que ce qui nous entoure ».

    Prince de Ligne
    Tiré de « Aphorismes, pensées & fragments ».

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. "Rien que le fait de se plaindre rend la vie supportable", disait quant à lui Nietzsche.

      Supprimer
  6. le chêne parlant.28 mai, 2013

    Chez Jung, la notion de synchronicité est tout à fait singulière. Or il se trouve, que, précisément, alors que je finalise mon prochain billet en faisant référence à Dexter, je viens de découvrir – cher Frédéric – que vous en parliez dans philosophie magazine.

    La journée commence sous des augures favorables, ciel criblé de soleil. Bien à vous,
    Virginie.

    RépondreSupprimer

  7. Règles pour vaincre le pessimisme mais pas la souffrance :

    " Accompagner le moindre frisson de l'âme d'une tension active ; être lucide dans la dissolution intérieure ;
    surveiller la fascination musicale ;
    être triste avec méthode ;
    lire la Bible par intérêt politique, et les poètes pour tester sa résistance ;
    faire servir les nostalgies aux pensées et aux faits ; les extirper de l'âme;
    se créer un centre extérieur : un pays, un paysage, attacher les pensées à l'espace ;
    entretenir artificiellement la haine contre tout ;
    aimer la force après le rêve ; la brutalité après tout ce qui est pur et sublime ;
    adopter une tactique de l'âme ; conquérir ses états d'âme ; ne rien apprendre des hommes ; seule la nature enseigne le doute ;
    annuler sa peur par le mouvement ; la fuite ; une seule halte et c'est les choses qui se taisent et le néant qui nous appelle ; faire de l'illusion un système. "

    Le livre des leurres, Emil Cioran

    Bien à vous

    RépondreSupprimer

Les commentaires anonymes et fielleux seront censurés.

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.