lundi 8 août 2016

Incipit sans suite — 4


Tout le monde voyait qu’il se faisait passer pour un poète de la dèche existentielle parce qu’il ne possédait ni le physique des acteurs qu’il trouvait séduisants ni le talent des écrivains qu’il admirait.

6 commentaires:

  1. On dirait le début d'un roman réflexif, qui met en scène la vie d'un écrivain. Si l'auteur de l'incipit s'est inventé un double, nous aurons la chance d'entrer dans le laboratoire d'une œuvre en train de se faire. Le roman sera court, de préférence, ou bien il se réduira au format d'une nouvelle (ah, ces écrivains optimistes qui écrivent 600 pages pour le moindre livre, en espérant que nous aurons toujours le temps de les lire !). En tout cas, le choix de ce personnage minimaliste s'accorde bien avec ce genre de roman élémentaire. Il y a même un soupçon public sur les motivations du personnage, qui réduit encore son épaisseur, et qui donnerait lieu à un réalisme psychologique imprégné de moralisme. Néanmoins, la vignette en illustration nous inciterait à penser que l'auteur puisera dans le roman américain, qui avait assimilé les leçons du naturalisme, pour étoffer son personnage de "loser". D'ailleurs, le "sexy loser" pourrait être le perdant magnifique de la culture pop, qui a le panache du vaincu, face à une société dont il ne partage pas les valeurs. Nous aurions plutôt un grand roman social, qui irait plus loin que la recherche de la profondeur psychologique et de l'ambiguïté morale.

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    1. Cher Gérard GRIG, vos commentaires en forme d'exégèses anticipées d'une œuvre avortée me ravissent ! Mais attention, je pourrais les prendre comme des encouragements à donner une suite à un de mes incipit.
      Cordialement,
      Frédéric Schiffter

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  2. Bonjour M. Schiffter, je vous souhaite des vacances paradisiaques !
    Avec vos incipit, vous nous faites de splendides cadeaux. En musique, on parlerait d'anacrouses.
    Bien sûr, ce serait trop facile, si les incipit contenaient déjà tout le roman qu'ils amorcent. Ce n'est pas le but du jeu, si c'en est un. Aucune exégèse ne parvient jamais à épuiser la richesse d'une œuvre littéraire qui dure. Mais il est fascinant de tenter d'adopter le point de vue de l'auteur et de chercher ce qu'il pourrait faire pour échapper à nos interprétations trop convenues, s'il continuait sur sa lancée, tout en se disant que ce ne sera pas non plus cela qu'il fera.
    Il y a eu le commencement de la fin, l'incipit de l'histoire d'amour au passé des quadras du billet du 23 juillet, cette histoire qui fait tellement penser à des films vus au cinéma. Que faire, avec cette histoire de gens qui se sont aimés, bien que ce ne soit pas certain, et qui vont finir par se haïr au point de sombrer dans la folie ou de chercher à s'entr'assassiner ? Les décadents avaient inventé le suicide à deux à la Mayerling, pour échapper à cela. Pour être original, il faudrait peut-être pouvoir aller plus loin dans la laideur qui devient le fond des choses, ou dans la haine conjugale, ou bien encore prendre un sens opposé, mais lequel ?
    Le clochard philosophe, mort sans abri avec des convictions religieuses originales, pourrait prendre une succession infinie d'identités, avec un dernier personnage qui, en réalité, pourrait bien avoir été tous les autres.
    De même la belle amazone rencontrée à la plage donnerait lieu à une série de dédoublements, de travestissements ou de renversements généralisés, mais en maintenant l'ambiguïté sur la signification perverse de l'histoire.
    Et comment faire pour aider l'écrivain minimaliste à échapper à son destin tout tracé d'académicien Goncourt ?
    A la fin, on se dit peut-être qu'il n'y aurait pas mieux que l'auteur lui-même, pour écrire la suite de ses incipit !

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  3. Merde, j'ai tendance à me reconnaître dans votre incipit, n'était le fait que personne ne voit que je me fais passer pour un.. pour un quoi au fait.

    Je viens de relire votre Philosophie sentimentale. Comme Proust, je pense que les idées sont des succédanés de chagrin. Mais je suis trop heureux actuellement pour écrire. Donc je lis des écrivains tragiques, et notamment les cahiers de Cioran. Comme je l'aime ce roumain de Paris, spécialement dans ce livre d'une humanité harassante autant que jubilatoire.

    Une seule loi dans la vie : la loi d'ironie. Donc rien de plus agréable au final qu'un penseur triste et rien de plus déprimant qu'un penseur optimiste. CQFD

    Eric

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  4. Si je puis me permettre d'ajouter encore un commentaire, je dirais qu'à mon avis le thème de l'auteur qui pose en poète de la misère existentielle, parce qu'il ne peut rien faire d'autre, est malgré tout très riche. On conserverait dans ce cas le rapport circulaire d'échanges entre un vécu présent ou passé, et le travail, si pauvre soit-il, d'un écrivain. S'il fallait prendre la vie d'un artiste de l'avant-garde numérique comme Kenneth Goldsmith, le théoricien du plagiat universel à base de collages sur internet, on serait en présence d'un néant à dépeindre, celui de la gestion d'archives et d'outils informatiques, agrémentée de mondanités en forme de performances. Ce serait peut-être un défi à relever. Dans sa "Theory", Kenneth Goldsmith dit notamment : "La nouvelle autobiographie c’est l’historique de notre navigateur.". Ou bien : "Internet détruit la littérature (et c’est une bonne chose).". Ou bien encore : "Vers une poétique désengagée : écrire des livres sans avoir besoin d’entretenir une quelconque relation avec le sujet sur lequel on écrit.".
    Pour un auteur, l'avant-garde littéraire et artistique, avec ses traditions et ses contradictions, ne devrait pas être un thème ennuyeux à traiter : "On ne sait pas vraiment ce qu’est l’avant-garde. Ça change tous les jours.". Celle de Goldsmith et d'UbuWeb dure depuis une vingtaine d'années.

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  5. Hier matin, dans le metro direction boulot, des parisiens. Pulsion : j'enlève les écouteurs de mon mobile et diffuse dans la rame (dans le metro, on rame c'est vrai) la chanson "On s'aime pas" de Souchon. Elle collait parfaitement à l'ambiance : son, lumière et gens dans une harmonie malheureuse et parfaite. Tous l'entendent. Beaucoup baissaient la tête. Cioran aurait bien ri.

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