L’HOMME QUI RÉTRÉCIT
J’avais vu L’Homme qui rétrécit, de Jack Arnold, dans une petite salle de l’impasse Saint-Polycarpe. Le personnage, fidèle au titre, rétrécissait. Il consultait; en vain. Un monde nouveau s’ouvrait à lui, effrayant, avec ses objets transformés en obstacles et ses animaux en prédateurs. Je ne sais si Frédéric Schiffter a pensé à ce film en écrivant son roman, Rétrécissement(clac). Son anti-héros, attachant et poignant, Baudouin Villard, professeur de philosophie, et auteur d’essais rangés par la critique avec ceux des «petits maîtres», subit, lui aussi, une réduction spatiale et corporelle: il commence par emménager dans un appartement plus petit; lui-même mincit, maigrit: il flotte dans ses vêtements comme il flotte dans le monde.
Notre homme-en-trop est d’ailleurs poussé vers le rétrécissement, comme on l’est vers la sortie, par ses proches, croqués d’après nature. Il y a la future ancienne épouse, Federica, modèle de battante, qui lit des ouvrages de développement personnel, remplis de connaissance de soi dalaï-lamesque; ils lui ont révélé qu’elle était «sous l’emprise» de son écrivain sans succès – ouf ! elle a un prétexte pour lui préférer un homme d’affaires, certain Sicard, sicaire du béton, corrompu et corrupteur, dont elle attend «un CDI matrimonial». Il y a Thomas Masure (encore un nom prédestiné), l’ami, le fidèle, le solide, ce roc, ce cap, cette péninsule, qui devient le retourné archétypal. Il y a la sœur, Isabelle, peut-être le personnage que l’on adorera le plus détester, «très fière de son métier, d’elle-même, de tout ce qui la concerne». Elle a d’ailleurs l’habitude des diminutifs américanisants – Jerry, Charlie – qui sont précisément une façon de rétrécir les gens. Elle, ce qu’elle ne supporte pas, c’est de partager l’héritage familial, puisqu’elle était la préférée de leur père. (On appréciera, dans tous ces portraits, l’ironie des italiques.)
Rétrécissement est donc un roman sur l’humiliation (d’autant plus efficace que Baudoin la regarde avec distance); il ne s’y limite pas: il y a des pages très justes sur le couple, l’amitié, le travail, la famille; et quand Baudouin Villard fait la connaissance de son voisin, Pierre Lévy, de sa fille, Betti, et du docteur Nadaillac, auteur d’une thèse sur l’ennui, le récit ouvre d’autres perspectives à notre Roquentin sans nausée. On n’en dira pas davantage, sinon que l’on a pensé, tout au long de ce beau récit sans graisse ni tortillage, drôle et sombre, au mot de Henri Calet (peut-être dans Peau d’ours): «J’écris dans la mesure où je n’existe pas.»
Lire Bruno Lafourcade (clic).
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