lundi 25 mai 2015

De la mission évangélique de Daesh — 3


«En ce qui concerne les hérétiques, il y a deux choses à considérer, une de leur côté, une autre du côté de l'Église. De leur côté il y a péché. Celui par lequel ils ont mérité non seulement d'être séparés de l'Église par l'excommunication, mais aussi d'être retranchés du monde par la mort. En effet, il est beaucoup plus grave de corrompre la foi qui assure la vie de l'âme que de falsifier la monnaie qui sert à la vie temporelle. Par conséquent, si les faux monnayeurs ou autres malfaiteurs sont immédiatement mis à mort en bonne justice par les princes séculiers, bien davantage les hérétiques, aussitôt qu'ils sont convaincus d'hérésie, peuvent-ils être non seulement excommuniés mais très justement mis à mort. »

Saint Thomas
Somme Théologique IIa IIae
Question 11, article 3



14 commentaires:

  1. Dans de nombreux textes religieux, il est question en effet de pulsion de mort, de mort et de meurtres. Ce matin, dans les nouveaux chemins de la connaissance sur France-Culture, A. Van Reeth aborde Lévinas avec pour sujet : « tu ne tueras point ».
    Je vous envoie le texte ci-dessous pour respirer un peu…. Marchez, soufflez !

    « Je pense […] que l’accès au visage est d’emblée éthique. C’est lorsque vous voyez un nez, des yeux, un front, un menton, et que vous pouvez les décrire, que vous vous tournez vers autrui comme vers un objet. La meilleure manière de rencontrer autrui, c’est de ne pas même remarquer la couleur de ses yeux ! Quand on observe la couleur des yeux, on n’est pas en relation sociale avec autrui. La relation avec le visage peut certes être dominée par la perception, mais ce qui est spécifiquement visage, c’est ce qui ne s’y réduit pas.

    Il y a d’abord la droiture même du visage, son exposition droite, sans défense. La peau du visage est celle qui reste la plus nue, la plus dénuée. La plus nue, bien que d’une nudité décente. La plus dénuée aussi : il y a dans le visage une pauvreté essentielle ; la preuve en est qu’on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant des poses, une contenance. Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un acte de violence. En même temps, le visage est ce qui nous interdit de tuer.

    Le visage est signification, et signification sans contexte. Je veux dire qu’autrui, dans la rectitude de son visage, n’est pas un personnage dans un contexte. D’ordinaire, on est un « personnage » : on est professeur à la Sorbonne, vice-président du Conseil d’Etat, fils d’untel, tout ce qui est dans le passeport, la manière de se vêtir, de se présenter. Et toute signification, au sens habituel du terme, est relative à un tel contexte : le sens de quelque chose tient dans sa relation à autre chose. Ici, au contraire, le visage est sens à lui seul. Toi, c’est toi. En ce sens, on peut dire que le visage n’est pas « vu ». […] C’est en cela que la signification du visage le fait sortir de l’être en tant que corrélatif d’un savoir. Au contraire, la vision est recherche d’une adéquation ; elle est ce qui par excellence absorbe l’être. Mais la relation au visage est d’emblée éthique. Le visage est ce qu’on ne peut tuer, ou du moins dont le sens consiste à dire : « tu ne tueras point ».

    Emmanuel Lévinas (1906-1995), Ethique et infini (1982).

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  2. Je connais bien ce texte, chère Francine, pour l'avoir commenté à plusieurs reprises dans mes bouquins. Je le classe parmi l'un des plus beaux exemples de blablas philosophiques.

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    1. Vous êtes trop pessimiste, Cher Frédéric. Ou tout simplement lucide mais laissez moi espérer encore parfois.... bêtement et naïvement.

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    2. Quant aux visages qu’évoquaient Lévinas , peut-être faut-il consacrer le peu de temps et d’énergie dont nous disposons aux visages qui nous sont chers et passer allègrement notre chemin pour éviter les visages que nous jugeons méprisables… Pas de temps à perdre, c’est peut-être la seule leçon de philo à retenir ?

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  3. Le gnan-gnan n'en est pas absent par ailleurs...

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  4. Ce Levinas aimait bien s'écouter ( et se lire ... ) ! Par ailleurs , je suis découragé de l'espèce humaine qui aurait dû évoluer depuis les Lumières . Depuis l'annonce de la Civilisation des Loisirs , on ne voit plus que barbarie ( tiens , les pirates de Barbarie , ils venaient d'où ? ) et si nos ancêtres ont fait pire , c'était il y a quelque temps . Découragé , découragé par la stupidité humaine !!!

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  5. "Le visage est ce qui nous interdit de tuer", voilà une certitude qui aura échappé à plus d'un Mike Tyson (le philosophe).

    Il est vrai qu'il lui est arrivé de plutôt mordre l'oreille, par sens de l'universalité.

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    1. Là, le but est clairement de casser la figure, quitte à défigurer, et faire perdre la face.
      Avec "visage" ça ne marche pas.
      Bien à vous,
      Catherine

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  6. Sujette à des insomnies , la tsf ronronnait sur ma table de nuit à l'heure de Levinas sur france culture , cela m'a grandement aidé à m'endormir enfin !

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  7. Pour tester la pertinence philosophique du texte de Levinas, je l'ai relu en ayant en tête le visage de Robert Menard...Dans ce cas, en conclusion, "Tu ne tueras point" pourrait être remplacé par "Tu auras quand même irresistiblement envie de mettre des claques". Pierre L.

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  8. Au moins, le texte de Lévinas fait réagir. Je me suis bien amusée avec la réflexion du Marquis de l’Orée à propos de Mike Tyson, le philosophe. Excellent !
    J’avoue que je m’endormais aussi avec ce cher Lévinas mais je préparais en même temps mes valises pour partir en randonnées en Italie, dans la région des grands lacs et j’avais l’humeur légère.
    Pour ne pas être totalement découragé et répondre à Anonyme, une bonne balade dans un beau paysage, rien de mieux pour oublier l’insondable bêtise humaine.
    Cordialement. Francine

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  9. Civilisation, barbarie, Lumières : quelques thèmes qui tournent dans mon cerveau où rien ne trouve plus de place confortable désormais. J’ai grandi dans le catéchisme de gauche ; ainsi ai-je longtemps cru aux Lumières. Mes disciplines de prédilection étaient scientifiques, et je voyais dans les sciences l’incarnation même de l’esprit des Lumières, consistant à faire reculer l’ignorance et l’obscurantisme à mesure que l’Homme progressait dans sa connaissance du monde.
    Hélas, les quelques années passées à fréquenter les hommes dans mon cabinet médical m’ont fait réaliser que « l’Homme » n’existe pas. Pas plus que « le monde », d’ailleurs. Ainsi, l’idée des Lumières charrie selon moi son cortège d’illusions et de démagogie que les esprits alertes du siècle qui la précéda n’auraient pas manqué de recenser. Car considérer, comme je le faisais auparavant, que la connaissance et l’ignorance interagiraient comme des vases communicants ne peut se concevoir autrement qu’à l’échelle individuelle, ce qui envoie d’emblée au rancart l’emphase universaliste et humaniste du XVIIIe siècle. Constatons de surcroît que cette image des vases communicants est assez simpliste, car j’observe volontiers avec les demi savants qui me saoulent à longueur de journée au sujet des prétendus dangers des vaccins, des antennes relais ou encore des OGM, que celui qui croit savoir après avoir mal digéré quelques connaissances est plus néfaste pour les autres que l’ignorant complet.
    De même, les arbitrages entre civilisation et barbarie doivent être prononcés avec retenue. Ma première réaction devant le concept idiot de « choc des civilisations », et sans doute que l’inertie résiduelle de mon éducation de gauche m’y poussait, fut de penser que le terme était impropre avant tout parce qu'il valait mieux considérer que le choc fût celui de la barbarie (les quelques terroristes et extrémistes) contre la civilisation (tous les autres, sans distinction de culture ni de confession). Mais qui peut dire ce qui est universellement barbare ou civilisé ? Et quelle société, même organisée en état terroriste, serait l’exclusive porteuse d’un fait barbare (si l’on passe bien entendu sur l’affligeante interdiction de consommer du vin…) ? Après avoir entendu ici où là quelques propos haineux de Zemmour, Tesson et autres, je m’étais souvenu de la célèbre formule « le barbare, c’est d’abord celui qui croit à la barbarie » attribuée à Lévi-Strauss mais qui vient en réalité de Montaigne : je devais reconnaître que cette sentence était valable pour moi aussi, si je persistais à simplifier les choses en un face à face entre « civilisés » et « barbares ». Par ailleurs je me demande souvent si le niveau de barbarie d’une société n’est pas proportionnel à son degré de civilisation… La religion, qu’on nous présente toujours comme pilier de cette dernière, n’en est-elle pas une parfaite illustration ?

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  10. Sytnthétisons : Saint Thomahomet.

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  11. Je repense ce matin au dernier point de ma petite intervention, cette impression que le niveau de barbarie est proportionnel au degré de civilisation. Je ne voudrais pas que cela passe pour une sentence digne d'un penseur que je n’aime pas beaucoup : Rousseau. Notre époque voit monter un discours rousseauiste, qui préfère la nature à la culture, qui nous fait croire que les hommes seraient susceptibles de s’améliorer en rebroussant chemin... Toujours cette lubie du progrès de l'humanité, mais un progrès rétrograde cette fois : foutaises. Que d'illusions et de vanité déployées au nom d'un idéal condamné à ne rester qu'à la marge dès que l'on considère la misère de notre condition à tous !
    En fait je cherchais à dire combien ce que nous appelons "civilisation" est bâti sur l'argile, et s'expose, je le crains, à un retour du refoulé barbare, qui serait d'autant plus violent que les institutions de la civilisation et le sacro-saint "vivre-ensemble" auraient pesé longtemps comme couvercle sur la société. Je ne sais pas si je suis clair. Peut-être vaudrait-il mieux que j'aille chercher le bien nommé patient qui poireaute en salle d'attente pendant que je flâne ici, la fenêtre ouverte, profitant du chant des merles. Bien à vous.

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